Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Aparté.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 109-111 :
APARTÉ. C'est le nom qu'on donne à un discours que tient un Personnage sans être entendu d'un autre, soit que cet autre l'apperçoive ou ne l'apperçoive pas. Quoiqu'il y ait très-peu de cas où un homme puisse parler sans être entendu de son voisin, on a admis cette supposition au Théâtre, vu la difficulté où seroit un Personnage de laisser voir ses véritables sentimens dans des situations où il importe au Public de les connoître. C'est la Menardiere qui , dans sa Poëtique, a donné à ces discours le nom d'Aparté, qui a passé dans la langue Dramatique. De plusieurs Volumes que ce la Menardiere a faits pour le Théâtre, c'est le seul mot qui soit resté.
On trouve peu d'Aparté chez les Grecs. Ils ne sont guères que d'un vers ou deux, encore sont-ils dans la bouche du Chœur, qui les dit après qu'un Acteur vient de parler pour donner à l'autre le tems de méditer sa reponse, ou quand un Acteur arrive au Théâtre. Les Latins se sont moins asservis à cette régle. On trouve dans Plaute des Apartés d'une longueur insupportable ; mais Térence les fait beaucoup plus courts. Sénéque le Tragique s'en est permis de dix-sept vers.
L'art consiste à rendre l’Aparté intéressant par la situation du Personnage qui laisse voir les mouvemens dont il est combattu, ou qui révèle quelque secret terrible. Dans la Comédie , il faut s'en servir pour produire des jeux de Théâtre, comme lorsqu'un Acteur fait en deux mots, tout bas, une réflexion plaisante sur ce que l'autre dit tout haut, &c.
Dans tous les cas , l'Aparté est fort court, & il seroit à souhaiter qu'il ne fût que d'un mot, parce que, dans l'exacte vérité, il nous peut échapper une parole qui n'est pas entendue de celui à qui l'on parle. II est encore à propos, pour la vraisemblance, qu'un des Personnages paroisse s'être apperçu que l'autre avoit parlé, & lui demande ce qu'il a dit ; comme Harpagon qui fouille son Valet, dans l'Avare de Moliere. La Flèche dit tout bas : Ah! qu'un homme comme cela mériteroit bien ce qu’il craint, & que j'aurois de joie à le voler !
Harpagon.
Hé!
La Fleche.
Quoi ?
Harpagon.
Que parles-tu de voler ?
La Flèche.
Je dis que vous fouillez bien par-tout pour voir si je vous ai volé.
Si le besoin de la Piéce fait durer l'Aparté trop long-tems, il faut que l'autre Personnage s'étonne de la rêverie où l'autre est plongé, & paroisse inquiet de ce qui l'occupe.
II y a des Apartés très-naturels, & même nécessaires. Ce sont les discours que tient un Acteur tandis que l'autre lit une lettre ou fait autre chose. C'est une des loix du Théâtre, qu'il doit toujours y avoir quelqu'un qui parle. C'est un grand art de faire que l'Aparté influe sur la Piéce même, comme dans le Préjugé à la mode, où, tandis que Durval écrit un billet qui va le réconcilier avec sa femme, son Valet répete un rôle d'une Comédie où tout ridiculise les Maris amoureux de femmes, & empêche ainsi la réconciliation. [p. 109-111]
Références :
Pièces :
Molière, l’Avare, acte 1, scène 3 (les aparté de La Flèche quand Harpagon le fouille).
Nivelle de La Chaussée, le Préjugé à la mode (1735), acte 3, scène 11.
Plaute (de très longs aparté).
Sénèque le Tragique (auteur d’un aparté de 17 vers).
Térence (des aparté plus courts que ceux de Plaute).
Critique littéraire :
La Menardière (1610-1663), Poétique (1639)
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