Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Maximes.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 193-195 :
MAXIMES. On appelle ainsi une Sentence qui renferme quelque conseil, quelque précepte, quelque moralité, dont on fait une application générale, comme dans les Vers suivans :
L'opprobre avilit l’ame, & flétrit le courage.
C'est le sort d'un Héros d'être persécuté.
La clémence sied bien à qui peut se venger.
Nous devons faire observer qu'il ne faut jamais étaler ces dogmes du crime, comme on en voit dans quelques Tragédies de Corneille. Ces Sentences triviales. qui enseignent la scélératesse, ressemblent trop à des lieux communs d'un Réteur qui ne connoît pas le monde. Non-seulement de telles maximes ne doivent jamais être débitées ; mais jamais personne ne les a prononcées, même en faisant un crime, ou en le conseillant. C'est manquer aux loix de l'honnêteté publique & aux régles de l'art : ce n'est pas connoître les hommes, que de proposer le crime comme crime. Voyez avec quelle adresse le scélérat Narcisse presse Néron de faire empoisonner Britannicus : il se garde bien de révolter Néron par l'étalage odieux de ces horribles lieux communs, qu'un Empereur doit être empoisonneur & parricide, dès qu'il y va de son intérêt. Il échauffe la colère de Néron par dégrés, & le dispose petit à petit à se défaire de son frère, sans que Néron s'apperçoive même de l'adresse de Narcisse : & si ce Narcisse avoit un grand intérêt à la mort de Britannicus, sa Scène en seroit incomparablement meilleure. Voyez encore comme Acomat, dans la Tragédie de Bajazet, s'exprime, en ne conseillant qu'un simple manquement de parole à une femme ambitieuse & criminelle :
Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée,
Que sur la foi promise, & rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur.
Il corrige la dureté de cette maxime par ce mot si naturel & si adroit, je m'emporte.
Les Maximes sont presque toujours déplacées dans les Scènes vives & passionnées, parce que toute Maxime suppose, dans celui qui la dit, une réflexion dont on n'est pas capable dans de grands mouvemens ou de grands dangers. Lorsqu'Auguste dit à Cinna :
L'ambition déplaît quand elle est assouvie.
cette Maxime est à sa place : Auguste, dans ce moment, n'éprouve ni passion ni danger ; c'est un Prince qui réfléchit sur le projet qu'il a de renoncer à l'Empire.
Il faut que les Maximes soient courtes & rapides. Elles seroient insupportables, si elles dégénéroient en dissertation sur le Théâtre ; qu'elles soient convenables. De petites Maximes d'amour, telles que l'Ydille en peut comporter, seroient insoutenables dans le Dialogue de la Tragédie. Enfin il faut faire ensorte que toute Maxime qui sort de la bouche d'une personne, semble plutôt lui échapper comme un sentiment, que comme une pennée réfléchie.
Références :
Corneille, Cinna, acte 2, scène 1, vers 365 : vers qui reflète la réflexion sereine d’Auguste, hors de la passion ou du danger.
Racine, Bajazet, acte 2, scène 3, vers 649-651 : habile suggestion d’Acomat à Bajazet : il ne s’agit que d’aller contre la parole donnée.
Racine, Britannicus, acte 4, scène 4 : l’habileté de Narcisse à conduire Néron à vouloir la fin de Britannicus.
Voltaire, Mérope, acte 2, scène 2, acte 485 (premier vers de la citation).
Voltaire, Tancrède, acte 1, scène 6, vers 375 (deuxième vers de la citation, le troisième vers n’est pas identifié).
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