Imagination

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

IMAGINATION.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 57-59 :

IMAGINATION. C’est la faculté que nous avons de nous retracer en nous-mêmes les objets qui nous frappent au dehors, & de les peindre aux autres, tels que nous les avons dessinés dans notre cerveau. Cette faculté est dépendante de la mémoire. Ce n'est qu'en se rappellant les différens objets qu'il a vus dans la Nature, que l'homme peut composer, arranger & embellir des tableaux. La mémoire lui en remet, pour ainsi dire , les modèles sous les yeux, d'après lesquels son imagination travaille. Ce n'est pas néanmoins qu'elle ne puisse agir sans le secours de la mémoire, & créer d'après elle-même ; mais il est nécessaire que les portraits qu'elle trace ainsi, sur ses propres idées, ne répugnent point à la Nature : le propre de l'imagination est de rendre tout sensible par des images. On sent combien elle est indispensable dans les arts imitatifs de la Nature, & surtout dans la Poësie. Le Poëte n'a que des idées & des mots pour peindre ; mais il les choisit si propres, si pittoresques, si énergiques, qu'on croit voir l'objet même qu'il représente. C’est ce talent rare & brillant de pouvoir ainsi changer tout en image, qui fait proprement le Poëte. Ce que l'Imagination doit éviter dans tous les genres de Poësie, c'est de copier trop servilement la Nature, comme aussi de la surcharger par trop d'ornemens. Au surplus, c'est le goût qui doit régler l’imagination. Cette faculté ne demande, pour ainsi dire, qu'à peindre, qu'à décrire, qu'à faire des tableaux. Mais il faut qu'elle emploie les couleurs propres pour tous les genres. Ses descriptions sont différentes dans l'Ode, l'Epopée, le Drame, &c. Dans ce dernier, ce n'est point l'Imagination du Poëte qui doit peindre, c'est celle du Personnage qui parle & qui agit ; & il doit peindre avec le ton qui lui est propre. Régle dont il est très-aisé de s'écarter, particulièrement dans les récits usités dans la Tragédie, & dans lesquels l'Imagination du Poëte se montre souvent trop. On a reproché à Racine d'être tombé en ce défaut dans le magnifique récit que Théramene fait de la mort d'Hippolyte. (Tragéd. de Phèdre.)

Cependant sur le dos de la plaine liquide,
S'élève, à gros bouillons, une montagne humide ;
L'onde approche, se brise, & vomit à nos yeux
Parmi les flots d'Ecume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes,
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux, &c.

Ces quatre derniers Vers, & ceux qui les suivent, jusqu'à ceux-ci :

Tout fuit ; & sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le Temple voisin chacun cherche un asyle.

Ces Vers, dis-je, appartiennent plus à l'Imagination du Poëte, que du Personnage qui les récite. Théramene effrayé, consterné de l'événement tragique qu'il racontoit, ne se fût pas arrêté à la description du monstre, s'il n'eût parlé dans ce moment que d'après lui, C'est l’observation de M. de Marmontel.

En général, il faut éviter, dans les Pièces de Théâtre, de substituer son Imagination à celle des Personnages dans les peintures, les descriptions, les portraits qu'on leur fait faire ; par-là on s'épargnera la peine de faire souvent les plus beaux tableaux à pure perte.

Références :

Racine, Phèdre, acte 5, scène 6, vers 1513-1526 : extrait du récit de Théramène. Ces vers montreraient trop la part de l’imagination du poète, au lieu de refléter celle du personnage.

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