Exposition

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Exposition.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 460-466 :

EXPOSITION. L'Exposition est la partie du Poëme Dramatique, dans laquelle l'Auteur jette les fondemens de la Piéce , en exposant les faits de l'Avant-Scène qui doivent produire ceux qui vont arriver ; en établissant les intérêts & les caractères des Personnages qui doivent y avoir part, & sur-tout en dirigeant l'esprit & le cœur du côté de intérêt principal dont on veut les occuper. Mais comme la Tragédie est une action, il faut que le Poëte se cache dès le commencement, de maniere qu'on ne s'apperçoive pas qu'il prend ses avantages, & que c'est lui qui s'arrange, plutôt que les Acteurs n'agissent. Beaucoup d'Expositions de nos Tragédies ressemblent bien moins à une partie de l'action, qu'à des Prologues des Anciens, où un Comédien venoit mettre le Spectateur au fait de l'action qu'on alloit lui représenter, en lui racontant franchemeut les aventures passées qui y donnoient lieu. Le Poëte s'affranchissoit par-là de l'art pénible de mêler les échaffaudages avec l'édifice, & de les tourner en ornemens. Corneille lui-même ne s'est pas fort élevé au-dessus de cet usage dans l'Exposition de Rodogune, où, par un Acteur désintéressé, il fait faire à un autre, qui ne l'est pas moins , toute l’histoire nécessaire à l’intelligence de la Tragédie ; & l’histoire est si longue, qu'il a fallu la couper en deux Scènes, ou l'interrompre, pour laisser parler les deux Princes qui arrivent ; & on la reprend dès qu'ils sont sortis. C'est le plus grand exemple d'une Exposition froide : mais aussi, c'est ce même Corneille qui en a donné le plus parfait modèle dans la Mort de Pompée, où Ptolomée tient conseil sur la conduite qu'il doit tenir après la victoire de César à Pharsale. Cette Exposition est imposante, auguste, attendrissante, elle forme en même tems le nœud de l'action.

La premiere régle de l'Exposition est de bien faire connoître les Personnages, celui qui parle, celui à qui on parle, & celui dont on parle, le lieu où ils sont, le tems où l'action commence :

Que dès les premiers Vers, l'action préparée,
Sans peine, du sujet applanisse l'entrée ;
Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.

Le grand secret est d'exciter d'abord beaucoup de curiosité :

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

Toute Scène qui ne donne pas envie de voir les • autres, ne vaut rien.

Si le sujet est grand, est connu, comme la Mort de Pompée, le Poëte peut tout d'un coup entrer en matiere ; les Spectateurs sont au fait de l'action commencée dès les premiers Vers sans obscurité. Mais si les Héros de la Piéce sont tous nouveaux pour le Spectateur, il faut faire connoître, dès les premiersVers, leurs différens intérêts, &c. L'oubli le plus léger suffit pour détruire toute illusion. Une petite circonstance omise ou mal présentée, décele la mal-adresse du Poëte, & affoiblit l'intérêt. Il faut expliquer tout ce qui le demande, & rien au-delà.

Corneille prétend que le Poëte est dispensé de motiver, dans l'Exposition, l'arrivée des Acteurs : c'est une licence qui peut quelquefois être prise : mai il semble qu'il est mieux de s'en passer. L'Acte est froid quand l'Exposition n'est pas amenée par un incident important. II est même à souhaiter qu'elle en soit suivie.

La maniere la plus commune, & par conséquent la plus défectueuse d'amener une Exposition, c'est de faire faire à un Acteur, par un autre, tous les récits dont il a besoin, tantôt dans le dessein d'instruire un Personnage qui n'est pas au fait, tantôt en lui rappellant ce qu'il peut avoir oublié, quelquefois même en lui disant qu'il s'en souvient, comme si c'étoit une raison de le lui redire. De-là deux défauts : celui de la ressemblance & celui de la langueur. Le Spectateur est tellement habitué à cet usage, qu'il n'est qu'auditeur dans le commencement. Il ne compte pas qu'il soit encore tems d'être ému. Les régles veulent qu'il attende ; & il abandonne le premier Acte, quelquefois davantage, aux besoins du Poëte, dans l'espérance qu'il lui ménage par-là de grandes émotions.

On doit tâcher de mettre tout en action jusqu'à l'Exposition. On en impose au Spectateur, qui se trouve d'abord dans l'illusion. Il n'apperçoit pas le Poëte sous les Personnages. L'art des préparatifs disparoît. II est difficile en effet de croire que les discours de deux Personnages passionnés ayent d'autre objet , que de développer leurs seutimens; & à la faveur de cette émotion, le Poëte instruit adroitement les Spectateurs de tout ce qu'il a intérêt qu'on sache.

Si le Poète ose débuter par une situation forte, il se mettra dans la nécessité de soutenir le ton qu'il aura pris ; & son Ouvrage y gagnera.

Si le Poëte a choisi un sujet dont l'Avant-Scène ne soit pas trop compliquée, l'Exposition en sera plus facile & plus claire : il est à souhaiter que î'action commence dans un jour illustre, ou désiré, remarquable par quelque événement qui tienne lieu d'époque, ou qui puisse le devenir. Corneille manque rarement à cette régle. Il doit se ménager, autant que son sujet peut le lui permettre, quelque description brillante qui passionne son Exposition, comme le discours de Cinna aux Conjurés, comme le récit de la mort de Cresfonte dans Mérope.

L'Exposition d'Othon est citée comme modèle : elle est naturelle, noble, bien amenée, marquée par une époque intéressante. Il s'agit de désigner un successeur à Galba. L'Avant-Scène y rentre avec beaucoup de netteté & de précision. Mais ne manque-t-elle pas l'objet de toute Exposition, qui est d'exciter un vif intérêt au moins de curiosité : Othon est amoureux de Plautine, fille de Vinius, Consul & Ministre de Galba. Albin, Consident d'Othon, conseille à son Maître de s'atacher à Camille, niéce de l'Empereur, qui leur portera l'Empire en dot. Voici comment Othon rejette cette proposition :

Porte à d'autres qu'à moi cette amorce inutile ;
Mon cœur, tout à Plautin, est fermé pour Camille.
La beauté de l'objet, la honte de changer,
Le succes incertain, l'infaillible danger,
Tout met à ces projets d'invincibles obstacles.

Un Amant qui fait entrer l'incertitude de réussir auprès d'une autre femme, dans les raisons d'être fidelle à celle qu'il aime, ne peut jamais intéresser vivement ; & Plautine, qui renonce généreusemenr à Othon, ne réchauffe pas l'intérét en lui offrant le dédommagement d'un amour au-dessus des sens.

L'Exposition de Bajazet paroît d'un ordre infiniment supérieur. Osmin arrive d'un long voyage. L'étonnement qu'il montre en entrant dans l'intérieur du Sérail, fait voir qu'il s'est passé quelque chose d'important dans son absence, & qu'il ne peut savoir. Les questions d'Acomat laissent entrevoir une partie de ses projets. Il y a peu d'Avant-Scènes aussi chargées de détails nécessaires ; & il y en a peu qui soient aussi claires. Aussi cette Exposition passe-t-elle pour un modèle unique en son genre. Mais ne pourroit-on pas lui préférer encore celles qui joignent à ce mérite, celui d'être en sentiment & en tableaux ? Il semble que celle d'Iphigénie réunit ce double avantage. Un grand Roi, réveillé par ses inquiétudes paternelles, voyant ses Soldats endormis autour de lui, forme un tableau bien noble ; & les combats de son cœur forment une Exposition bien touchante. C'est encore le mérite de Sémiramis. Le Grand Prêtre, qui reçoit des mains d'Arsace le coffre qui contient la lettre, le glaive & la couronne de Ninus, forme dès-lors le nœud, & prépare le dénouement. C'est le comble de l'art. Les Anciens ont connu ces Expositions en tableaux. Voyez celle de l’Œdipe Roi. L’ouverture de la Scène présente aux yeux une place publique, un Palais, un Autel à la porte du Palais d’Œdipe, des enfans, des vieillards prosternés, demandant la fin de leurs maux. En remontant encore plus haut, on peut voir par l'Exposition des Cœphores comment Eschyle avoit conçu la Tragédie. Le fond de la Scène est le tombeau d'Agamemnon. Oreste y arrive avec Pilade ; il invoque Mercure, qui préside aux funérailles. Il coupe sa chevelure pour la répandre sur le monument ; & tandis qu'il est occupé à cette pieuse cérémonie, il apperçoit de loin Electre sa sœur, à la tête d'une troupe de jeunes filles qui s'avancent avec des dons pour le Mort.

Lamotte, après avoir loué les Expositions en tableaux, prétend qu’elles sont très-dangereuses, & que l' Auteur, avant que de les hazarder, doit bien consulter ses forces. Selon lui, il est à craindre que le Spectateur ne voye avec peine le Théâtre presque vuide, après l'avoir vu occupé par une foule de Personnages. Cette crainte peut être fondée ; mais il n'y a guères que le défaut d'intérêt dans les Actes suivans, qui rappelle au Spectateur que le Théâtre étoit rempli au premier Acte ; témoin Brutus & les Ouvrages déjà cités.

Les principes de l'Exposition sont les mêmes pour la Comédie. La plus grande attention de l’Auteur doit être de faire marcher de front le Comique, le développement du sujet & celui de» caractères. Quand la Piéce est en Ouvrage de caractères, il est permis de s'occuper de leur développement , plus encore que de l'exposition du sujet. Telle est la premiere Scène du Misanthrope, qui est employée principalement à dessiner les caractères d'Alceste & de Philinte.

Références :

Pièces :

Corneille, Cinna, acte 1, scène 3, vers 157-240 : le discours de Cinna aux conjurés donne à l’exposition un ton passionné.

Corneille, la Mort de Pompée : le modèle des expositions, puisqu’elle met en place le cœur de l’action. Par ailleurs, les faits étant connus, l’exposition met facilement le spectateur au fait de l’action.

Corneille, Othon, acte 1, scène 1 : on juge que l’exposition de cette pièce est un modèle de naturel et de noblesse, mais elle a le défaut de ne pas susciter l’intérêt. Les hésitations d’Othon dans ses affaires sentimentales (vers 98-101) ne font pas naître chez le spectateur d’intérêt pour lui.

Corneille, Rodogune, acte 1, scène 1 et 4 : l’exposition est maladroite, un personnage se contentant de fournir à un autre les informations nécessaires à l’intelligence de la pièce. Elle est si longue qu’il a fallu la couper en deux.

Eschyle, les Choéphores : la pièce s’ouvre sur l’arrivée à Argos d’Oreste, venu avec Pylade s’incliner sur le tombeau d’Agamemnon et évoquant avec son ami son plan de vengeance.

Molière, le Misanthrope, acte 1, scène 1 : la scène entre Alceste et Philinte permet de montrer le caractère des deux personnages, et leur opposition.

Racine, Bajazet, acte 1, scène 1 : le dialogue entre Acomat et Osmin permet de donner au spectateur toutes les informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue. Exposition très efficace.

Racine, Iphigénie, acte 1, scène 1 : l’exposition est à la fois « en sentiment et en tableaux » : image du camp endormi, et combats des sentiments dans le cœur d’Agamemnon. C’est « une exposition bien touchante ».

Sophocle, Œdipe-Roi, exemple d’exposition en tableau (une place publique, la foule prosternée demandant la fin des maux qui l’accable.

Voltaire, Brutus, acte 1, scènes 1 à 3 : la scène d’abord remplie par les sénateurs autour de Brutus et Arons, se vide ensuite quand Arons, l’ambassadeur de Porsenna, se retire dans une pièce voisine (scène 3, où il ne reste plus en scène que Arons et son confident. Il faut alors que l’intérêt continue à captiver le spectateur.

Voltaire, Mérope, acte 1, scène 1, vers 61-76 ; le récit de la mort de Cresphonte permet de rendre pathétique l’exposition.

Voltaire, Sémiramis, acte 1, scène 1 : dès la première scène, le coffre contenant les éléments nécessaires au dénouement est remis au Grand Prêtre.

Critique littéraire :

Boileau, Art poétique, chant 3, vers 27-29, insiste sur la nécessité d’informer très tôt le spectateur. Le v. 26 insiste sur la nécessité de faire naître la curiosité.

Corneille pense qu’il n’est pas nécessaire dans l’exposition de motiver l’arrivée de s personnages. C’est parfois vrai.

Houdar de La Motte affirme à la fois l’intérêt des expositions en tableaux, et leur difficulté (la scène, remplie par la foule, se vide ensuite presque complètement.

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