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La Veuve du républicain ou le Calomniateur

La Veuve du républicain ou le Calomniateur, comédie en trois actes et en vers, de Charles-Louis Lesur, 3 frimaire an 2 [23 novembre 1793].

Opéra-comique National, ci-devant Théâtre Italien

Titre :

Veuve du républicain (la) ou le Calomniateur

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

3 frimaire an 2 [23 novembre 1793]

Théâtre :

Opéra-Comique National, ci-devant Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

Lesur

Almanach des Muses 1794

Intrigue foible. Cecile Solignan a perdu son mari à l'armée. La faillite d'un banquier lui a enlevé sa fortune, et un aristocrate veut abuser de sa misère pour la séduire ; il va même jusqu'à la calomnier : mais à la fin il est confondu, et la patrie se charge d'elle et de ses enfans.

Beaucoup d'imagination de détail. De la verve, de la chaleur.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Maradan, an ii :

La Veuve du Républicain ou le Calomniateur, comédie en trois actes et en vers, par le citoyen Lesur ; Représentée, pour la première fois, le 3 frimaire de l'an 2, sur le Théâtre de l'Opéra-Comique-National de la rue Favart, ci-devant Italien.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 8 (août 1794), p. 318-325 :

[Un compte rendu très long, mais dont la longueur s’explique en bonne part par l’étendue des citations du texte de la pièce. Comme d’habitude, il s’ouvre sur un résumé de l’intrigue, résumé qui montre l’adhésion du critique aux idées républicaines que la pièce développe. La partie proprement critique s’ouvre par une concession : si on pouvait oublier les valeurs défendues par la pièce (le « plus pur républicanisme », « les vues patriotiques », l’éloge constant de la vertu), on pourrait faire bien des reproches à la pièce et à son auteur : manque d’intérêt et d’action, faible respect des règles, trop grande simplicité du sujet, manque d’oppositions. mais la force du texte (la beauté de ses vers) empêche qu’on pratique ainsi. Un grand nombre de beaux vers, la présence de personnages introduisant « quelques étincelles de gaieté », des déclarations d’un noble patriotisme attestent de la capacité de l’auteur à nous donner « de bonnes pieces, dans lesquelles il fera accompagner son brûlant civisme de tous les accessoires agréables que pourra lui fournir l'art dramatique ». Pour nous en convaincre, le compte rendu s’achève par une très longue citation du récit que Joseph fait à Dumont de la bataille de Jemmapes.]

THÉÂTRE DE I/OPÉRA COMIQUE NATIONAL.

La Veuve du républicain , ou le calomniateur, comédie en trois actes & en vers, par Lesur.

Cécile Solignan a tout perdu ; son mari, dans un des derniers combats livrés aux ennemis de la république, est glorieusement resté parmi les morts sur le champ de bataille. Cette veuve infortunée verse d'abondantes larmes sur le sort de ses enfans, & elles sont d'autant plus ameres, que son époux, quoiqu'officier, les laisse sans fortune. Un ci-devant gentilhomme, logé avec elle à Paris dans la même maison garnie, en devient éperduement amoureux, & prend la résolution de tout mettre en usage pour obtenir sa main.

Mais un officier ami de son mari, auquel cet infortuné a recommandé avant de mourir sa femme & ses enfans, Beauval, arrive à Paris, dans le dessein d'y solliciter une pension pour la veuve & les enfans de Solignan, qu'il trouve dans un état d'autant plus déplorable, qu'un banquier en faisant banqueroute, vient de dévorer leurs derniers fonds.

Il a à peine connoissance de leur malheureuse situation , qu'il envoie le brave Joseph, son compagnon d'armes, chez differentes personnes, auprès desquelles il sollicite des secours pour Cécile. Mais le méchant veille sans cesse pour faire du mal, & de Vernon qui connoît les personnes auxquelles Beauval s'est adressé, calomnie auprès d'elles cet officier & Cécile de Solignan de telle sorte, que Beauval éprouve des refus de tous les côtes. Par bonheur il a des soupçons sur le compte du ci-devant gentilhomme, & il s'empresse de sortir, autant pour les éclairer que pour solliciter plus fortement en faveur de Cécile & de sa famille.

Indépendamment des calomnies que de Vernon a semées au-dehors contre Cécile Solignan, il en a encore forgé de si atroces auprès du maître de la maison garnie, que celui-ci écrit à cette infortunée, qu'il ne lui donne que vingt-quatre heures pour payer son loyer & sortir de chez lui. Le but du ci-devant gentilhomme, en se comportant de la sorte, est-de porter Cécile Solignan, qu'il sait être sans ressources, à l'épouser ; ce qu'il croit qu'elle ne manquera pas de faire, quand elle aura été forcée d'avoir recours à lui.

Par bonheur, les démarches de Beauval n'ont pas été infructueuses, & il vient non-seulement confondre le calomniateur , mais apprendre encore à Cécile que le sort de ses enfans & le sien sont assurés, & que la patrie, toujours juste & sensible, a acquitté une dette chérie, en leur tendant une main protectrice & bienfaisante.

Si les sentimens du plus pur républicanisme que l'auteur a développés dans cette piece, & les excellentes intentions dans lesquelles elle a été faite, n'excluoient pas toutes réflexions ; si des vues patriotiques fortement énoncées & rendues avec autant de verve que d'agrément, ne suppléoient pas à l'intérêt & même à l’action ; si Lesur ne s'étoit pas efforcé de prouver dans chaque scene de sa piece, qu'il n'est de souverain bien que la vertu, ainsi qu'il le paroît par les deux vers suivans, & cent autres que. nous pourrions citer :

On jouit des instans qu'on donne à la vertu ;
Quand on a fait le bien, on a long-tems vécu.

Si, disons-nous, on pouvoit oublier un grand nombre de beaux vers, & plusieurs récits faits avec la plus grande chaleur, pour disserter froidement d'après les regles, on pourroit peut-être désirer que les contrastes fussent plus fortement marqués ; que Cécile Solignan fût un peu plus intéressante, & que le fond du sujet fût orné de quelques accessoires, & conséquemment moins simple, & fit naître quelques oppositions ; mais de bonne foi, peut-on parler regles & raisonner le sentiment, après avoir entendu ce que dit Beauval à Cécile sur la mort de son mari ?

II veilloìt avec nous près du camp endormi,
Nous marchions fur ses pas; tout-à-coup part un cri :
Qui vive ? Egalité, répondons nous, patrie !
A ces mots, embrasés d'une sainte furie,
Dans l'ombre de la nuit nous cherchons l'ennemi ;
Il est là..... nous fondons l'un sur l'autre à l'envi ;
De ces tubes d'airain où la foudre est pressée,
Le plomb meurtrier vole, & la mort est lancée.
Portant dans tous les rangs son intrépidité,
Solignan s'écrioit : liberté, liberté !
Le cri d'un homme libre épouvante l'esclave,
La mort passe avec lui dans le cœur du Batave ;
Il cédoit.... nous pressions les escadrons mourans,
Quand sur nous l'ennemi roule en nouveaux torrens ;
Plus intrépide encor, le François se rallie,
Pour des dangers-plus grands son bras se multiplie.
Cependant, votre époux par son ardeur trompé,
Dans les rangs ennemis tomboit enveloppé.
Nous l'entendons crier : je meurs pour ma patrie ;
A ces mots on s'anime, on se presse, on s'écrie :
Vivre libre ou mourir; & plus prompt que l'éclair,
On s'élance à travers de la flamme & du fer.
Les coups précipités se confondent dans l'ombre ;

La mort regne..... Déjà la nuit étoit moins sombre.....
La victoire flottoit..... enfin le jour nous luit,
L'ennemi voit sa perte, il s'épouvante, il fuit.
Mais qu'il nous coûoit cher, hélas, ce jour de gloire ;
Solignan expiroit au champ de la victoire.
Je meurs content, dit-il, je vous vois triomphans,
Et j'offre à la patrie encore mes deux enfans.

La piece présente de même par-tout de très-beaux vers ; le récit dans lequel Joseph décrit, d'une maniere aussi exacte que comique, la bataille de Gemmappe, en est rempli : l’auteur a fait jaillir sur la piece quelques étincelles de gaieté, par le personnage que nous venons de nommer, & celui de Dumont, domestique de la maison garnie ; celui-ci étonné de ce que la valise de Beauval est si petite , témoigne sa surprise à Joseph, qui lui dit :

                   — Du cœur & pas de hardes,
         Voilà l’équipement de vrais républicains ;
Sais-tu ce qu'il nous faut ? — Quoi ? — Du fer & du pain.

De Vernon cherchant à deviner l'opinion politique de l'ami de Cécile Solignan, lui témoigne les prétendues craintes qu'il éprouve, de voir le peuple françois succomber sous les coups combinés des hordes nombreuses des despotes. Mais Beauval lui ferme la bouche, en lui dìsant :

Quand le peuple combat, il ne calcule pas.

Ainsi donc Lesur a pris avec le public, par cette poésie, un engagement d'autant plus sacré, qu'il est fondé sur le talent & le patriotisme ; assurément il ne calculera pas lui-même avec son cœur pour le remplir ; nous devons nous en rapporter aux sentimens qui l'animent, & nous pouvons nous flatter qu'il nous donnera désormais de bonnes pieces, dans lesquelles il fera accompagner son brûlant civisme de tous les accessoires agréables que pourra lui fournir l'art dramatique.

Nous avons parlé du récit plaisant & énergique que Joseph fait, à Dumont, de la bataille de Gemmappe ; il merite d’être retenu en entier. Dumont aime les histoires de bataille : il prie Joseph de lui en raconter une ; Joseph y consent.

Choisis ce que tu veux : écoute, je me pique
D'en avoir vu beaucoup, j’étois dans la Belgique.

Dumont lui répond naïvement ;

Conte-moi donc comment on a pris Chambéri ?

Joseph, qui ne s'occupe que de Gemmappe, lui dit, en faisant des démonstrations à mesure que son récit l'échauffe :

Vingt-huit mille ennemis, campés dans cette forme,
Depuis là jusques-là portoienr leur masse énorme.
Trois rochers escarpés, l'un sur l'autre entassés,
De mortiers, de canons, d'obusiers hérissés ;
Enfin c'étoit l'enfer, dont la gueule enflammée
Vomissoit tour-a-tour la foudre & la fumée.

DUMONT.

Mon Dieu !

JOSEPH.

                    Mais , mon ami, chez les hommes de coeur,
Plus grands font les dangers , plus grande est la valeur,
Nous sortîmes du camp , sans manger & sans boire.

DUMONT.

Quoi, sans boire ! C'est-là qu'on ne pourra te croire.

JOSEPH.

Le jour luisoit a peine, ,& nous sortions déjà :
Il ne faísoir pas chaud, mon cher, dans ce terns-là.
Ou s'arrange en bataille, on se met à l'ouvrage ;
Les canons font braqués, pan, pan, pan, lé tapage  !
Nous entonnons en chœur l'hymne des Marseillois ;
Et le bruit du canon fut étouffé trois fois !...
C’étoit une fumée ! on n'y voyoit plus goutte ;
Le feu des ennemis mettoit tout en déroute.
Notre poste & le leur étoient bien différens ;
Avec moins d« valeur nous étions tous dedans.
Du haut de ces rochers on lançoit le tonnerre ;
Des escadrons encor nous pressoient par derriere.
Ma foi, mon cher ami, du train que tout prenoit,
De trente mille au moins aucun ne revenoit.
Encor, nous disions-nous dans notre maudit poste,
Si nous pouvions enfin leur rendre la riposte !
S'il nous étoit permis de les joindre de près,
Comme des pots cassés, ils payeroiem les frais.
Tout-à-coup un cri part..... Soldats, la bayonnette ;
La bayonnette ! allons, voilà l'affaire faite :
Vive la liberté ! cavaliers, sabre en mains !
Fantassins, bayonnette à la hauteur des reins !
Pas de charge !.... Ah ben oui, nous allions bien plus vite !
Si la fumée alors ne les eût obscurcis,
Sois sûr qu'on auroit vu pâlir les ennemis.
Nous arrivons enfin prés du roc formidable :
Pour le coup, mon ami, ce fut un bruit du diable.
De pieux & de canons il est palissadé ;
C'est égal..... Patatras, il est escaladé.
Mais c'étoit encor là le plus foible avantage ;
Le malheureux rocher étoit à triple étage,
Et le second sur-tout, plus effrayant pour nous,
Sembloit se détacher pour nous écraser tous :
Et l'art, & la nature, & les. hommes ensemble,
Feux, rochers & tonnerre, enfin tout !....

DUMONT.

Ah ! j'en tremble.....

JOSEPH.

C'est-là, mon cher, qu'on fit de terribles efforts.
Cramponés sur le roc, nous grimpons sur les morts :
L'un déroulait en bas ; l'autre, que rien n'arrête,
Pour gravir à son tour, lui marchoit sur la tête.
En dépit ua canon, en dépit du mousquet,
Mille François déjà touchent le parapet.
Arriver, c'étoit vaincre : on s'élance, on s'écrie.
Vainement l'ennemi se bat avec furie :
Du haut en bas du roc l'un est précipité,
L'autre au troisieme étage est déjà remonté.
Des prisonniers m'ont dit qu'en ce jour mémorable
Chacun de nos soldats leur paroissoit un diable.
Mais il restoit un fort..... mais un fort, moi ami,
Du canon des Prussiens solidement garni !
Il m'en souvient toujours ; c'étoit l'heure où la soupe
Pour la seconde fois rappelle notre troupe.
Tu sais sans doute bien qu'au milieu de l'hiver
L'exercice nous donne un appétit d'enfer :
Eh bien aucun n'avoit encor ouvert la bouche,
Ma parole, que pour déchirer sa cartouche.....
Les dangers redoublaient..... le courage redouble :
Vivre libre ou mourir!..... l'Autrichien se trouble ;
Il n'oppose qu'un bras las d'avoir combattu.
Nous montons, il recule, il cede, il est vaincu !
L'étendart tricolor, sur ce rocher sauvage,
Flotte : à l'instant tout fuît ou cede à notre rage.
Ils crioient en courant, encore une heure après,
Mon Dieu, que les François sont terribles de près !

D’après la base César, la pièce a été jouée 24 fois au Théâtre Italien, du 23 novembre 1793 au 20 avril 1794. Elle a été donnée aussi au Théâtre de Gand, le 8 septembre 1794.

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