Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
GRADATION D'INTÉRÊT.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 20-21 :
GRADATION D'INTÉRÊT. L'action doit être très-intéressante dès le commencement ; & l'intérêt doit croître de Scène en Scène, sans interruption jusqu'à la fin. Tout Acte, toute Scène qui ne redouble pas la terreur ou la pitié, dont le Spectateur doit être saisi, n'est qu'un allongement inutile de l'action. C'est à lui de chercher dans son sujet des circonstances intéressantes, qui enchérissent toujours l'une sur l'autre. Cette attention qu'il faut donner à la Gradation d'intérêt dans les cinq Actes, il faut la porter ensuite à chaque Acte en particulier, le regarder presque comme une Pièce à part, & en arranger les Scènes de façon, que l'important & le pathétique se fortifient toujours. Autre chose est un arrangement raisonnable, & autre chose un arrangement théâtral. Dans le premier, il suffit que les choses s'amènent naturellement, & que la vraisemblance ne soit pas blessée. Dans le second , il faut ménager une suite qui favorise la passion, & compter pour rien, que l'esprit soit content, si le cœur n'a de quoi s'attacher toujours davantage. Il est vrai qu'il faudra souvent, pour parvenir à cette beauté, arranger un Acte de vingt manières différentes, toutes bonnes, si l'on veut, du côté de la raison ; mais toutes imparfaites, par le défaut de l'ordre que demanderoit le sentiment. Ce n'est pas tout : chaque Scène veut encore la même perfection s il faut la considérer au moment qu'on la travaille, comme un ouvrage entier, qui doit avoir son commencement, ses progrès & sa fin. Il faut qu'elle marche comme la Pièce, & qu'elle ait, pour ainsi dire, son exposition, son nœud & son dénouement. On entend, par son exposition, l'état où se trouvent les Personnages, & sur lequel ils délibèrent. On entend par son nœud les intérêts ou les sentimens qu'un des Personnages oppose aux désirs des autres ; & enfin, par son dénouement, l'état de fortune ou de passion où la Scène doit les laisser ; après quoi l'Auteur ne doit plus perdre de tems en discours, qui, tout beaux qu'ils seroient , auroient du moins la froideur de l'inutilité.
Cette gradation que l'on exige dans l'intérêt, il seroit à souhaiter de pouvoir la porter encore dans les traits du caractère des principaux Personnages, & même dans la force des tableaux qu'on expose sur la Scène ; mais il y a peu de sujets susceptibles d'une si grande perfection. Les Anciens négligeoient trop souvent la Gradation d'intérêt. Ce défaut se fait sentir dans plusieurs de leurs Pièces, & sur-tout dans les Tragédies d'Euripide. Racine l'a quelquefois négligée aussi dans ses cinquièmes Actes. C’est qu'alors on les mettoit rarement en tableaux. C'est au quatrième Acte que Racine porte ordinairement les grands coups. Voyez Britannicus, Phèdre, Iphigénie. Depuis que la forme de notre Théâtre permet que les cinquièmes Actes soient en tableaux, les Auteurs n'obtiennent plus l'indulgence qu’on avoit pour ceux du siécle passé.
Références :
Euripide illustre particulièrement le peu de soin porté par les Anciens pour la gradation de l’intérêt.
Racine a quelquefois négligé la gradation d’intérêt dans ses cinquièmes actes, le plus fort coup étant porté au quatrième acte, dans Britannicus, Iphigénie, Phèdre.
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