Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Amitié.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 64-66 :
AMITIÉ. L' Amitié, sans être une passion comme l'amour, l’ambitìon &c. a produit dans certaines ames de si grands effets de générosité, de renoncement à soi-même ;ce sentiment est si doux, si sublime, si consolant pour l'humanité, qu'il a plusieurs fois rempli la Scène avec succès. Par sa nature, il est une source de beautés du genre admiratif, & les deux amis peuvent être placés dans des situations qui produisent des beautés non moins Dramatiques que celles de la Terreur & de la Pitié.
L'importance des intérêts, la grandeur des sacrifices est encore ici nécessaire. L'Amitié seule ne peut produire de grands mouvemens au Théâtre, que quand un ami sacrifie à son ami un Thrône, une grande passion , ou même sa vie. Le combat d'Oreste & de Pylade, à qui mourra l'un pour l'autre, la dispute d'Héraclius & de Martian, qui se prétendent tous deux fils de Maurice pour épargner la mort à leur ami, sont ce que nous avons au Théâtre de plus touchant en ce genre.
L'égalité parfaite semble être nécessaire entre les amis, & relever le caractère de l'un & de l'autre. On est fâché de voir dans Andromaque, Pylade si fort au-dessous d'Oreste, qui le tutoye, & à qui il répond avec un respect qui nuit à l'effet que produiroit le Spectacle de leur amitié. Il seroit beau de voir le représentant de tous les Rois de la Grèce, tutoyé par son ami !Cette réponse sublime de Pylade à Oreste, dont il a inutilement combattu la passion:
Eh bien ! Seigneur, enlevons Hermione,
Cette réponse seroit bien plus sublime , sans ce mot de Seigneur qui la dépare.
L'Amitié fraternelle, étant plus touchante, semble être encore plus faite pour la Scène où elle ne s'est montrée encore que rarement. On est fâché que l'Amitié d'Antiochus & de Séleucus,dans Rodogune, ne produise pas plus d’effet. Corneille s'est privé lui-même des ressources qu'elle auroit pu lui fournir dans Nicomede, en reculant jusqu’à la fin de la Piéce, la reconnoissauce des deux freres. On voit ce que l'Amitié fraternelle peut produire au Théâtre, par le plaisir qu'elle fait dans Rhadamiste & dans Adélaïde, où elle n'a pu être le fonds du sujet.
L'Amitié entre un frere & une sœur, a quelque chose de plus doux encore. Electre embrassant devant Oreste l'Urne où elle croit qu'est renfermée la cendre de ce frere chéri, & disputant cette cendre à son Tyran, est le tableau le plus touchant que cette Amitié puisse offrir.
Références :
Corneille, Héraclius (dispute entre Héraclius et Martian).
Corneille, Nicomède.
Corneille, Rodogune (l’amitié d’Antiochus et de Séleucus).
Crébillon père, Rhadamiste et Zénobie (1711).
Racine, Andromaque (l’amitié d’Oreste et de Pylade).
Sophocle, Electre (la scène de reconnaissance d'Electre et d'Oreste autour de l’urne vide).
Voltaire, Adélaïde du Guesclin (1734).
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