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La Victime des Arts

La Victime des Arts ou la Fête de famille, opéra-comique en deux actes, paroles de *** [Louis-Marie d’Estournel], musique de *** [Nicolo Isouard, Jean-Pierre Solié et Henri Montan Berton – Berton père], 27 février 1811..

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Victime des Arts (la) ou la Fête de famille

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

prose, couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

27 février 1811

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Louis-Marie d’Estourmel

Compositeur(s)

Nicolo Isouard, Jean-Pierre Solié et Henri Montan Berton (Berton père)

Almanach des Muses 1812.

Sujet tiré d'un conte de madame de Genis ; ouvrage qu'on a donné au public comme une gaîté de carnaval, et qui n'a fait rire personne, sans en excepter les auteurs. Une seule représentation.

Une seule représentation ? Le 27 février 1811.

Des auteurs qui n'ont pas ri ? Isouard, Solié, Berton père (les trois compositeurs). Le librettiste est Louis-Marie d'Estourmel.

Journal de l’Empire, 1er mars 1811, p. 3-4 :

[Le grand critique est appelé à rendre compte d’une pièce tombée, et il ne boude pas son plaisir : dire tout le mal qu’il peut de la représentation de cette pièce qui a été fort chahutée. Et s’il fait l’analyse d’un spectacle mort-né, c’est pour l’insatiable curiosité de spectateurs qu’on peut qualifier de nécrophiles. L’intrigue est centrée sur un pauvre jeune homme qui, détestant les arts, fuit sa famille où tout le monde pratique un art et part à la recherche d’une épouse. Mais il tombe dans une famille encore plus vouée aux arts et aux sciences que la sienne, et la pièce le fait passer entre les mains de tous les membres de cette famille qui veulent lui faire pratiquer leur art. Sans doute à cause du tumulte qui a régné dans la salle, le critique ne peut dire comment tout cela finit, et on ne saura pas ce qui arrive à ce pauvre Gascon après la mise à feu de ses ailes de théâtre. Le jugement porté ensuite est évidemment à la hauteur de la déception éprouvée : l’auteur était entouré des meilleurs acteurs du théâtre, mais il n’ont pas pu, malgré leur talent, sauver la pièce. Il faut aussi critiquer le sujet, qui aurait dû être une étude de mœurs s’attaquant à la place abusive donnée aux arts dans l’éducation. Mais la pièce n’est qu’une farce de carnaval sans portée, et la situation du personnage principal ne change pas de toute la pièce. En plus, certains spectateurs ont voulu se faire les défenseurs des arts, comme s’ils étaient attaqués, alors que seul leur usage était visé. Résultat : on a sifflé très tôt, et la pièce n’a pas pu finir. Heureusement, la soirée avait commencé par Gulnare, où madame Belmont a été excellente. La pièce a permis de comparer l’élégance française à la grossièreté asiatique (je m’excuse auprès de tous les asiatiques !) et de se régaler du chant parfait de la chanteuse.]

OPÉRA-COMIQUE IMPÉRIAL.

Première représentation de la Victime des Arts.

Il y a dans cette affaire bien des victimes : la première, c'est l’auteur, cruellement immolé aux sifflets ; les acteurs, obligés d'essuyer l’orage le plus violent, peuvent aussi être. comptés au nombre des victimes, et sur-tout celui qui jouoit le principal personnage, acteur extrêmement chéri, peu fait à de pareilles fêtes, et qui a payé trop cher sa prévention pour un rôle ingrat ; enfin, les victimes les plus réelles se sont trouvées dans le parterre : il s'y est livré des combats très-acharnés et plus d'un spectateur aura remporté des contusions, triste prix de son ardeur pour ou contre une pièce qui ne méritoit pas assurément d'être attaquée ou défendue avec une si grande animosité. Annoncer le désastre de cette nouveauté. c'est avoir déjà fait l'essentiel de ma besogne ; mais il y a toujours des curieux qu'on ne contente pas en leur apprenant la mort d'une pièce ; ils veulent encore savoir ce que c’étoit que la défunte, et de quoi elle est morte.

La victime des arts est un jeune Gascon, naturellement brusque et impatient. rassasié, dégoûté, excédé de peinture, de musique, de danse, de théâtre, de chimie, de physique. Chez son père, à Toulouse, il étoit tourmenté par trois sœurs qui l’étourdissoient tous les jours de leurs chants, de leurs tableaux, de leurs pirouettes : il croit respirer en arrivant à Paris pour se marier ; mais il tombe de Carybde en Scylla. La maison où il vient chercher une femme est pleine de tous les ridicules de la manie des arts et des sciences. Il y a trois demoiselles pétries de vanité qui passent le temps à dessiner, à chanter, à danser, à jouer des instrumens : elles mettent à ces amusemens une prétention insupportable. Le père est un chimiste extravagant. qui croit avoir .découvert l’art de familiariser l’estomac avec les poisons. Le pauvre jeune homme voudroit bien avoir le secret de s’amuser de toutes ces impertinences : il a le mauvais esprit de s'en fâcher, et il semble qu'on prenne à tâche d'irriter son humeur bourrue. L'une est sur le point de l’étrangler en répétant une scène d'Othello ; l’autre, au moment où excédé de fatigue il s'apprête à s'asseoir, le saisit dans une attitude pittoresque et que le malheureux reste là malgré sa lassitude, victime de l’enthousiasme pour la peinture. Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que le lendemain est la fête du père ; tous les arts s’empressent de lui préparer un bouquet ; la danse choisit pour sa victime le jeune Toulousain : on le force à jouer un rôle dans un ballet, et c’est là sa plus grande infortune ; on lui attache des ailes chargées d'artifice et on y met le feu.

L’auteur avoit rassemblé des acteurs capables de faire réussir une mauvaise pièce : Elleviou, Gavaudan et sa femme, madame Duret, Alexandrine Saint-Aubin, que de bien perdu ! Il y sans doute de grands ridicules dans l’importance qu'on affecte de donner aujourd’hui aux arts les plus frivoles, dans la part beaucoup trop grande qu’on leur accorde dans l’éducation ; mais ces ridicules ne sont pas neufs au théâtre. Il ne suffit pas d’ailleurs qu'une critique de mœurs soit juste et motivée dans son objet ; il faut qu'elle soit ingénieuse, légère et délicate. La pièce est une caricature de carnaval : la victime des arts est dans la même situation pendant deux actes, ce qui produit une monotonie fatigante. Le sort de cette nouveauté n'est donc pas injuste ; mais il faut dire aussi que les spectateurs n'étoient pas dans des dispositions favorables. Il s'est trouve dans l’assemblée beaucoup d’enthousiastes qui se sont érigés en vengeurs des arts, quoique ce ne soit point insulter les arts que de relever les ridicules de ceux qui les cultivent. Que vous dirai-je ? on a commencé de bonne heure à siffler et on a continué avec tant de vigueur qu’on n'a pas laissé finir la pièce.

Gulnare, qui précédoit la Victime des Arts, a défrayé seule le spectacle, et en a fait tout le charme : ce n'est pas que la pièce soit un chef-d'œuvre : mais ce mélange des mœurs orientales et des mœurs européennes, cette alliance de la galanterie française avec la grossièreté asiatique, qui est un vrai défaut, se trouve être un des agrémens de l’ouvrage. Madame Belmont,dans le rôle de Gulnare; réunit toute la volupté de l’Orient, à la décence, à la noblesse, au sentiment qui en Europe, et sur-tout en France, donne tant de prix à la volupté. Tant qu'elle est en scène la pièce paroît charmante ; heureusement elle y est presque toujours : elle enchante par ses talens et par ses graces le prince Dehli, et le prince a dans l’assemblée tous les hommes pour rivaux. La romance qu'elle chante avec un goût infini, en s'accompagnant elle-même de la harpe, a été couverte d'applaudissemens à trois reprises. L'actrice et les spectateurs ont commence par éprouver dans ce moment les délices et le bonheur des arts, en attendant qu'on leur en présentât la victime.

Geoffroy.          

Esprit des journaux, français et étrangers, année 1811, tome IV (avril 1811) p. 287-293 :

[Les vers latins cités dans ce compte rendu appartiennent à l’ode VI du livre III des Odes d’Horace. L’édition des Œuvres d’Horace de MM. Campenon et Després, tome Ier (Paris, 1821), p. 267, en donne la traduction suivante : « La jeune Romaine, avant l’âge de l’hymen, se plaît à se former aux danses de l’Ionie ; elle rougit parfois d’étudier des mouvements que désavoue la pudeur ; dès sa tendre enfance, elle rêve déjà de coupables passions. »

Le compte rendu s’ouvre par une violente attaque des méthodes modernes d’éducation, symbolisées par la place qui est faite à des arts qui amènent à connaître ce qu’il vaudrait mieux ignorer ou taire. Le sujet de la nouvelle pièce est donc « extrêmement comique », « il ne s'agit plus que d'en examiner l'exécution ». Résumé de l’intrigue : un jeune homme raisonnable venu chercher épouse à Paris, et qui arrive dans « une famille de fous qui ne sont occupés que de talens oiseux » (père chimiste, mère auteur de chansons, filles peintre, fils fou de théâtre, oncle joueur de cor). La pièce montre ses mésaventures à son arrivée le jour de la fête du père, que tous veulent célébrer. Impossible de raconter toutes les péripéties de cette journée de fête, dans lequel le pauvre jeune homme se trouve entraîné. Comment faire rire d’« un homme honnête, estimable, dont les sentimens et la conduite ne peuvent donner aucune prise à la plaisanterie » ? D’une idée générale « assez comique », l’auteur ne pouvait tirer deux actes de comédie, tout juste quelques scènes d’un proverbe. Et « le style n’est pas moins défectueux », l’auteur inexpérimenté ignorant qu’« il y a de ces mots qui font fortune dans la société, et qui ne produisent aucun effet au théâtre ». La musique, due à trois compositeurs, « a offert des beautés, malgré certains défauts dans l’exécution » qui manquait d’ensemble. Une chanteuse est félicitée, les autres resteront dans l’obscurité (ou seront cités pour être critiqués). La représentation aurait dû être joyeuse en ce jour de fête, la salle a été houleuse, jusqu’à des rixes. La pièce n’a pas été achevée.]

Théâtre Impérial De L'opéra-comique.

La Victime des Arts, ou la Fête de Famille, opéra-comique en deux actes.

C'est assurément un ridicule très-remarquable, et qui appartient spécialement à notre siècle, que cette manie de briller qui transforme les sociétés en Académies, en Conservatoires, et les membres de telle ou telle famille en ouvriers mécaniques de ces beaux arts, dont on ne devrait prendre que l'esprit et le goût. La vanité pédantesque du siècle de Molière était assurément très-repréhensible ; elle était moins dangereuse pour les mœurs. Il y avait souvent dans l'étude des livres de quoi élever la pensée en flattant l'orgueil de celle qui se croyait au-dessus de son sexe par la noblesse de ses occupations ; mais, dans la peinture, dans la musique, dans la danse, il ne peut y avoir certainement d'autre but que de perfectionner des agrémens qui excitent ou qui expriment les passions. La peinture n'exige-t-elle pas des connaissances positives et naturelles qui donnent des idées claires et matérielles de beaucoup de choses bonnes à ignorer, ou du moins à taire ? La musique n'a-t-elle pas pour objet principal d'exciter des émotions touchantes et des sensations voluptueuses ? A l'égard de la danse, elle réunit tous les inconvéniens, parce qu'elle agite l'être tout entier, et qu'elle met en jeu les fibres les plus sensibles, et il y a long-temps que l'un des illustres amis de Mécène l'a dit avec ce ton prophétique qui semble avoir été inspiré pour le temps où nous vivons :

Motus doceri gaudet Ionicos
Matura virgo, et fingitur artibus
Jam nunc, et incestos amores
De tenero meditatur ungui.

Un étranger de nos temps modernes avait bien raison de s'écrier en voyant une jeune personne douée de tous ces talens frivoles : Cela est charmant; mais que fait-on de cela à la maison ? C'est donc un sujet extrêmement comique que celui dont l'auteur de la pièce nouvelle s'était emparé. Il ne s'agit plus que d'en examiner l'exécution.

Un jeune homme fort honnête ; élevé au sein d'une famille respectable, ennuyé des ridicules d'une grande ville de province, vient dans la capitale pour se marier et fixer son choix sur une compagne dont le caractère, les mœurs et les goûts lui promettent le bonheur et la tranquillité au sein de son ménage. Ses lettres de recommandation l'adressent justement à un rassemblement d'originaux, à , et dont toutes les études sont dans une opposition diamétralement contraire à ses projets. Le père est un chimiste infatigable ; la mère fait des chansons qu'il faut applaudir ; les trois filles, Rosa, Evelina, Amanda, ne font que peindre, chanter et danser ; le fils de la maison est fou du théâtre ; l'oncle donne du cor ; le salon de compagnie est le lieu d'exercice où tous ces talens font les essais de leurs différentes occupations. Quelle funeste rencontre pour un voyageur accablé de fatigues, de faim et de sommeil ! Comme Sainclair (c'est le nom de ce jeune prétendu) arrive de Toulouse pour faire un choix parmi les trois sœurs, on le laisse en pleine liberté d'entretenir chacune d'elles en particulier. C'est la fête du maître de la maison, et tout le monde se prépare à la célébrer. Indépendamment du ballet dont on doit faire, le soir, une répétition générale, chacun veut donner son chef-d'œuvre en offrande. Mlle. Rosa, qui achève un tableau de famille, est la première qui se trouve en tête-à-tête avec le jeune Toulousain. Au moment où celui-ci va prendre un fauteuil pour se délasser, elle apperçoit une attitude analogue au personnage principal de son tableau ; elle la saisit, et le prie de poser quelques momens pour lui servir de modèle. La cantatrice Evelina survient bientôt, et le force d'écouter un air de bravoure, pendant lequel il s'endort. Mais la danseuse Amenda le réveille en sursaut, pour l'enrôler dans le ballet projetté, dont la répétition va se faire au même instant. Ces situations, qui se répètent jusqu'à satiété, et qui par conséquent se devinent beaucoup trop facilement, conduisent la pièce avec effort jusqu'à un second acte, qui ne diffère guère de ces antécédens. Au milieu de ces tourmens successifs, qui pourraient passer pour de véritables mystifications, Sainclair a trouvé le moyen de s'endormir le soir dans un fauteuil, après avoir étudié un morceau de chant dont il a eu la complaisance de se charger. Mais le tragédien arrive, et tout en répétant les fureurs d'Oreste ou d'Othello, dont il fait un amalgame ridicule, il saisit le dormeur au collet, comme un rival qu'il veut immoler. Ce n'est pas la fin de ses peines : on lui a destiné un rôle d'Hymen dans le ballet. On l'affuble d'une paire d'aile [sic] qui, on ne sait pourquoi, sont composées d'artifice auquel [sic] on met le feu, ce qui achève de faire dégénérer la pièce en véritable farce des boulevarts.

Je fais grace à mes lecteurs de quelques détails du rôle du chimiste, qui se mêle aussi de crânologie, et qui tâte la tête de son gendre futur, auquel il prétend découvrir la bosse de la douceur, et l'organe inconnu ; à quoi le bon jeune homme répond que ce n'est autre chose qu'une bosse qu'il s'est faite en tombant il y a peu de jours. Je passe également sous silence une foule de lieux communs dont le rôle de Sainclair est rempli, et qui lui donnent un air de simplesse et de naïveté, que l'on pourrait prendre pour quelque chose de plus médiocre encore. J'observerai seulement que ce rôle était trop loin des formes d'Elleviou, pour qu'il pût le remplir avec quelque succès. On se prête à voir berner Pouceaugnac [sic], dont l'extérieur et les manières grotesques prêtent si bien au ridicule ; mais il n'y a pas le moindre sel à tourmenter ainsi un homme honnête, estimable, dont les sentimens et la conduite ne peuvent donner aucune prise à la plaisanterie : sa contenance ne peut qu'être gênée, sa situation monotone, et il n'y a pas lieu à y développer le moindre talent.

L'idée générale était cependant assez comique. On voit que l'auteur en a eu quelque apperçu ; mais il n'y a pas là matière à deux actes de comédie. On y aurait trouvé, tout au plus, quelques scènes de proverbes ; mais il fallait beaucoup d'art pour les rendre piquantes et sur-tout pour se garantir de l'uniformité. Le style n'est pas moins défectueux ; il est rempli de choses extrêmement communes : il y a de ces mots qui font fortune dans la société, et qui ne produisent aucun effet au théâtre. L'auteur paraît être un jeune homme qui n'a jamais étudié ces différences : il faut cependant les sentir, à peine de ne jamais réussir dans le dialogue dramatique.

La musique, que l'on dit être de trois compositeurs différens, a offert des beautés, malgré certains défauts dans l'exécution, où il ne régnait pas beaucoup d'ensemble. On a remarqué surtout le premier morceau d'ensemble du second acte, dont plusieurs parties sont invisibles et s'exécutent dans la coulisse. Cette distribution était assez originale ; et l'effet en a été assez piquant. Tout ce qui a été chanté par Mme. Duret a fait grand plaisir. Cette habile virtuose donne un charme inexprimable aux choses les plus indifférentes. Au reste, une seule représentation ne peut pas mettre parfaitement en état de prononcer sur le mérite d'une composition aussi variée et aussi étendue.

L'assemblée était au grand complet. La curiosité était vivement excitée, et l'on n'eût pas mieux demandé que de prolonger d'un seul jour l'indulgence que réclame la folie des circonstances ; mais la bienveillance publique n'a pas pu tenir contre la médiocrité de la production. Cependant le zèle des gens bien intentionnés a fait bonne contenance. Entre les deux actes, quelques voies de fait un peu dures se sont manifestées contre les désapprobateurs, qui se trouvaient d'abord en minorité ; mais bientôt le nombre s'en est augmenté d'une manière allarmante. Le dénouement n'a pas été entendu jusqu'au bout ; il a été plutôt deviné que compris, et la toile s'est abaissée sans que les auteurs aient été demandés. D....S.

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