Une heure d'absence

Une heure d'absence, comédie en un acte, en prose, de Michel Loraux, 11 vendémiaire an 10 [3 octobre 1801].

Théâtre Français, rue de Louvois

Titre :

Une heure d’absence

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

11 vendémiaire an 10 [3 octobre 1801]

Théâtre :

Théâtre Français, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Michel Loraux [Loraux aîné]

Almanach des Muses 1803

Mérinval  jeune lieutenant de hussards, a ouvert une lettre qu'il croit à son adresse, et qui est pour son oncle Mérinval, colonel de son régiment. Elle contient une invitation à un bal ; il s'y rend, perd cent louis sur sa parole, et se fait une affaire. Il vient gaiement raconter ses prouesses à son oncle, qui lui pardonne l'ouverture de la lettre, et paie les cent louis perdus. Mais le hasard veut que l'oncle et le neveu soient rivaux. Tous deux aiment Jenny, jeune veuve, dont on attend l'arrivée. L'oncle veut éloigner le neveu, et le neveu veut éloigner l'oncle. De là, un petit combat de ruses, dans lequel l'avantage reste, comme de raison, au jeune homme, que l’aimable veuve préfère à l'homme mûr. Celui-ci finit par renoncer à ses prétentions, pardonne aux espiégleries de son neveu, et consent à son mariage.

Fond un peu immoral, action un peu légère, situation un peu usée : mais de l'esprit, de la gaieté, des détails plaisans.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Made. Masson, an X – 1801 :

Une heure d’absence, comédie en un acte, en prose. Représentée au Théâtre de Louvois, par les Comédiens de l’Odéon, le 11 vendémiaire an 10. Par le Cit. M. Loraux aîné.

Courrier des spectacles, n° 1678 du 12 vendémiaire an 10 [4 octobre 1801], p. 2 :

[La pièce n’avait pas besoin du secours que lui a apporté la nouvelle des préliminaires de paix : elle possède « de la gaîté et une intrigue adroitement conduite » qui aurait suffi à sa réussite. L’intrigue repose sur la rivalité amoureuse entre un oncle colonel et un neveu lieutenant. Chacun fait ce qu’il peut pour écarter l’autre, mais l’oncle est écarté sur une fausse information, et le neveu sait montrer la différence entre un jeune lieutenant et un vieux colonel : le colonel a le bon goût de laisser se faire le mariage naturel de deux jeunes gens. La pièce a réussi : elle est drôle, pleine de surprises, et le critique y voit « un des jolis ouvrages en un acte que l’on ait donnés depuis quelque tems, dans lequel on trouve cependant des «  entrées et sorties peu motivées et des fautes de style », dont il donne un exemple indiscutable. L’auteur est nommé, les acteurs sont énumérés et félicités (à des degrés divers).]

Théâtre Louvois.

L’annonce de la signature des préliminaires de paix avec l’Angleterre, avoit épanoui tous les visages, réjoui tous les cœurs ; tout le monde étoit disposé à accueillir favorablement la pièce nouvelle ; mais elle n’avoit pas précisément besoin de ces bonnes dispositions du public, elle portoit en elle le gage du succès le plus brillant, de la gaîté et une intrigue adroitement conduite.

Mérinval, colonel de hussards, attend une veuve avec laquelle sa sœur veut le marier. Son nom est Jenny, et elle a rendu sensible le neveu de Mérinval, Théodore, lieutenant dans le même régiment, qui l’a connue à Paris. L’oncle, qui craint un rival dans son neveu, ne dit pas le nom de sa future ; le neveu cache celui de sa maîtresse ; mais une lettre qu'il surprend adroitement à son oncle, en y substituant une autre lettre de cartel pour une dispute qu’il a eue la nuit au bal, où il s’est présenté sous le nom et le costume du Colonel, lui apprend l’arrivée de Jenny. Que faire ? Il faut, dit l’oncle, faire partir le neveu. Il faut, dit celui-ci, éloigner mon oncle. Mérinval suppose un ordre de départ et ordonne à Théodore de prendre les devants. Lui-même, sous un costume bourgeois, se prépare à recevoir Jenny. Mais Théodore n’est point parti, et sachant que son oncle peut l’entendre de la chambre voisine, il feint de tenir avec son valet allemand, une conversation dont le but est de faire croire à Mérinval que sa future s'est arrêtée à trois quarts de lieue de la ville. Trompé par cette fausse confidence, l’oncle part, ayant soin d’enfermer son neveu, qui bientôt après voyant arriver Jenny, se fait ouvrir par elle d’un ton fort sévère. Il a pris les habits et la voix dure et rauque d’un vieil officier, parle fort brusquement à Jenny, à qui il fait une déclaration adroite de ses sentimens, en se fâchant contre un coquin de neveu qui dit-il, a l’audace de l’aimer.

Jenny se désole en voyant â quel homme on veut la sacrifier, et déjà elle se dispose à partir, lorsque la vue de Théodore l’arrête ; il se présente avec timidité : bref, on l’écoute, on l’aime, il est aux pieds de Jenny ; l’oncle paroit ; le neveu le fait passer, à la faveur de son costume noir, pour un notaire. Le faux notaire à son tour peint Théodore sous des couleurs peu favorables, et pour avoir le champ libre, lui rappelle pour midi le cartel dont il vouloit lui laisser l'honneur. Le jeune militaire piqué, répond qu’il a vu son adversaire, et Mérinval charmé, lui cède ses prétentions sur Jenny.

Tel est le fonds d’Une heure d’absence, comédie en un acte et en prose. On y rit de bon cœur, on y est surpris à chaque instant par des évènemens inattendus ; c’est un des jolis ouvrages en un acte que l’on ait donnés depuis quelque tems ; il y a cependant quelques entrées et sorties peu motivées et des fautes de style, par exemple : Autant que je puis m’en rappeler, dit madame Molé dans son rôle.

L’auteur est le cit. Loreau l’aîné. Les cit. Picard ainé et Picard jeune dans les rôles de Mérinval et de Hautz ont été virement applaudis ; mais le cit. Bertin sur-tout a joué parfaitement le rôle de Théodore ; qu’il mette seulement moins de volubilité dans son débit. Mad. Delille a mis de la grâce et de la décence dans le rôle de Jenny. Mad. Molé a joué celui de la Sœur de Mérinval avec intelligence.

F. J. B. P. G***.          

L'Esprit des journaux français et étrangers, trentième année,brumaire an 10 (novembre 1801), p. 217-221 :

[Le critique résume l'intrigue d'une pièce qui attire beaucoup de monde. Une intrigue assez convenue : un neveu rival amoureux de son oncle, et qui gagne par des moyens peu honnêtes. Un neveu rusé et téméraire, un oncle crédule, comme d'habitude la jeunesse triomphe. Mais le critique tient à souligner que la pièce repose sur des invraisemblance, comme beaucoup d'autres (dont les pièces de Beaumarchais. Mais il veut croire qu'on peut écrire «une « pièce intriguée sans invraisemblance, & dans laquelle la gaité [serait] d'accord avec la raison ». Mais le succès de la pièce nouvelle est sans équivoque, et la seule chose que l'on pourrait craindre, c'est un succès éphémère, ou la multiplication de pièces sur le même patron. Toutefois, le critique insiste sur le fait que ces prédictions pessimistes ne concernent pas particulièrement la pièce du jour, même si elle paraît indiquer que le comique de situation l'emporte sur le comique de caractère, pourtant bien supérieur. Beaucoup de qualités dans cette pièce, « de l'esprit, de la gaîté, du trait, de la facilité, de l'imagination, quelques scènes très-agréables & bien filées, un art particulier de faire sortir subitement une idée plaisante d'une situation qui alloit cesser d'être comique », mais aussi « un défaut de vraisemblance qui n'empêche pas que la pièce n'amuse beaucoup, mais qui est trop sensible pour être passé sous silence ». Un petit conseil que les amis de l'auteur doivent lui donner : « se défier de sa facilité ». L'article s'achève sur l'appréciation de la qualité des acteurs, Bertin, mais surtout l'infatigable Picard.]

THÉATRE LOUVOIS.

Une heure d'absence.

Tel est le titre d'une petite pièce en un acte, qui attire en ce moment la foule à ce théâtre : voici quel en est le sujet.

Théodore Mérinval, sous-lieutenant de hussards, sert dans le régiment dont son oncle est colonel. Le régiment est depuis deux jours à Grenoble. La veille, le général commandant la place a donné une fête, & le colonel Mérinval est assez étonné de n'y avoir pas été invité, lorsque son neveu paroît sous le plus brillant uniforme, & lui apprend avec beaucoup de grace & de légéreté, qu'il a surpris le billet d'invitation, emprunté son nom & son habit, passé la nuit au bal, fait des conquêtes charmantes, engagé une affaire sérieuse, joué gros jeu, & perdu à proportion, le tout aux charges & bénéfices du colonel véritable. Ce dernier est: sur le point de se marier ; son bonheur le dispose à l'indulgence ; il rit, pardonne, paie, mais demande caution bourgeoise, selon l'expression de Mascarille, contre toute entreprise galante de son neveu envers celle qui bientôt sera sa tante : Théodore sait que cette personne est jeune, veuve, riche ; il ne veut rien promettre, & déclare qu'il. ne respectera que l'épouse, & non la future de son oncle. Le colonel craint avec raison les moyens de séduction de l'étourdi, & le danger de la comparaison : il veut éloigner Théodore que la curiosité & l'esprit de contradiction excitent d'abord, mais qui bientôt reconnoìt que la femme promise à son oncle est précisément celle dont il est éperduement amoureux, & dès-lors oppose l'intrigue à la ruse. La lutte s'engage : faute de valets capables, les deux officiers agissent eux-mêmes : c'est à qui verra le premier la jeune veuve que l'on attend, à qui éloignera son rival, à qui donnera de l'autre la plus mauvaise idée ; jeux de théâtre, déguisemens, fausses confidences, faux ordres, faux rendez.vous, fausses lettres, fausses voix, tout est mis en usage : l'un commet toutes les folies possibles, l'autre toutes les imprudences imaginables : l'un est d'une témérité rare, l'autre d'une crédulité sans exemple, & d'une facilité peu commune ; on conçoit que c'est le dernier qui doit être battu : il l'est en effet, & le doit à une heure d'absence. Tel est le titre de l'ouvrage.

Quoique des productions de cette nature ne puissent être l'objet d'une critique sérieuse, on auroit sans doute le droit de dire aux auteurs : « Si tel moyen n'eût pas réussi, si telle ruse eût été découverte, si telle absence n'eût pas eu lieu, qu'eussiez-vous fait ?... » Mais alors on recevroit pour unique réponse celle dont Beaumarchais a donné le mauvais exemple : eh bien, il n'y auroit pas eu de pièce... N'y a-t-il cependant aucune pièce intriguée sans invraisemblance, & dans laquelle la gaité soit d'accord avec la raison ?

Toutefois, si un ouvrage est justifié par le succès, celui-ci l'est complètement. Applaudi très-vivement, il a été joué tous les jours depuis sa première représentation. Il semble qu'on compte peu en sa faveur sur un succès durable, & qu'on ne le ménage pas plus qu'une monnoie que l'on craint de ne pas voir long-temps en crédit ; l'on a raison, ce n'est point un succès d'estime qui est réservé à de tels ouvrages ; leur existence a peu de durée, mais elle est brillante : éblouir est leur partage ; mais il ne leur est pas donné de fixer long-temps les regards. S'ils étoient susceptibles de faire naître une réflexion, elle s'arrêteroit avec peine sur l'influence que le succès, dans un genre quelconque, exerce sur les productions qui sont encore à naître : l'espoir d'un succès égal, l'esprit d'imitation, le mode même, se réunissent pour rendre cette influence puissante ; on y cède, & comme sur le terrain étroit & incommode de nos plus désagréables promenades, on voit souvent la foule attirer la foule ; il arrive que deux ou trois ouvrages, dans le même genre, sont bientôt suivis de vingt qui leur ressemblent ; on diroit qu'il n'y a plus qu'un genre à traiter ; mais le goût a ses caprices, il faut les craindre, c'est un talent que de les prévoir.

Ceci paroîtroit sans doute trop sévère, s'il étoit appliqué particulièrement à la pièce nouvelle ; mais elle fait naître ces observations plus qu'elle ne les mérite : on les adresse moins à l'auteur qu'aux imitateur nombreux qui bientôt sans doute vont croire, à son exemple, que le comique de situation l'emporte sur tout, & que le public ne veut plus de comique de caractère. Les succès de Picard devroient cependant faire reconnoître que le public n'apprécie le premier à sa juste valeur que quand il est destiné à donner plus de force au second, & qu'il en est même le résultat.

Terminons : il y a, dans l'ouvrage du C. Loraux jeune, de l'esprit, de la gaîté, du trait, de la facilité, de l'imagination, quelques scènes très-agréables & bien filées, un art particulier de faire sortir subitement une idée plaisante d'une situation qui alloit cesser d'être comique : mais il y régne un défaut de vraisemblance qui n'empêche pas que la pièce n'amuse beaucoup, mais qui est trop sensible pour être passé sous silence. Après un tel début, il semble qu'un auteur doive regarder comme des amis sincères ceux qui l'applaudissent avec réserve, & ne l'encouragent qu'en l'engageant à se défier de sa facilité.

Sa pièce a été jouée avec cet ensemble, cette vivacité, cette chaleur nécessaires à des ouvrages de ce genre. Bertin, très bien placé dans le rôle du jeune officier, le dit trop vite, mais le joue à merveille. Picard donne à celui de l'oncle une couleur très comique. Directeur, acteur, auteur, toutes les fois qu'il paroît en scène, il semble qu'on pourroit l'interrompre & lui demander son secret pour se livrer à la fois & si bien à tant d'occupations différentes.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome III, p. 417-418 :

[Petit rappel initial, le peu de succès des « petites pièces » au Théâtre Louvois : la pièce nouvelle rompt avec une sorte de malédiction ! Le résumé de l’intrigue ne permet pas de comprendre facilement ce succès : elle semble peu soucieuse d’originalité (encore un neveu rival amoureux de son oncle, et qui l’emporte sur lui) et de vraisemblance. Le jugement sur la pièce met en balance avantages et défauts : gaîté, intentions comiques, dialogue vif, contre dialogue négligé « et surtout beaucoup d’invraisemblance ». Mais on la reverra avec plaisir ! L’auteur est nommé : c’est encore un débutant. Les interprètes ont été excellents.]

THÉATRE LOUVOIS.

Une heure d'absence.

Ce théâtre n'avoit pas été heureux en petites pièces, depuis son ouverture. La plupart de celles qu'on y a représentées, n'ont obtenu cet honneur qu'une seule fois. Celle que l'on y a jouée le 12 vendémiaire, a obtenu un brillant succès.

Mérinval, colonel de hussards, et son jeune neveu portant le même nom, mais qui n'est que lieutenant, arrivent à Grenoble, où ils doivent rester quelque temps. L'oncle attend de jour en jour Jenny, jeune veuve, qu'il n'a jamais vue, et qu'il veut épouser.

Le neveu, fort étourdi, revêt l'uniforme de son oncle, et va passer la nuit au bal, où il perd tout son argent, et se fait une affaire d'honneur.

Le lendemain, deux lettres arrivent chez Mérinval ; la première est un cartel, la seconde annonce l'arrivée de Jenny. Le jeune homme substitue l'une à l'autre, éloigne son oncle pour une heure, prend le costume d'un vieux colonel, et trouve le moyen de déplaire complètement, sous le nom de son oncle, à la jeune personne qui est arrivée peu après le départ de Mérinval. Il reparoit bientôt sous son véritable costume, et fait sa cour à la jeune veuve qui le trouve d'autant plus aimable, qu'elle a trouvé l'oncle fort ridicule. Mais au moment où Mérinval neveu est aux pieds de la jeune personne, Mérinval oncle arrive et les surprend. Le neveu pousse la plaisanterie, jusqu'à le faire passer pour un notaire. On sent que l’explication ne tarde pas à se faire; que l'oncle pardonne, et que les amans sont unis.

De la gaieté, des intentions comiques, un dialogue assez vif, mais négligé, et surtout beaucoup d'invraisemblance ; tels sont les avantages et les défauts de cette petite pièce, qu'on reverra pourtant avec plaisir.

Son auteur n'est pas encore très-connu, c'est le C. Loreaux aîné.

La pièce est fort bien jouée par les CC. Picard, Bertin, M.mes Molé et Delille.

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