Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Action.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 26-27 :
ADMIRATION. Cet Enthousiasme momentané, qui élève & transporte l'ame à la vue d'une belle action ou d'un beau sentiment,est devenu parmi nous un des grands ressorts de la Tragédie. II n'a pas été tout-à fait inconnu aux anciens : on peut s'en convaincre par quelques traits du Philoctete de Sophocle. Mais ils paroissent en avoir fait peu d'usage, & lui ont préféré, avec raison, les deux grands ressorts de la Tragédie, la Terreur & la Pitié. C'est Corneille qui a créé parmi nous ce moyen tragique. Nourri de la lecture de Lucain, de Séneque 8c des Poëtes Espagnols, dans lesquels on trouve toujours de la grandeur, il a fait de ce sentiment, l'ame de son Théâtre. II entre dans le Cid qui préfère son honneur à sa Maîtresse : dans Cinna, où une Amante expose son Amant pour venger son pere, où un Empereur pardonne à son assassin qu'il avoit comblé de bienfaits : dans Polyeucte, où une femme se sert du pouvoir qu'elle a sur son Amant,. pour sauver son mari : dans Héraclius, où deux amis se disputent l'honneur d'être fils de Maurice, pour mourir au lieu de régner. Il a même soutenu des Piéces entieres avec ce seul ressort : tels font Sertorius & sur-tout Nicomede, où l'on voit un jeune Prince opposer une ame inébranlable & calme à l'orgueil despotique des Romains, à la perfidie d'une marâtre, & à la foiblesse d'un pere qui le craint, & qui est prêt à le haïr. Le caractère de Nicomede, dit M. de Voltaire, combiné avec une intrigue terrible, comme celle des Rodogune, auroit été un chef-d'œuvre. Il paroît que l'exemple de Corneille est trop dangereux pour pouvoir être imité. L'Admiration est un sentiment qui s'épuise & qui demande à finir. Corneille lui-même, malgré son génie, n'a pu éviter la longueur dans les Piéces où il a fait, de l' Admiration, la base du Tragique. L'adresse consiste à combiner l’Admiration avec le ressort de la Terreur & la Pitié. Quand ces trois moyens sont réunis ensemble, l'art est porté à son comble. Racine semble avoir, à l'exemple des Grecs, négligé d'exciter le sentiment de l'Admiration , excepté dans Alexandre, où il imitoit encore Corneille.
Quoique Bajazet se montre généreux, quoique Iphigénie s'apprête à recevoir la mort avec courage, avec trop de courage, cette générosité indispensable dans un Héros de Tragédie, ne fait le fonds d'aucune Piéce de Racine. M. de Voltaire paroît être un de ceux qui ont le mieux connu la puissance du sentiment de l'Admiration ; mais il l'a toujours combiné avec un intérêt plus Théâtral. Voyez au cinquième Acte d'Alzire, le retour de Gusman, qui va pardonner à son rival & à son meurtrier. C'est une beauté du genre admiratif ; mais elle seroit beaucoup moins Dramatique, si le fonds étoit moins intéressant. La Scène du Fanatisme où Mahomet révele à Zopire tous ses grands projets, est une beauté à-peu-près du même genre, comme l'entrevue de Pompée & de Sertorius dans la Tragédie de Corneille ; mais combien celle-ci est moins Théâtrale ! C'est qu'elle n'excite que l’Admiration sans intérêt, & que ce sentiment cesse avec la surprise qui l'a produit.
Références :
Pièces :
Corneille, lecteur de Lucain, de Sénèque, des poètes espagnols.
Corneille, le Cid.
Corneille, Cinna.
Corneille, Héraclius.
Corneille, Polyeucte.
Corneille, Sertorius.
Racine, Alexandre (la seule de ses pièces où l’admiration sert de ressort dramatique).
Racine, Bajazet.
Racine, Iphigénie.
Sophocle, Philoctète.
Voltaire, Alzire, acte 5.
Voltaire, Mahomet.
Critique littéraire :
Voltaire (à propos de personnages de Corneille).
Ajouter un commentaire