Voyage épisodique et pittoresque aux Glaciers des Alpes

Voyage épisodique et pittoresque aux Glaciers des Alpes, suivi de la Duchesse de la Vallière, tragédie, et des Aveugles de Franconville, comédie, de M. F. Vernes,

Sur la page de titre du livre, à Paris, chez Gautier et Bretin (1807) :

Voyage épisodique et pittoresque aux glaciers des Alpes, suivi de la Duchesse de La Vallière, Tragédie en cinq actes en Vers ; et des Aveugles de Franconville, par M. F. Vernes, de Geneve.

Le livre numérote à part les pages du Voyage épisodique et les deux pièces de théâtre.

Chacune des deux pièces est précédée d’une préface.

Pour la Duchesse de la Vallière (p. iii-ix) :

Si les moindres faits, les souvenirs les plus fugitifs qui nous ramènent au siècle de Louis XIV, portent avec eux un intérêt dont l'imagination séduite, et la raison même ne peuvent se défendre, combien ne doit pas être puissant cet intérêt, quand il nous occupe de Louis XIV lui-même, de ce monarque qui vivifia son siècle, et lui imprima ce caractère de grandeur qui étonne encore la postérité, comme il étonna ses contemporains ! Telle est la puissance de cet intérêt, que, même sans entourer Louis XIV de l'éclat de son règne, de tous les grands souvenirs, de tous les vestiges de sa gloire qui frappent encore nos regards, nous l'aimons jusques dans nos faiblesses ; nous soulevons avec plaisir le manteau du monarque, pour retrouver en lui l'homme ; nous nous avouons, à notre honte que, plus parfait peut-être, il nous intéresserait moins ; et le désir secret d'excuser, nos propres défauts fait que nous nous plaisons à les rencontrer, revêtus de tous leurs attraits, dans l'ame la plus noble, la plus grande, celle qui semblait devoir leur être le plus supérieure. Disposés d'avance à pardonner à Louis XIV les nœuds illégitimes que lui a fait former l'amour, combien ce pardon ne nous paraît-il pas justifié, s'il arrive que l'objet de ses affections soit une de ces femmes rares en qui la nature ait réuni ce que la beauté a de plus enchanteur, et ce qui reste à la vertu de plus touchant au sein des faiblesses de l'amour ! une de ces femmes, dis-je, dont la physionomie annonce la destinée, en peignant ce caractère de sensibilité, qui quelquefois peut tenir lieu de beauté, de grace même, et fonde toujours leur plus sûr empire. L'intérêt n'est-il pas alors à son comble, et ne nous plairons-nous pas à suivre en eux, jusques dans les moindres détails, les combats de l'amour et du devoir, des plaisirs du monde et des austérités de la religion ?

Telles sont les causes, ce me semble, qui, indépendamment du talent de l'auteur, ont assuré le plus brillant succès au roman historique de la duchesse de la Vallière, et m'ont fait tenter de transporter le même sujet au théâtre. Je l'ai tenté sans me dissimuler qu'un sujet si heureux, comme roman historique, était trop près de nous pour devenir un roman dramatique ; et qu'en passant sur notre scène, il se hérissait d'épines, de difficultés impossibles à lever, à moins d'altérer essentiellement la vérité de l'histoire. Résolu de la respecter, j'ai travaillé, mais sans me flatter d'obtenir de long-temps les honneurs de la représentation théâtrale : le seul intérêt du sujet et son charme touchant m'ont soutenu dans ce long travail ; heureux s'ils sont sentis de mes lecteurs, et me font trouver grace devant eux ! C'est ainsi que le rôle si tendre de madame de la Vallière, et le rôle pathétique du comte d'Ercy, m'ont semblé pouvoir faire oublier ce qui manque à celui de Louis XIV ; ou ce que je n'ai osé lui prêter.

L'on distingue en général deux espèces de Tragédies ; l'une qui tient aux intérêts politiques, et l'autre aux affections du cœur , telles que l'amour et l'amitié : c'est de cette dernière que parle Despréaux dans son art poétique, quand il dit :

            De l'amour la sensible peinture
Est pour aller au cour la route la plus sûre.

C'est à la même que M. de la Harpe semble donner la prééminence quand, dans son cours de Littérature, il prétend, d'après ses propres observations, que de toutes les Tragédies, Zaïre est la plus touchante, et celle qui a obtenu le plus constant succès.

C'est enfin dans le même sens que Voltaire dit en écrivant à Maffé : L'amour est la passion la plus théâtrale, la plus féconde en sentimens, la plus variée.

Appuyé de l'opinion de ces écrivains célèbres dans le choix de mon sujet, je n'ai pas cru que l'illégitimité des nœuds qui existaient entre Louis XIV et madame de la Vallière, le rendit indigne de la muse tragique ; outre que Melpomène a droit de s'emparer de tous les personnages qui, élevés sur la scène du monde, arrêtent les regards de la postérité par leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, pourquoi l'illégitimité des nœuds de Louis XIV et de madame de la Vallière les rendrait-elle indignes du Théâtre, si l'amour, la religion, la morale peuvent en tirer les effets les plus pathétiques et les plus importantes leçons ? Quoique madame de la Vallière rappelle, jusques dans sa conversion, ce sentiment douloureux et tendre que j'ai tâché d'exprimer dans ce vers de la pièce :

Mais le remords n'est pas l'oubli de ce qu'on aime !

ce n'est plus la maîtresse de Louis XIV que nous finissons par voir en elle, mais une ame régénérée, pénitente, sublime, en qui les écarts des passions n'ont pu éteindre la vertu, et qui, d'une chûte que tant de séductions puissantes rendaient presque inévitable, se relève d'autant plus grande qu'elle s'est plus abaissée. Je ne peins cette femme intéressante, la seule que Louis XIV ait véritablement aimée, que dans le moment où elle rompt ces nœuds chéris, où elle renonce à un rôle indigne de sa naissance et de ses sentimens ; dans un moment enfin, où la plus belle victoire qu'aient jamais remportée la religion et la vertu sur une passion vive et profonde, la rend digne des regards de la postérité.

La poésie ou les romans nous présentent ordinairement la nature embellie dans ses formes, ou exagérée dans ses sentimens ; mais, au rapport de tous les historiens du temps, madame de la Vallière fait une heureuse exception à la règle, et ici la vérité pour plaire n'a besoin d'emprunter aucun trait ; aucun charme à la fiction. Héloïse, et cette intéressante victime de l'amour, sont peut-être les seules femmes dont le nom ne peut se prononcer sans faire vibrer, en quelque sorte, les cordes les plus sensibles du cœur, et réveiller les mots de félicité, de repentance, d'infortune et d'amour. Mais quelle différence la vertu ne met-elle pas dans leur chûte et dans leur repentir ! Madame de la Vallière ne semble avoir aimé que pour rendre ensuite plus éclatant le triomphe de la religion ; Héloïse, au contraire, ne va pleurer dans son couvent que la perte de son premier bonheur ; celle-ci brûle, sans remords, de feux illégitimes : les remords se mêlent à tous les soupirs de l'autre, et l'on peut dire que sa pénitence a commencé avec ses égaremens : l'une enfin égare le cœur en l'attendrissant ; l'autre, qui le touche plus profondément encore, l'épure et lui fait sentir le néant de ses plaisirs.

« L'abbé de Choisy (dit madame de Genlis) qui connaissait depuis son enfance madame de la Vallière, loue avec effusion son caractère et sa douceur ; il applique à sa figure, ce vers de Lafontaine :

Et la grace plus belle encor que la beauté ! »

Madame de Sévigné, en parlant d'elle, l'appelle toujours l'humble violette. « Madame de la Vallière, dit le duc de St.-Simon, modeste, désintéressée, douce, bonne au dernier point, combattant sans cesse contre elle-même, triomphant enfin de son désordre, finit par fuir la Cour, et par se dévouer à la plus austère et la plus sainte pénitence. »

Je ne me suis pas appliqué seulement à conserver la vérité des faits, mais encore celle des caractères ; j'ai tâché de peindre mesdames de la Vallière et de Montespan, Louis XIV et le comte d'Ercy (marquis de de Bragelone) des mêmes couleurs que l'histoire. A l'arrivée du comte d'Ercy à la cour de Louis XIV, l'on n'y parlait plus que de madame de Montespan : il n'est donc pas étonnant qu'au moins, durant le premier jour, il ait ignoré les amours de Louis et de madame de la Vallière ; au reste, cette ignorance même, et sa mort qu'occasionna immédiatement leur découverte, sont des faits historiques qui ne peuvent être taxés d'invraisemblance.

Avant la préface du Voyage pittoresque et pittoresque, figurent des « errata de la tragédie », qui sont en fait des rectifications de style :

ERRATA DE LA TRAGÉDIE.

Page 43 vers 9e Trop tendre et trop sensible, lisez :

Jeune, tendre et sans guide.

Page 53 vers 6e Voir sa honte briller de tout l'éclat du trône,

A ce vers , dont la construction est peut-être trop hardie , l'on peut y substituer celui-ci :

Voir sa honte affichée au pied même du trône.

Les Aveugles de Franconville sont précédés d’un court avertissement dans lequel l’auteur défend ses droits sur un sujet qui a été traité par un autre

AVERTISSEMENT.

LES AVEUGLES DE FRANCONVILLE ont déjà fait le sujet d'un opéra joué sur l'un des théâtres de la capitale ; l'Auteur l'avait tiré d'un épisode de mon VOYAGEUR SENTIMENTAL EN FRANCE ; il en avait pris le titre, le plan, quelques dialogues, et la romance des deux aveugles ; qu'on ne s'étonne donc pas de retrouver ces mêmes emprunts dans ma comédie qui, à l'époque où parut l'opéra, était déjà commencée, et qui en diffère d'ailleurs dans tout le reste ; nul n'avait plus de droit que moi à faire usage de mon propre ouvrage, mais je devais en prévenir le lecteur pour ne pas être accusé de plagiat.

L’opéra dont parle Vernes, c’est les Aveugles de Franconville, opéra comique de Armand Croizette et Châteauvieux, musique de Lebrun, joué le 9 floréal an 10 [29 avril 1802] au Théâtre Montansier-Variétés

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 12e année, 1807, tome IV, p. 461 :

[Il s’agit de la présentation d’un ouvrage plutôt composite, comprenant à la suite un récit de voyage, une tragédie et une comédie, les deux œuvres dramatiques n’ayant pas encore été représentées.]

Voyage épisodique et pittoresque aux Glaciers des Alpes, suivi de la Duchesse de la Vallière, tragédie en cinq actes, et des Aveugles de Franconville, comédie en un acte en prose ; par M. F. Vernes , de Genève. 1806. in-12 d'environ 500 pages ; avec une jolie gravure. Prix: 3 fr. et 4 fr. franc de port. A Paris, chez Gautier et Bretin , libraires rue Saint-Thomas du Louvre, n°. 30, à côté de l'Hôtel des Pages.

Ce Voyage n'est pas uniquement à la manière de Sterne. L'auteur en consacre une bonne partie à la description des sites des montagnes qu'il parcourt ; il introduit plusieurs scènes plaisantes où figurent ses compagnons de voyage, et principalement un certain père La Joie chargé de pourvoir à l'approvisionnement de la caravane. Les descriptions ne présentent que les traits les plus frappa-ns des glaciers. M. Vernes a mêlé à ses tableaux quelquefois burlesques des épisodes touchans et dans cette imitation du voyage sentimental, quelque délicate qu'elle soit, on peut dire qu'il n'a pas été un des émules les plus malheureux de Sterne. Cet auteur original a trouvé d'enthousiastes admirateurs ; mais parmi les écrivains mêmes de sa nation, des littérateurs estimables ont plutôt vu de l'affectation dans sa manière que cette simplicité piquante dont on fait tant de cas : c'est en particulier le sentiment de Blair, ensorte qu'il n'est pas probable que ceux qui embrasseront le sentiment de ce grand écrivain, applaudissent au travail de M. Verne ; mais s'il a pour lui tous les partisans de Sterne, il pourra facilement se consoler par leur nombre.

Cet ouvrage est distribué par chapitres coupés quelquefois par des pièces de vers ingénieuses. L'ode où l'auteur trace le tableau poétique des Alpes, ne nous paroit pas également bonne.

Le sujet de la tragédie qui a pour titre la Duchesse de la Vallière, est puisé dans le roman dé madame de Genlis. « L'auteur peint cette Femme intéressante, la seule que Louis XIV ait véritablement aimée, dans le moment où elle rompt des nœuds chéris, où. elle renonce à un rôle indigne de sa naissance et de ses sentimens, dans un moment où la plus belle victoire qu'aient jamais remporté la religion et la vertu sur une passion vive et profonde, la rend digne des regards de la postérité ». Telle est la circonstance sur laquelle il a formé son plan. Si sa pièce n'offre rien de bien tragique, elle peut être intéressante lotis d'autres rapports, mais il seroit injuste ou indiscret de porter son jugeme,t avant le publie qui n'a pu encore prononcer le sien sur la représentation de cette pièce.

La comédie des Aveugles de Franconville, est tirée d'un épisode du Voyageur sentimental en France, ouvrage du même auteur. Elle n'a point encore été représentée.

La seconde édition de cet ouvrage ne comprend plus les pièces de théâtre.

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