Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
HORREUR.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 43-44 :
HORREUR. L'intérêt de la crainte & de la pitié doit être l'ame de la Tragédie. On y a trop souvent substitué l'Horreur. Les premières Tragédies formèrent des Spectacles plus horribles qu'intéressans. L'apparition des Furies qui poursuivoient un Coupable, Prométhée attaché à un rocher, tandis qu'un Vautour lui déchire le foie, voilà ce qu'Eschyle exposa sur la Scène dans l'enfance de l'Art Dramatique ; mais bientôt après, Sophocle adoucit ces tableaux affreux ; il fit de la terreur le ressort de la Tragédie ; & si l'Horreur se montra quelquefois sur la Scène, comme dans la Tragédie d'Œdipe, où ce malheureux Prince se fait voir aux Spectateurs, le visage couvert de sang, après s'être percé de son épée, l'Auteur tempère cette atrocité par le pathétique qu'il y mêle.
Les atrocités ne font de l'effet au Théâtre, que quand la passion les excuse ; quand celui qui va tuer quelqu'un a des remords aussi grands que ses attentats ; quand cette situation produit de grands mouvemens.
Il ne faut émouvoir les Spectateurs qu'autant qu'ils veulent être émus. Il est un point, au-delà duquel le Spectacle est trop douloureux. Tel est pour nous peut-être celui d'Atrée, qui donne le sang d'un fils à boire à son père. Tel seroit pour des François celui d'Œdipe, si l'on n'avoit pas adouci le cinquième Acte de Sophocle. Cela dépend du naturel & des mœurs du peuple à qui l'on s'adresse ; & par le degré de sensibilité qu'il apporte à ses Spectacles, on jugera du dégré de force qu'on peut donner aux tableaux qu'on expose à ses yeux. On ne peut guères aller, en ce genre, par-delà le quatrième Acte de Mahomet ; le cinquième Acte de Rodogune , le cinquième Acte de Sémiramis. Les Auteurs semblent, depuis quelque tems, mettre le sentiment pénible de l'Horreur à la place de la terreur & de la pitié, qui seront à jamais les ressorts de 1a véritable Tragédie.
Références :
Corneille, Rodogune, acte 5 : la fin de la pièce est terrible : Cléopâtre se donne la mort après avoir tué Séleucus et tenté d'empoisonner Antiochus et Rodogune.
Eschyle, Prométhée enchaîné : on y voit un vautour déchirant le foie de Prométhée.
Sophocle, Œdipe-Roi : on y voit le héros apparaître le visage couvert de sang après s’être percé de son épée (il s’est crevé les yeux). Mais Sophocle joue moins de l’horreur qu’Eschyle, et fait de la terreur le ressort de la tragédie.
Voltaire, le Fanatisme ou Mahomet le prophète ; l’acte 4, où Séide tue Zopire (mais derrière le théâtre !) : c’est la plus grande horreur qu’on puisse montrer alors au théâtre...
Voltaire, Œdipe : on n’y voit pas paraître à la fin Œdipe qui s’est crevé les yeux, mais s’est enfui.
Voltaire, Sémiramis, acte 5 : Sémiramis vient mourir sur la scène.
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