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Virginie, ou la Destruction des Décemvirs

Virginie, ou la Destruction des décemvirs, tragédie en trois actes, de Doigny du Ponceau, 31 août 1791.

Théâtre de la Nation.

A ne pas confondre avec la Virginie de La Harpe avec laquelle elle est en concurrence et qu’on appelle aussi Virginie ou le Décemvirat aboli. .

Titre :

Virginie, ou la Destruction des décemvirs

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

31 août 1791

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

M. Doigny du Ponceau

Mercure universel et Correspondance nationale, n° 186, du Vendredi 2 Septembre 1791, p. 31 :

THÉATRE DE LA NATION.

Il faut que l'histoire de Virginie, jeune fille romaine, dont Appius Claudius, l'un des décemvirs, devînt éperduement amoureux, et que son père ne crut pouvoir arracher au déshonneur qu'en lui plongeant un poignard dans le sein ; il faut, disons-nous, que ce trait de l'histoire romaine ait paru bien dramatique à nos auteurs, puisque M. Doigny de Ponceau est le cinquième qui traite ce sujet.

Il existe en effet quatre tragédies de Virginie : la première de Campistron, la seconde, de M. de la Harpe, la troisième, de M. Leblanc , et la quatrième de M. ***. Aucune de ces tragédies n'a obtenu un succès bien soutenu, et il est à craindre que celle donnée hier pour la première fois au théâtre de la nation, sous le titre de Virginie ou la destruction des décemvirs, ne fasse pas une époque bien remarquable dans les annales du théâtre. Nous ne suivrons pas l'auteur dans le détail de son action, puisque ce trait est connu de tout le monde ; il suffit d'apprendre qu'il a suivi exactement l'histoire, qu'Appius Claudius se couvrant du manteau de la justice, conteste la naissance de Virginie, prétend qu'elle est la fille de son client, et fait déposer de faux témoins, afin de s'approprier l'objet de son criminel amour. Virginius qu'en vain il avoit voulu faire périr, et que l'on croyoit tombé sous le fer des assassins, arrive au monent où le vice va triompher de la vertu ; il poignarde sa fille, Appius veut le faire saisir, les licteurs, au lieu d'obéir, baissent les faisceaux : l'insurrection commence, on l'entraîne dans les cachos, les décemvirs (1) sont détruits, et avec eux l'hydre du despotisme.

L'auteur a dessiné avec beaucoup de vérité le caractère de Numitorie, d'une femme romaine qui, pour sauver sa fille, n'a que ses larmes et son désespoir; celui de Lucilius son amant, respire une mâle énergie ; les remords dévorans et les soupçons inquiets sont le partage du décemvir, comme de tous les oppresseurs de la liberté.

La pièce a souvent été interrompue par les applications très-fréquentes que le public a faites aux circonstances. Voici les vers qui ont été les mieux saisis :

« Pour nous donner des lois, il faut avoir des mœurs. »

« Pour servir son pays, tout homme est un soldat. »

« On n’a jamais de maître, alors qu’on sait mourir. »

Celui-ci, adressé au tyran, est profondément senti :

« Tu ne dois mépriser que ceux qui t’obéissent. »

Cette pièce offre des longueurs, la marche est entravée par des scènes détachées et des tirades déclamatoires ; le troisième acte a excité quelques murmures, nous les attribuons au plaidoyer que l’auteur feroit bien de resserrer. Le style est inégal, quelquefois lâche, souvent nerveux, les idées grandes, par-fois sublimes : plusieurs vers en situation sont d’un effet immanquable : des corrections peuvent perfectionner cet ouvrage. On a demandé l’auteur, M. Dupont est venu dire qu’il étoit anonyme, et aussitôt plusieurs voix ont crié : son nom.

Mademoiselle Raucourt a rendu avec un abandon de mère, et une fierté romaine, le rôle difficile de Numitorie. mademoiselle Fleury a foiblement joué celui de Virginie.

(1) La destruction des décemvirs eut lieu en l’an 449 avant J. C.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 11 (novembre 1791), p. 329-333 :

[Le compte rendu s’ouvre sur la traditionnelle revue des œuvres antérieures sur le même sujet. Il montre combien la première version de la pièce a peu satisfait : après un premier acte de qualité, le deuxième « a paru un peu vide », et le troisième révèle un mauvais dénouement. Après le résumé de l’intrigue, le critique revient sur les défauts de la pièce ; «  le peu de développement ne justifie pas assez son second titre : la destruction des Décemvirs […] des longueurs, sur-tout dans le troisieme acte, &. des rentrées de scene semblables, telles que celles de Numitorie, qui paroît deux fois dans la même situation, & sans faire marcher l'action ». Il montre aussi que ces défauts sont compensés apr des qualités : « les grands mouvemens, […] les beaux vers qui y sont semés [...]très bien versifié en général [...]des. applications à faire dans tous les sens ». Cette richesse en applications possibles est d’ailleurs critiquée : le public finit par ne plus faire que les chercher, et même si, comme dans cette pièce, ils « naissent du fond du sujet », cela « nuit toujours à l’attention qu’on doit prêter à l’ouvrage ».

Dans une dernière partie, le critique présente une liste de modifications à l’auteur, née de la première représentation, puis constate, ayant assisté à la deuxième représentation, que ses suggestions ont été retenues et mises en pratique.]

THÉATRE DE LA NATION.

Le mercredi 31 août, on a donné la première représentation de Virginie ou la destruction des Décemvirs, tragédie en trois actes.

Le sujet de cette piece n'a pas besoin d'être expliqué : c'est un des plus célebres de l'histoire romaine, & il a été traité par plusieurs auteurs très-connus, Campistron, M. le Blanc, M. de la Harpe, &c. On a toujours cru qu'il ne comportoit guere qu'une belle scene : cette idée a vraisemblablement déterminé l'auteur de la tragédie nouvelle à la resserrer en trois actes. Le premier a eu un grand succès, & l'action s'y annonce avec autant de chaleur que de vivacité. Le second a paru un peu vide. Dans le dernier, le dénouement, précédé de longs discours, n'est point cependant préparé. Voici comment l’auteur a conçu son plan.

Virginie, au moment d'épouser Icilius, est réclamée par Marcus Claudius, qui prétend qu'elle est fille d'une de ses esclaves, & qu'elle lui appartient à ce titre. En vain Numitorie, mere de Virginie, atteste les dieux & sa tendresse pour sa fille, cette jeune infortunée est traînée au palais d’Appius, qui doit juger cette affaire. Icilius, après avoir fait un tableau repoussant du despotisme des décemvirs, qui ont remplacé les rois & les consuls, après avoir dit qu'au lieu de donner la paix aux Romains, ils ont prolongé leurs malheurs, menace le tyran Appuis, qui le fait arrêter lui & les plébéiens ses amis. On répand bientôt la nouvelle que Virginius est mort dans son camp : Appius, triomphant, fait entendre des faux témoins, pour prouver que Virginie appartient à Claudius. Virginie va être arrachée du sein de sa mere, des bras de son époux, lorsque Virginius arrive. Ce tendre pere presse en vain les Romains de lui faire rendre justice, &, voyant qu'il n'a plus d'espoir, il demande la permission d'embrasser sa fille pour la derniere fois. C'est dans cet épanchement qu'il lui plonge son poignard dans le sein. Appius, furieux, veut le faire arrêter, les licteurs mettent bas leurs faisceaux, la désobéissance est complette, & le peuple lui même entraîne Appius au sénat.

Ainsi finit cet ouvrage, dont le peu de développement ne justifie pas assez son second titre: la destruction des Décemvirs. Il y a aussi des longueurs, sur-tout dans le troisieme acte, &. des rentrées de scene semblables, telles que celles de Numitorie, qui paroît deux fois dans la même situation, & sans faire marcher l'action. Mais le défaut de marche de cette piece est bien racheté par les grands mouvemens, & par les beaux vers qui y sont semés. Il est très bien versifié en général, & présente des. applications à faire dans tous les sens : car le public ne cherche plus malheureusement une piece, quand il va au spectacle ; il n'est avide que d'applications, & il s'établit ainsi une espece de petite lutte, qui nuit toujours à l'attention qu'on doit prêter à l'ouvrage. Tous les vers d'application y naissent cependant du fond du sujet, & l'on voit clairement qu'aucun n'y est cloué exprès. Une foule de beaux vers ont été vivement applaudis, tels que ceux-ci :

Pour nous donner des loi», il faut avoir des mœurs.

Numitorie, dit aux décemvirs :

Vous ne connoissez pas les transports d'une mere,
Toute la dignité d'un si saint caractere.
Au cri du désespoir, tyrans, frémissez tous !
La nature outragée est plus forte que vous.
Armés & réunis, que pourriez vous contre elle ?
Vous régnez un moment, sa force est immortelle.

Enfin, si l'auteur veut sacrifier quelques-uns des monologues qui sont trop fréquens dans sa piece ; s'il veut couper une partie du rôle de Virginius, & sur-tout retrancher beaucoup de la scene où Appius cherche à séduire Icilius, scene presque inutile à la piece, nous ne doutons pas que son ouvrage ne reste avec avantage au théatre.

Mlle. Raucourt a été souvent sublime dans le rôle de la mere de Virginie. Mlle. Fleury a joué cette derniere avec sensibilité, & MM. Saint-Phal, Vanhove, Naudet & Dupont ont rempli les autres rôles. On a demandé l’auteur, & M. Dupont est venu dire qu'il gardoit l'anonyme.

On a vu arec satisfaction, qu'à la seconde réprésentation de cette tragédie, l'auteur avoit fait toutes les corrections qui lui avoient été indiquées. On lui avoit reproché d'avoir mis trop de monologues, il en a retranché deux : on avoit dit que la scene de séduction d'Appius & d'Icilíus ne tenoit pas au sujet, il l'y a attachée avec beaucoup d'adresse : enfin on avoit parlé des longueurs & du peu de développemens de son dénouement, qui ne justifioit pas assez son second titre, la destruction des décemvirs, tout cela a été refait, & tout cela marche maintenant très-bien. Virginius parle moins long-tems ; c'est sa fille qui lui demande la mort, & dès qu'il a cédé à ses vœux, le peuple indigné, se jette sur Appius ; on entend ce cri des soldats :

Liberté ! Liberté ! plus de décemvirat :

On vient annoncer que tous les décemvírs sont traînés au sénat, qui doit les juger ; & Virginius termine la piece en disant :

. . . . Je perds, hélas ! ma chere Virginie. . . .
Romain, je me console en sauvant ma patrie.

L'auteur de cet estimable ouvrage a bien voulu ne négliger aucun des avis qu'on lui avoit donnés, & il a réussi à rétablir la régularité de sa marche. Aussi cette tragédie a été applaudie avec transport, depuis le commencement jusqu'à la fin, & le public n'a eu qu'une voix pour convenir que le style en étoit très-soigné, que les situations se succédoient avec rapidité, & que l'ouvrage, ainsi corrigé, annonçoit un très-grand talent.

D’après la base César, l'auteur est « M. Doigny Du Ponceau dit Un Citoyen de l'univers ».
César ne connaît qu'une date de représentation, celle de la création le 31 août 1791, au Théâtre de l’Odéon. Mais le site de la Comédie Française affirme à partir des registres de recettes que la pièce y a été jouée 4 fois en 1791-1792. La Harpe, dans son édition de sa
Virginie affirme que la pièce de Doigny a été jouée trois ou quatre fois et qu’elle n’a pas été imprimée.

André Tissier, Les spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 1, p. 491, lui attribue également 4 représentations, et signale qu’elle figure dans les œuvres de Doigny Du Ponceau, tome 2 (paru en 1826), p. 431-493. On peut les consulter sur le site de la BNF.

 

Sur le traitement au théâtre du sujet, on peut lire (sur Internet) :

Sophie Marchand. VIRGINIE. ÉVOLUTION DU TRAITEMENT D’UN SUJET ANTIQUE. Pierre Frantz, Mara Fazio, Vincenzo de Santis. Les arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen, 1760-1830, Classiques Garnier, pp.69-81, 2018. hal-03312791

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