Entracte

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Entracte.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 436-438 :

ENTR'ACTE. Espace de tems qui s'écoule entre la fin d'un Acte & le commencement de l'Acte suivant, & durant lequel la représentation est suspendue, tandis que l'action est supposée se continuer ailleurs. Il ne paroît pas que les Grecs ayent jamais divisé leurs Drames par Actes, ni par conséquent connu les Entr’Actes. La représentation n'étoit point suspendue sur leurs Théâtres depuis le commencement de la Piéce jusqu'à la fin. Ce furent les Romains qui, moins épris du Spectacle, commencerent les premiers à le partager en plusieurs parties, dont les intervalles offroient du relâche à l'attention des Spectateurs ; & cet usage s'est continué parmi nous. D'abord on se contenta de baisser, à la fin de l'Acte, une toile qu'on relevoit au commencement du suivant. Bientôt on introduisit des Joueurs de flûte pour remplir les Entr'actes & pour divertir les Spectateurs par la Musique. Ensuite on y joignit des Histrions fort adroits, qui amusoient les Spectateurs par différens gestes. On disposa les Intermèdes de maniere qu'ils eussent quelque rapport à l'action principale. Dans cette vûe, on fit répéter aux Musiciens & aux Histrions le sujet de l'Acte que l'on venoit de jouer. La Musique exprimoit, par des accords, les différentes passions de chaque personne qui avoit paru dans l'Acte. Chez nous les Entr' Actes sont marqués par une symphonie de violons ou par des changemens de décorations.

Le Théâtre ne souffre point qu'une action y puisse être vue dans toutes ses circonstances, quelque resserrée qu'elle puisse être. On y suppose des combats de deux Armées qu'on ne sauroìt voir, des actions dont le spectacle seroit révoltant, &c. Les Poëtes Dramatiques ont imaginé l'intervalle des Actes, afin d'y rejetter tout ce qui seroit moins intéressant pour les Spectateurs. L'art consiste à faire un choix heureux des circonstances qu'il faut écarter, & de celles qu'on peut montrer aux yeux. Quelquefois une action ne sera belle à voir que dans le commencement. Alors il ne faut mettre sur le Théâtre que les préparations & les premiers traits, & rejetter le reste dans l'intervalle. Ainsi Etéocle & Polinice peuvent bien se disputer devant leur mere ; mais ils ne se battront pas devant elle. Souvent il n'y a que la fin d'une action qui soit intéressante. Alors il faut supposer que tout ce qu'elle a d'odieux se passe dans l'Entr'Acte , & ne réserver sur la Scène que ce qu'elle a d'intéressant. Ainsi l' Auteur d'Alzire a mis dans l'intervalle du quatrième au cinquième Acte, le meurtre de Gusman, & a gardé pour le cinquième Acte, le récit de cet attentat & le retour de Gusman , qui pardonne à son meurtrier.

La durée de l'Entr'Acte n'a pas de mesure fixe ; mais elle est supposée plus ou moins grande, à proportion du tems qu'exige la partie de l'action qui se passe derriere le Théâtre. Cependant cette durée doit avoir des bornes de supposition, relativement à la durée hypothétique de l'action totale, & des bornes réelles, relatives à la durée de la représentation. La durée de supposition, qui est la seule intéressante, paroît ne devoir jamais être prolongée par-delà douze heures, qui sont la durée moyenne d'un jour ou d'une nuit. Passé cet espace, il n'y a plus d'illusion dans la durée supposée de l'Entr'Acte.

Puisque l'Entr'Acte est fait pour suspendre l'attention, & reposer l'esprit du Spectateur, le Théâtre doit rester vuide ; & les Intermèdes dont on le remplissoit, formoient une interruption de très-mauvais goût qui ne pouvoit manquer de nuire à la Piéce en faisant perdre le fil de l'action.

Le Poëte doit laisser le Spectateur dans l'attente de quelque grand événement. II faut que l’action, qui doit remplir son Entr'Acte, excite la curiosité & fortifie l’impression qu'on a conçue; sur-tour point de repos, point de suspension. Si les Personnages reparoissoient, & que l'action ne fût pas plus avancée que quand ils ont disparu, ils se seroient tous reposés, ou ils auroient été distraits par des occupations étrangeres ; deux suppositions contraires, sinon à la vérité, du moins à l'intérêt.

Références :

Racine, la Thébaïde, ou les frères ennemis, acte 4, scène 3 : dispute entre les deux frères Etéocle et Polynice en présence de Jocaste. mais les deux frères sortent pour combattre, et la mort des deux frères est annoncée à l’acte 5.

Voltaire, Alzire ou les Américains (1736), entre les actes 4 et 5 : le meurtre de Gusman a lieu pendant l’entracte, et on en a le récit au début de l’acte 5 (acte 5, scène 2, récit de Monteze), avant le retour de Gusman, dont on apprend qu’il est vivant (acte 5, scène 4, vers 1226), et qui reparaît à la dernière scène.

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