Werther et Charlotte

Werther et Charlotte, drame lyrique en un acte & en prose ; paroles de Jean-Élie Dejaure, musique de Rodolphe Kreutzer, 1er février 1792.

Théâtre Italien.

Titre :

Werther et Charlotte

Genre

drame lyrique mêlé d’ariettes

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

1er février 1792

Théâtre :

Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

Jean-Élie Dejaure

Compositeur(s) :

Rodolphe Kreutzer

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Cailleau, 1792 :

Werther et Charlotte, drame-lyrique en un acte, en prose, Par M. De Jaure. Musique de M. Kreutzer. Représenté pour la première fois à paris, par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi, le 1 Février 1792.

Réimpression de l’ancien Moniteur, tome onzième (Paris, 1862), Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 36 (Dimanche 4 Février 1792), p. 304 :

[Sans aller jusqu’à dire le sujet impossible, le critique en souligne la difficulté : « ce qui peut convenir à la lecture où les longs développements sont permis, ne convient pas de même au théâtre ». Il se contente ensuite de souligner le caractère inégal des « détails » de la pièce, et la beauté de la musique, trop travaillée pourtant. C’est le musicien que le public a réclamé.]

THÉÂTRE ITALIEN.

Charlotte et Werther, donnée dernièrement a ce théâtre, a été accueillie avec beaucoup d'intérêt. Tout le monde connaît le roman de Goethe, intitulé : Les passions du jeune Werther. C'est le dénouement de cet ouvrage que l'auteur a voulu mettre en scène, et il a pu se convaincre d'une chose déjà dite et prouvée depuis long-temps, que ce qui peut convenir à la lecture où les longs développements sont permis, ne convient pas de même au théâtre, où l'on ne veut voir que des événements rapprochés et une action rapide.

Charlotte est mariée à Albert. Werther vient chaque jour la voir. Ce jeune homme, d'un caractère impétueux, s'est épris pour elle d'une passion insurmontable, à laquelle Charlotte, quoique vertueuse et respectant ses devoirs, n'est pas totalement insensible. Albert n'est point jaloux ; mais par égard pour les bienséances, il charge son épouse d'engager Werther à lui rendre des visites moins fréquentes. C'est un coup de foudre pour ce jeune homme, qui s'était fait une douce habitude de voir chaque jour l'objet aimé, sans oser porter plus loin ses espérances. Il devient furieux, et quitte Charlotte en prétextant un long voyage. Peu après il fait prier Albert de lui prêter ses pistolets ; celui-ci charge sa femme de les remettre au valet de Werther. Charlotte , qui en prévoit l'usage, effrayée par le caractère de son jeune amant, tombe aux pieds de son époux, lorsqu'elle se trouve seule avec lui, et lui fait part de tout ce qui s'est passé. Albert veut voler au secours du jeune homme ; on entend un coup de pistolet; Charlotte tombe évanouie ; mais le vieux valet de Werther vient annoncer qu'il a eu le bonheur de détourner le pistolet, et que son maître n'est point mort. Werther reparaît pour faire des excuses, et promettre de renoncer à sa passion.

Cette pièce est de M. Dejaure, connu à ce théâtre par beaucoup de succès. Il y a dans cet ouvrage des détails très intéressants, comme la scène d'adieux entre Werther et Charlotte, rendue avec beaucoup de chaleur et de sensibilité par madame Saint-Aubin et M. Michu. D'autres, moins heureux, comme les jeux enfantins de Werther avec les neveux d'Albert élevés par Charlotte. La musique a paru fort belle, travaillée avec soin, même un peu trop travaillée. L'auteur, M. Kreutzer, est jeune; il a beaucoup d'idées ; il devrait se défier davantage de son goût pour les modulations fréquentes et recherchées, qui, trop multipliées, ne produisent plus d'effet, et ne servent qu'à fatiguer l'attention des auditeurs. A cela près, cette composition a beaucoup de mérite. Le public l'a demandé à grands cris, et il s'est rendu à ses ordres.

Mercure Français, n° 7 du 18 février 1792, p. 79 :

[Du même auteur, M. Dejaure, sur le même théâtre, le Théâtre Italien. Sinon, sujet difficile que cette tentative d’adapter au théâtre le roman de Goethe. Le critique y voit une réussite partielle, grâce aux détails. Et « la musique aussi a beaucoup de mérite ».]

Le même auteur y a donné depuis Charlotte & Werther, en musique. Tout le monde connaît le roman des Passions du jeune Werther, & sent la difficulté qu’il y avait à mettre un pareil sujet sur la scène, d’une maniere satisfaisante. L’Auteur a vaincu, autant qu’il était possible, cette difficulté. Les détails sur-tout ont soutenu cette Piece. La musique a aussi beaucoup de mérite ; elle est de M. Kreützer.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 4 (avril 1792), p. 355-357 :

[Ce compte rendu est une excellente leçon sur la façon dont il faut choisir les sujets. Aux yeux du critique, le sujet choisi par Dejaure ne peut être mis sur la scène, parce qu’il n’offre pas de « dénouement heureux », mais aussi parce qu’il oblige à concentrer les événements en un laps de temps trop court, ce qui nuit «  à l'effet, à la vérité, & même à la vraisemblance » (avec une hiérarchie intéressante, de l’effet à la vraisemblance). Par suite, la critique de la pièce va de soi : le dénouement est « vicieux » et «  laisse tous les personnages malheureux & le public lui-même dans l'inquiétude ». la pièce est « longue et froide » (deux reproches faits très fréquemment dans les comptes rendus), ce qui n’a pas empêché son succès, attribué par le critique au goût du temps pour ce qui est sombre («  les pistolets, les cachots & les chaînes »). Et le style ne manque pas de mérite. Le compte rendu s’attarde plus sur la musique, jugée assez positivement (de beaux morceaux, mais «  beaucoup de bruit, beaucoup de notes, des changemens brusques de modulations », dans l’air du temps) que sur l’interprétation « cette piece est très bien jouée »).

Le mercredi 1er. février, on a donné la premiere représentation de Verther & Charlotte, comédie en un acte & en prose, mêlée d'ariettes ; paroles de M. de Jaure, musique de M. Kreutzer.

L'ouvrage allemand de Goëth, les Passions du jeune Verther, ne pouvoit pas offrir un sujet dramatique satisfaisant, puisqu'il n'offroit pas un dénouement heureux : il est toujours difficile, d'ailleurs, de peindre à la scene, dans le court espace d'un acte, des passions dont le développement a coûté plusieurs volumes au romancier : il faut alors rapprocher singuliérement les faits, & leur rapprochement nuit souvent à l'effet, à la vérité, & même à la vraisemblance : c'est comme si l'on vouloit réduire un très-grand tableau, ou en découper successivement une tête, un bras, une draperie, pour en faire une espece de mosaïque.... Si nos auteurs dramatiques ne peuvent plus rien inventer, au moins qu’ils choisissent bien leurs sujets, & qu'ils laissent dans les bibliotheques ceux qu'il est impossible de transporter sur la scene.

Du nombre de ces sujets, est celui de Werther & Charlotte, Charlotte, épouse d'Albert, homme digne de son estime & même de son amour, est adorée par Werther, dont les passions vont jusqu'au délire : elle le force à fuir la maison de son époux : Werther obéit avec douleur ; mais il prie Albert de lui prêter ses pistolets. Celui-ci les lui envoie ; Charlotte s'effraie. Au même instant on entend partir un coup de pistolet : effroi des deux époux !... Werther n'est pas mort : Ambroise, son fidele domestique, a eu l'adresse de détourner le coup : Werther lui-même vient se jetter dans les bras de Charlotte & d'Albert. Ceux-ci lui reprochent le crime qu'il vouloit commettre. Werther leur promet de ne plus attenter à ses jours ; puis, il les quitte, comme l'Amant bourru, pour mettre entre eux & lui, l'immensité des mers... Dénouement vicieux, qui laisse tous les personnages malheureux & le public lui-même dans l'inquiétude ; car si le fougueux Werther s'est manqué, le spectateur est sûr qu'il se tuera un autre jour. Ou il falloit que Werther mourût, ou il falloit ne pas entreprendre de le mettre au théatre. Cette piece, d'ailleurs longue & froide, a eu néanmoins du succès, attendu qu'elle est très-noire, & que les pistolets, les cachots & les chaînes, sont maintenant d'un effet merveilleux. II y a d'ailleurs du mérite de style, & l'on y reconnoît aisément l'auteur de l'incertitude maternelle, des Epoux-réunis, du franc Breton , &c.

La musique de M. Kreutzer, offre des morceaux bien faits, entr'autre [sic] une invocation à la nature, dont les paroles sont imitées d'Ossian, & qui a le mérite de la mélodie. Toujours beaucoup de bruit, beaucoup de notes, des changemens brusques de modulations ; mais c'est la maniere de la plupart de nos jeunes compositeurs. Cependant M. Kreutzer, qui fait des pas très-remarquables dans la carriere dramatique doit obtenir des succès sans le secours de tous ces efforts de l'art ; & la musique de Werther & Charlotte, remplie d'ailleurs d'ame & d'expression, est faite pour ajouter beaucoup à sa réputation.

Cette piece est très-bien jouée par. Mde. S. Aubin, & par Mrs. Michu , Chenard & Crettu.

D’après la base César, la pièce a été jouée 13 fois en 1792, mais elle n'a plus connu que 6 représentations du 30 janvier 1793 au 5 novembre 1795.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 444, signalent que le titre est parfois inversé : Charlotte et Werther. La pièce aurait été jouée jusqu’en 1798.

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