Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Comique.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 276-282 :
COMIQUE. Ce mot, applique au genre de la Comédie, est relatif. Ce qui est Comique pour tel peuple, pour telle société, pour tel homme, peut ne pas l'être pour tel autre- L'effet du Comique résulte de la comparaison qu'on fait, même sans s'en appercevoir, de ses mœurs avec les mœurs qu'on voit tourner en ridicule, & suppose, entre le Spectateur & le Personnage représenté, une différence avantageuse pour le premier. Ce n'est pas que le même homme ne puisse rire de sa propre image, lors même qu'il s'y reconnoît ; cela vient d'une duplicité de caractère, qui s'observe encore plus dans le combat des passions, où l'homme est sans cesse en opposition avec lui-même. On se juge, on se condamne, on se plaisante comme un tiers ; & l'amour-propre y trouve son compte.
Le Comique n'étant qu'une relation, il doit perdre à être transplanté. Mais il perd plus ou moins, en raison de sa bonté essentielle. S'il est peint avec force & vérité, il aura toujours, comme certains portraits, le mérite de la peinture, lors même qu'on ne fera plus en état de juger de la ressemblance. C'est ainsi que les Précieuses Ridicules & les Femmes Savantes ont survécu aux ridicules qu'elles représentoient. D'ailleurs si le Comique roule sur des caractères généraux, & sur quelque vice radical de l'humanité, il sera ressemblant dans tous les Pays , & dans tous les siécles. L' Avocat Patelin semble peint de nos jours. L'Avare de Plaute a ses originaux à Paris. Le Misantrope de Moliere, eût trouvé les siens à Rome. L'Avarice, l'Envie, l'Hypocrisie, la Flatterie, tous ces vices & une infinité d'autres existeront par-tout où il y aura des hommes ; & par-tout ils seront regardés comme des vices : ce qui assure à jamais le succès du Comique qui attaque les moeurs générales.
Il n'en est pas ainsi du Comique local & momentané : il est borné par les lieux & par les tems, au cercle du ridicule qu'il attaque ; mais il n'en est souvent que plus louable, attendu que c'est lui qui empêche le ridicule de se perpétuer, & de se reproduire, en détruisant ses propres modèles ; & que s'il ne ressemble plus à personne, c'est que personne n'ose plus lui ressembler.
Le genre Comique François, le seul dont nous traitons ici, comme étant le plus parfait de tous, se divise en Comique Noble, Comique Bourgeois, & bas Comique.
Le Comique Noble peint les moeurs des Grands ; & celles-ci différent des mœurs du Peuple & de la Bourgeoisie, moins par le fonds que par la forme. Les vices des Grands sont moins grossiers ; leurs ridicules moins choquans ; ils sont même, pour la plupart, si bien colorés par la politesse, qu'ils entrent, pour ainsi dire, dans le caractère de l’homme aimable. Il sont d' ailleurs si bien composés, qu'ils sont à peine visibles. Quoi de plus sérieux en soi que le Misantrope ? Molière le rend amoureux d'une Coquette ; il est Comique. II le met en Scène avec un homme de la Cour, qui vient le consulter sur un Sonnet de sa composition ; & le voilà devenu Théâtral. Il l’est dans la Scène des Marquis, dans celle où la Prude Arsinoé veut le dégager de l'amour de Célimene. Le Tartuffe est un chef-d'œuvre plus surprenant encore dans l' Art des contrastes : dans cette intrigue si Comique, aucun des principaux Personnages, pris séparément, ne le seroit ; ils le deviennent tous par leur opposition en général ; les caractères ne se développent que par leurs mélanges.
Les prétentions déplacées, & les faux airs, sont l'objet principal du Comique Bourgeois. Les progrès de la politesse & du luxe l'ont approché du Comique Noble, mais ne les ont point confondus. La vanité qui a pris dans la Bourgeoisie un ton plus haut qu'autrefois, traite de grossier tout ce qui n'a pas l'air du beau monde. C'est peut-être cette disposition des esprits, qui a fait tomber en France la vraie Comédie. En effet, l'esprit & les manieres de la Bourgeoisie sont ce qu'il y a de plus favorable au Comique. Le ridicule, dans cette classe d'hommes, se montre beaucoup plus facilement, & n'en est que plus Théâtral. Le Comique ne consiste pas en des nuances fines, qui ne sont apperçues que des connoisseurs. Souvent il échappe, aux gens du peuple, des aveux naïfs, dont l'effet est toujours sûr au Théâtre. C'est le secret de Moliere dans presque toutes ses Piéces du Comique Bourgeois
Voyez, dans le bourgeois Gentilhomme, la Scène du Tailleur.
M. Jourdain, regardant son habit.
Qu'est-ce que c'est que ceci ? Vous avez mis les fleurs en en bas ?
Le Tailleur.
Vous ne m'avez pas dit que vous les vouliez en en haut.
M. Jourdain.
Est-ce qu'il faut dire cela ?
Le Tailleur.
Oui vraiment ; toutes les personnes de qualité les portent de la sorte.
M. Jourdain.
Les personnes de qualité portent les fleurs en en bas ?
Le Tailleur.
Oui, Monsieur
M. Jourdain.
Oh! voilà qui est donc bien.
Le Tailleur.
Si vous voulez, je les mettrai en en haut;
M. Jourdain,
Non, non.
Le Tailleur.
Vous n'avez qu'à dire.
M. Jourdain.
Non, vous dis-je : vous avez bien fait.
Voyez encore dans le Mariage forcé.
Sganarelle sort de chez lui, en adressant la parole à ceux qui sont dans sa maison :
Je suis de retour dans un moment : que l'on ait bien soin du logis ; & que tout aille comme il faut : si l’on m'apporte de l 'argent, que l'on me vienne quérir vîte chez le Seigneur Géronimo ; & si l'on vient m'en demander, qu’on dise que je suis sorti, & que je ne dois revenir de toute la journée.
Si les Grands mettoient leurs ridicules en évidence aussi naïvement, le haut Comique ne seroit pas si difficile. Observons que presque tous les moyens de Comique, qui excitent les éclats de rire, sont pris dans le Comique Bourgeois ; tels sont le contraste du geste avec le discours, du discours avec l'action, &c, & presque tous les autres cités à l’article Rire Théâtral.
Le Comique bas, ainsi nommé, parce qu’il imite les mœurs du bas peuple, peut avoir, comme les Tableaux François, le mérite du coloris, de la vérité & de la gaité ; il en a aussi la finesse & les graces ; & il ne faut pas le confondre avec le Comique grossier. Celui-ci consiste dans la maniere. Ce n'est point un genre à part. C'est le défaut de tous les genres : les Amours d'une Bourgeoise & l'ivresse d'un Marquis peuvent être du Comique grossier, comme tout ce qui blesse le goût & les mœurs. Le Comique bas, au contraire, est susceptible de délicatesse & d'honnêteté. Il donne même une nouvelle force au Comique Bourgeois & au Comique Noble, lorsqu'il contraste avec eux. Moliere en fournit mille exemples. Voyez, Dans le Dépit amoureux, la brouillerie & la réconciliation entre Mathurin & gros René, où sont peints, dans la simplicité villageoise, les mêmes mouvemens de dépit & les mêmes retours de tendresse, qui viennent de se passer dans la Scène des deux Amans. Moliere, à la vérité, mêle quelquefois le Comique grossier avec le bas Comique. Dans la Scène que nous avons citée, « voilà ton demi-cent d'épingles de Paris », c'est du Comique bas. « Je voudrois bien aussi te rendre ton potage », est du Comique grossier. La paille rompue est un trait de génie. Ces sortes de Scènes font comme des miroirs, où ia nature, ailleurs peinte avec le coloris de l'Art, se répéte dans toute sa simplicité.
Moliere a tiré des contrastes encore plus forts, du mélange des Comiques. C'est ainsi que dans le Festin de Pierre, il nous peint la credulité de deux petites Villageoises, & leur facilité à se laisser séduire par un scélérat, dont la magnificence les éblouit. C'est ainsi que dans le Bourgeois Gentilhomme, . la grossiereté de Nicole jette un nouveau ridicule sur les prétentions impertinentes & l'éducation forcée de M. Jourdain. C'est ainsi que dans l'Ecole des Femmes, l'imbécillité d'Alain & de Georgette, nuancée avec l'ingénuité d'Agnès, concourt à faire réussir les entreprises de l'Amant, & échouer les précautions du Jaloux.
Références :
Brueys (David Augustin de, 1641-1723), l’Avocat Patelin (1706) (avec Jean de Palaprat, 1650-1721) reprend un personnage ancien, qui est encore actuel.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, représentatif du comique bourgeois ; exemple illustré par la scène du tailleur (acte 2, scène 5) ; Nicole ridiculisant son maître et ses prétentions à l’éducation (acte 3, scène 3).
Molière, le Dépit amoureux (1656), acte 4, scène 4 : la scène entre Marinette et Gros René (vers 1427 et 1434), mélange de comique bas et de comique grossier.
Molière, l'École des femmes acte 2, scènes 1 à 5 : l’imbécillité des serviteurs aide Agnès dans ses entreprises amoureuses.
Molière, les Femmes savantes : la pièce a survécu au ridicule qu’elle représente.
Molière, le Festin de Pierre (Dom Juan mis en vers par Thomas Corneille), la scène des villageoises
Molière, le Mariage forcé, scène 1 : Sganarelle est imprégné des « valeurs » bourgeoises (le goût de l’argent, surtout de celui des autres).
Molière, le Misanthrope, représente un ridicule qui existait déjà au temps des Romains ; il est donné comme représentatif du comique noble.
Molière, les Précieuses ridicules : la pièce a survécu au ridicule qu’elle représente.
Molière, Tartuffe, représentatif du comique noble.
Plaute, l’Aulularia : le type de l’avare que la pièce montre existe encore aujourd’hui à Paris.
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