Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Charge.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 231-233 :
CHARGE. La Charge en peinture est la représentation sur la toile ou le papier, par le moyen des couleurs, d'une personne, dans laquelle la vérité & la ressemblance exactes ne sont altérées que par l'excès du ridicule. Les Poëtes Comiques ont eu souvent recours à cet Art. Racine loue Aristophane de l'avoir employé dans les Guêpes. Les Juges de l' Aréopage n'auroient peut-être pas trouvé bon, qu'il eût marqué au naturel leur avidité de gagner les bons tours de leurs Secrétaires, & les forfanteries de leurs Avocats. Il étoit à propos d'outrer un peu les Personnages, pour les empêcher de se reconnoître. Le Public ne laissoit pas de discerner le vrai au travers du ridicule.
Les Plaideurs de Racine, les Fourberies de Scapin, le Bourgeois Gentilhomme, Monsieur de Pourceaugnac, la Comtesse d'Escarbagnas, sont pleins de traits chargés. Lorsque Plaute représente un Avare qui fouille son Valet, examine la main droite, la main gauche, & qui demande la troisième, Plaute employe la charge. Peut-être Moliere l'employe-t-il aussi, lorsque Harpagon, qui a vu les deux mains de son Valet, demande à voir les autres : s'il eùt seulement demandé l'autre, oubliant qu'il avoit vu la main droite & la main gauche, peut-être ce trait n'avoit-il que la proportion theâtrale. Lorsqu'il a perdu son thrésor, & qu'il s'écrie, je suis mort, je suis enterré, ce dernier mot, je suis enterré, est ce qui fait la Charge.
L’art de la Charge consiste souvent à faire énoncer avec simplicité un sentiment que d'autres ont dans le cœur, mais qu'ils cachent avec grand soin. C'est ce que fait M. Jourdain, quand il donne de l'argent au Garçon Tailleur, & qu'il lui dit , voilà pour mon Gentilhomme ; voilà pour le Monseigneur ; ma foi, s'il avoit été jusqu'à l’Altesse, il auroit eu la Bourse. II y a peu d'hommes qui trahissent leur vanité aussi naïvement. Mais cette exagération peint, avec la plus grande force, l'envie qu'ont presque tous les hommes de paroître plus qu'ils ne sont en effet. La Charge doit mettre l'objet dans le plus haut dégré d'évidence, & jamais ne le rendre méconnoissable. C'est le grand secret de Moliere.
Références :
Pièces :
Aristophane, les Guèpes (Racine félicite Aristophane d’utiliser la charge ; satire outrée de la justice, ce qui empêcherait de reconnaître les personnages).
Molière, l’Avare (utilisation de la charge, notamment dans le monologue après la découverte de la disparition de la cassette, acte 4, scène 7).
Molière, le Bourgeois gentilhomme (recours à la charge, en particulier dans la scène du garçon tailleur, acte 2, scène 5).
Molière, la Comtesse d’Escarbagnas (recours à la charge).
Molière, les Fourberies de Scapin (recours à la charge).
Molière, Monsieur de Pourceaugnoc (recours à la charge).
Plaute, l’Aulularia (scène où un avare fouille son valet et vet voir sa troisième main).
Racine, les Plaideurs (recours à la charge).
Critique littéraire :
Racine félicite Aristophane d’utiliser la charge dans les Guèpes.
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