Le Valet embarrassé, ou l'Amour par lettres

Le Valet embarrassé, ou l'Amour par lettres ; comédie en cinq actes et en prose, de Joigny. 30 ventôse an 11 [21 mars 1803]

Théâtre Français, rue de Louvois

Titre :

Valet embarrassé (le), ou l’Amour par lettres

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

30 ventôse an 11 [21 mars 1803]

Théâtre :

Théâtre Français, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Joigny

Almanach des Muses 1804

Hippolyte, amant aimé de Julie, a pour rivaux M. Harpin, son tuteur, et M. Bernard, à qui le père de Julie a promis sa main. Frontin, valet d'Hippolyte, persuade à M. Harpin que Julie est amoureuse de lui, mais que, gardée par des surviellans incorruptibles, elle ne peut répondre à son amour que par lettres. Il établit une correspondance supposée, reçoit des cadeaux que M. Harpin destine à Julie, les remet à son maître, et joue ainsi le vieil avare qui fournit lui-même des armes à son rival. Frontin s'applaudit de sa ruse ; mais un incident le plonge bientôt dans le plus grand embarras. M. Bernard arrive, et doit épouser dans la journée. Ici, le valet déploie toute son habileté. Mensonges adroits, déguisemens, lettres supposées, tout est mis en usage, mais, malgré ses efforts, la victoire est prête à lui échapper, lorsqu'on découvre que M. Bernard est l'oncle d'Hippolyte. Des circonstances majeures l'ont forcé à cacher son nom. M. Bernard, redoutant un pareil rival, lui cède la place, et tout se termine à la satisfaction des jeunes amans.

Quelque intérêt ; plusieurs scènes adroitement filées ; du comique.

Courrier des spectacles, n° 2207 du 1er germinal an 11 [22 mars 1803], p. 2-3 :

[Le succès n’était pas au rendez-vous : après un début favorable, les sifflets ont succédé aux applaudissements, et Picard jeune, salué par le public, a eu bien du mal à nommer l’auteur. C’est que la pièce a bien des défauts, longueurs, mauvaise gestion des entrées et sorties, déséquilibre entre les scènes, tantôt trop longues, tantôt trop courtes, dialogue maladroit, anticipant parfois sur la suite, ou répétant inutilement ce qui a été déjà dit. Mais elle a aussi des qualités, imagination, dialogue, comique. Il faudrait resserrer l’action pour « faire de cette comédie une pièce amusante ». Son intrigue est bien trop compliquée pour qu’on la résume, et le critique se contente « d’en suivre la marche » (et la complexité de l’action et « la multiplicité des incidens » apparaissent fort bien !). Il suffit ensuite de parler de la distribution, jugée tout à fait satisfaisante.]

Théâtre Louvois.

Le Valet embarrasé [sic] n’a pu se tirer d'affaire. Les paris étoient pour lui jusques au commencement du troisième acte ; mais la chance a tourné, les sifflets ont succédé aux applaudissemens, et si ces derniers ont essayé quelquefois de reprendre le dessus, cela a été inutilement. L’auteur a été demandé ; Picard jeune étant venu pour le nommer, le public a donné à ce jeune acteur des témoignages du plaisir que son jeu avoit procuré. Pendant long- tems les applaudissemens l’ont empêché de parler ; il est enfin parvenu à nommer le citoyen Joigny, avantageusement connu par plusieurs ouvrages.

Sans prétendre appeler du jugement que les spectateurs ont porté sur cette comédie, nous croyons pouvoir avancer qu’elle est à bien des égards supérieure à nombre d’ouvrages qui ont obtenu des succès, sinon flatteurs, dumoins peu contestés. Nous conviendrons que cette pièce, purement d’intrigue, est trop compliquée, qu’elle offre des longueurs fatiguantes, que les acteurs entrent et sortent fort souvent sans motifs suffisamment établis, qu’une scene excessivement longue est suivie de trois ou quatre qu’on pourroit trouver étranglées, que les redites y sont fréquentes, que tantôt l’auditeur est prévenu de ce qu’il va entendre, et que tantôt on lui répète ce qu’il sait déjà, que plusieurs expressions ont avec raison choqué les oreilles les moins délicates ; mais on ne peut nier que l’auteur y a fait preuve d’une imagination féconde, souvent heureuse , qu’il y a des morceaux fort bien dialogués, des scenes très comiques, et que s’il étoit possible de resserrer l'action, de supprimer plusieurs scenes, telles que celles d’Alain jouant le rôle d’Amour, de Durand chassant Lisette, de raccourcir celle où Bernard feint de raconter un roman, etc., etc, on pourrait faire de cette comédie une pièce amusante.

La multiplicité des incidens nous ôte jusques à l’intention d’en offrir une analyse détaillée, nous allons essayer d’en suivre la marche.

M. de Saint-Hilaire, absent depuis fort long-tems, a depuis six ans, par suite d’une affaire d’honneur, été forcé de changer de nom ; il a pris celui de Bernard : les mêmes raisons l’ont empêché de donner de ses nouvelles. Plusieurs personnes ont été successivement chargées de la tutelle d’Hyppolite Bonval son neveu. Son tuteur actuel est un nommé Harpin, vieil avare qu’il dupe avec les secours de l’honnête Frontin. Tours est la ville où la scène se passe. Près de la maison de M. Harpin est celle de M. Durand ; père de l’aimable Julie , le tuteur et le pupille sont également amoureux de la jeune personne ; mais tandis qu’Harpin se contente d’écrire, Hyppolite parle, et de plus ; fait agréer ses soins. Lisette le sert auprès de sa maîtresse, Frontin, au contraire, à qui Harpin se lie, garde toutes ses lettres, au point que Julie ignore des sentimens de ce vieux fou. Frontin profite de la passion du tuteur pour en tirer des cadeaux qu’il fait adresser à Julie au nom du pupille.

En vain Mad. Josse, vieille gouvernante, veut-elle détromper Harpin, celui-ci est totalement dupe du fripon de valet qui le gouverne. Un rival plus redoutable s’oppose au bonheur d’Hyppolite. C’est ce même M. Bernard, arrivé depuis plusieurs mois à Tours, et qui, par des services qu’il a rendus à M. Durand, a tellement gagné son cœur, que celui-ci lui veut faire épouser sa fille.

Lisette a choisi le moment où M. Durand est sorti pour ménager une entrevue entre Hippolite et sa maîtresse ; les deux amans et leurs valets sont à délibérer sur la couduite qu’ils doivent tenir, lorsque M. Bernard, qui est entré peu auparavant, interrompt la délibération et force le maître et le valet à s’enfermer dans un cabinet. Bernard a tout vu, tout entendu ; il raconte le fait à M. Durand, mais sa délicatesse le porte à donner à son récit les couleurs d’un roman

Lisette qui pendant tout ce tems étoit sur les épines, ne voit d’autre moyen pour faire sortir les prisonniers du cabinet, que de bander les yeux d’Alain, espèce de sot à qui Bernard en sortant a commis la garde de l’appartement, et à qui elle persuade que les yeux bandés il ressemblera à l’Amour. Bernard voit avec peine qu’Hyppolite et son valet sont échappés : de nouvelles ruses sont employées par Frontin pour éloigner les notaires qui pourroient faire le contrat entre Bernard et Julie, L’amant de celle-ci vient trouver sounmal et le provoque ; Bernard exige de son adversaire qu’il se nomme, reconnoit son neveu et dissimule.

Mad. Josse s’est constamment occupée de déjouer les projets de Frontin ; souvent elle a été sur le point de le démasquer aux yeux de Harpin, mais toujours il a conjuré l’orage. Lui même il se trahit en engageant son maître à demander la main de Julie et en supposant une lettre écrite par M. de St-Hilaire. Harpin et sa gouvernante soutiennent que cet oncle est mort ; mais il les tire d’erreur en se faisant connoître. La confusion des amans est à leur comble. Julie offre sa main à Bernard, mais celui-ci redevenu Saint-Hilaire, ne la reçoit que pour la donner à sou neveu.

Picard jeune joue avec beaucoup de talent le rôle long et difficile de Frontin. Picard l’ainé donne à celui de Harpin un caractère fort plaisant.

Mad. Pélissier remplit fort bien celui de Mad. Josse ; Mad. Molière fait valoir celui de Lisette ; et les autres sont peu importans, à l’exception de celui de Bernard, dont Dorsan tire tout le parti possible.

Le Pan.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an 11, 3metrimestre, n° 18 (10 germinal), p. 53-55 :

[Le critique s'interroge d'abord sur le titre de la pièce, peu adapté. Il résume ensuite l'intrigue, passablement compliquée, et après avoir donné le dénouement, il en conteste la valeur, parlant de « dénouement de hasard », à la fois « contre les règles de l'imbroglio » et trop riche en « ressemblances trop prononcées avec scènes déjà connues ». Des trivialités, des longueurs, des moyens « forcés »; et « au milieu de ce chaos » « quelques mots heureux » : le bilan est plutôt désabusé, et finit par une invitation à la simplification.]

Théâtre Louvois.

Le Valet embarrassé, ou l'Amour par lettres , comédie en cinq actes et en prose.

L'auteur de cet ouvrage paraît avoir éprouvé lui-même beaucoup d'embarras, et dans la contexture de son plan, et jusques dans la manière d'intituler sa pièce. Le titre du Valet embarrassé pouvait en effet convenir également à toutes les pièces intriguées par les fourberies d'un valet : celui de l'Amour par lettres n'est pas beaucoup plus exact, car il n'annonce que la première partie de l'intrigue et pas du tout l'action principale. L'analyse prouvera que les moyens trop compliqués ont fatigué l'auteur et qu'il s'est imposé une charge trop forte.

Hyppolite est amoureux de Julie, fille de Mr Durand. Elle répond à son amour ; mais il a deux obstacles terribles à combattre : le premier, c'est la rivalité d'un vieux fou, qui de plus est son tuteur ; le second, c'est la concurrence d'un monsieur Bernard, à qui Durand a de grandes obligations, et qui veut les acquitter par la main de sa fille.

La jeune personne est surveillée par une duègne intraitable et par un valet niais : mais le jeune homme et son valet se sont ménagés dans la place assiégée L'intelligence d'une soubrette. Qui triomphera de ces trois rivaux ? Tel est le problême dramatique.

Frontin a trouvé le secret de tromper le vieux Harpin et de lui persuader que Julie ne peut répondre à son amour que par lettres, à cause de ses surveillans, et il s'est chargé de la correspondance : c'est lui qui reçoit les messages, c'est lui qui répond. Le vieux imbécille a donné dans le panneau ; il croit recevoir des lettres de Julie, quoiqu'elle ignore même son amour. Il a l'extrême simplicité de charger ce Frontin des cadeaux qu'il veut faire, et Frontin les emploie à faire briller la générosité du jeune homme aux dépens de son vieux rival. Les deux premiers actes roulent sur ce moyen assez comique, quoique peu vraisemblable, et présentent dans l'exposition et dans les scènes qui la suivent, des détails heureux de situations et de dialogue.

Mais tout à coup , au troisième, l'auteur change de plan pour s'occuper presqu'uniquement du second rival, plus dangereux en effet, en ce qu'il n'est point ridicule, en ce qu'il est dans la maison même de Julie, et enfin en ce qu'il est protégé par le père. C'est ici que commence l'embarras réel du valet.

A la faveur de la soubrette, on parvient bien à introduire l'amant chez Julie ; mais Hyppolite et Frontin sont écoutés par monsieur Bernard lui-même, qui tout naturellement se trouve tout à coup instruit du nom et de l'existence de son rival.

Au moment où l'amant et le valet veulent sortir, toutes les issues se trouvent fermées ou occupées par ceux auxquels on a intérêt de se cacher ; ils n'ont plus d'autres ressources qu'un petit cabinet.

M. Bernard, qui les a vu s'y cacher, s'amuse à les tourmenter de frayeur ; mais au lieu de les découvrir à M. Durand, il a la complaisance de l'emmener, et laisse ses prisonniers sous la garde du valet niais, chargé de tout observer et de ne laisser sortir personne.

La soubrette, qui sait que cet imbécille est amoureux d'elle, amène finement la conversation sur l'amour. Le Jocrisse qui se rappelle avoir vu dans les bosquets une statue de l'Amour avec un bandeau sur les yeux, demande s'il faut être ainsi pour plaire, et sur la réponse affirmative, consent à se laisser couvrir les yeux. Par ce moyen on fait évader les deux personnes du cabinet.

Mais que fera le valet pour renouer l'intrigue et faire rompre le mariage de ce M. Bernard ?

D'abord il trouve le secret de renvoyer le notaire par une ruse assez peu vraisemblable, mais dont le résultat est plaisant. Ensuite il propose à son maître de se présenter tout uniment au père de sa maîtresse, et de faire sa demande en s'appuyant d'une fausse lettre de son oncle qu'il croit à Pondichéri, à l'effet de presser M. Durand de lui donner sa fille. La lettre supposée est dictée par Frontin ; mais, par un malheur imprévu, ce M. Bernard se trouve l'oncle en question que l'on fait écrire de si loin, et qui a été obligé de changer de nom. Par ce moyen tout l'édifice est détruit ; mais il demande grace lui-même pour son neveu, et l'obtient avec la main de Julie.

Il est bien évident que ce dénouement de hasard détruit tout l'échafaudage de l'intrigue, et que les ruses du valet, qui vont toujours en faiblissant, finissent par n'aboutir à rien, ce qui est entièrement contre les règles de l'imbroglio.

Il n'est pas moins évident qu'il se trouve des ressemblances trop prononcées avec des scènes déjà connues.

On peut reprocher assez souvent à l'auteur des trivialités de dialogue, des longueurs inutiles, des moyens forcés et peu de liaison dans les ressorts ; mais au milieu de ce chaos, il se rencontre des situations plaisantes et inattendues, quelques mots heureux, une exposition bien faite, et par fois une sorte de verve comique. Son plan un peu plus mûri et réduit à trois actes, pourrait acquérir plus de vraisemblance et de force, et même telle qu'elle est, sa pièce peut encore, avec quelques retranchemens légers , devenir un ouvrage de répertoire.

L'auteur , qui a été demandé, est le C. Joigni, connu déjà, dit-on, par d'autres ouvrages.                L. C.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année (an XI – 1803), tome V, p. 542-543 :

THÉATRE LOUVOIS.

Le Valet embarrassé, ou l'Amour par lettres.

Ce second titre sembloit mettre cette comédie, en cinq actes, jouée pour la première fois le 3o ventôse, en rivalité avec l'Intrigue épistolaire ; la comparaison ne seroit pas en faveur de la pièce nouvelle : elle n'a eu qu'un demi-succès. Au moyen de quelques' coupures, on l'a remise en quatre actes, et elle a été mieux reçue.

M. Harpin, et Hippolyte, son pupille, sont tous deux épris de Julie, fille de M. Durand, leur voisin M. Harpin fait l'amour par lettres ; Hippolyte fait mieux, il s'adresse directement à sa belle, secondé par Lisetté, sa femme de chambre, et il parvient à s'en faire aîmer. Frontin, valet d'Hippolyte, en qui Harpin a beaucoup de confiance, garde toutes les lettres que celui-ci lui remet pour Julie, de sorte qu'elle ignore l'amour de ce vieux fou. De plus il l'engage à faire à Julie des cadeaux qu'il remet au nom d'Hippolyte. En vain une vieille gouvernante, Mme. Josse, veut-elle détromper Harpin, il est tout à fait dupe du fripon en qui il a mis sa confiance. Un rival plus dangereux vient entraver le bonheur d'Hippolyte. C'est un M. Bernard, arrivé depuis plusieurs mois, et à qui M. Durand veut donner sa fille, en récompense des services importans qu'il en a reçus. Ce prétendu M. Bernard est Saint-Hilaire, oncle d'Hippolyte, qui a été obligé de fuir après une affaire d'honneur, et qui, en revenant, a changé de nom pour plus de sûreté.

Lisette ménage une entrevue à Hippolyte avec Julie, en profitant de l'absence de Durand. Ils sont surpris par Bernard ; mais l'adroite Lisette trouve un moyen de les faire échapper. Les notaires sont éloignés par Frontin. Hippolyte appelle Bernard en duel ; celui-ci reconnoît son neveu, et dissimule.

Frontin, pour porter le dernier coup, suppose une lettre écrite par M. de Saint-Hilaire, et engage son maître à demander la main de Julie. Harpin et M.me Josse soutiennent que Saint-Hilaire est mort ; mais celui-ci se nomme. Les amans sont un peu confus. Julie lui offre sa main, mais il ne la reçoit que pour la donner à son neveu.

Picard jeune a fort bien joué le rôle de Frontin.

L'auteur est M. Joigny,

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