Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Mélopée.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 213-215 :
MÉLOPÉE, étoit, dans la Musique Grecque, l'art ou les régles de la composition du Chant, dont l'exécution s'appelloit Mélodie. Les Anciens avoient diverses régles pour la manière de conduire le Chant, par degrés conjoints, disjoints ou mêlés, en montant ou en descendant. On en trouve plusieurs dans Aristoxene, qui dépendent toutes de ce principe, que dans tout systême harmonique, le quatrieme son après le son fondamental, on doit toujours frapper la quarte ou la quinte juste, selon que les tétracordes sont conjoints ou disjoints ; différence qui rend un mode quelconque authentique ou plagal, au gré du Compositeur. Aristide Quintilien divise toute la Mélopée en trois espéces, qui se rapportent à autant de modes, en prenant ce nom dans un nouveau sens. La premiere étoit l'hypatoide, appellée ainsi de la corde hypate, la principale ou la plus basse, parce que le Chant régnant seulement sur les sons graves, ne s'éloignoit pas de cette corde, & ce Chant étoit approprié au mode tragique. La seconde espéce étoit la mésoïde, de Mésé, la corde du milieu, parce que le Chant rouloit sur les sons moyens, & celle- ci répondoit au mode nomique consacré à Apollon. Et la troisieme s'appelloit nétoïde, de Nété, la derniere corde ou la plus haute : son Chant ne s'étendoit que sur les:sons aigus, & constituoit le mode dithyrambique ou bachique. Ces modes en avoient d'autres qui leur étoient en quelque manière subordonnés, tels que l'hérotique ou amoureux,1e comique, & l’encosmiasque destiné aux louanges. Tous ces modes étant propres à exciter ou à calmer certaines passions, influoient beaucoup dans les mœurs : & par rapport à cette influence, la Mélopée se partageoit encore en trois genres ; savoir, 1°. le systalique, ou celui qui inspiroit les passions tendres & amoureuses, les pasions tristes & capables de resserrer le cœur, suivant le sens même du mot Grec : 2°.le diastaltique, ou celui qui étoit propre à l'épanouir en excitant la joie, le courage, la magnanimité & les plus grands sentimens : 3°. l'ésuchastique, qui tenoit le milieu entre les deux autres, c'est-à-dire, qui ramenoit l’ame à un état de tranquillité. La premiere espéce de Mélopée convenoit aux Poësies amoureuses, aux plaintes, aux lamentations, & autres expressions semblables. La seconde étoit réservée pour les Tragédies & les autres sujets héroïques. La troisieme, pour les Hymnes, les louanges, les instructions.
Corneille observe, au sujet de la Mélopée, que les Tragédies, dans lesquelles la Musique interrompt la déclamation, font rarement un grand effet ; parce que l'une étouffe l'autre. Si le morceau déclamé est intéressant, on est fâché d’en voir l'intérêt détruit par des instrumens qui détournent l'attention. Si la Musique est belle, l’oreille du Spectateur retombe avec peine & avec dégoût de cette harmonie au récit simple. Il n'en étoit pas de même chez les Romains, dont la déclamation, appellée Mélopée, étoit une espéce de Chant. Le passage de cette Mélopée à la symphonie des Chœurs, n'étonnoit point l'oreille, & ne la rebutoit pas.
Références :
Aristide Quintilien (musicographe du 3e siècle de notre ère), De la musique, définit trois formes de mélopée.
Aristoxène, philosophe du 4e siècle, théoricien de la musique et du rythme.
Corneille, dans un texte que je ne connais pas, souligne que la concurrence entre texte et musique nuit à la tragédie : la musique, bonne ou mauvaise, détourne l’attention du texte.
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