Mystère

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Mystère.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 283-285 :

MYSTERE ; terme consacré aux Farces pieuses jouées autrefois sur nos Théâtres, & dont on a déjà parlé sous les mots Comédie Sainte & Moralité ; mais il falloir en développer l'origine. Il est certain que les pèlerinages introduisirent ces Spectacles de dévotion. Ceux qui revenoient de la Terre-Sainte, de Sainte-Reine, du Mont Saint-Michel, de Notre Dame du Puy, & d'autres lieux semblables, composoient des Cantiques sur leur voyage, auxquels ils mêloient le récit de la Vie & de la Mort de Jesus-Christ, d'une manière véritablement très-grossière ; mais que la simplicité de ces tems-là sembloit rendre pathétique. Ils chantoient les Miracles des Saints, leur Martyre, & certaines Fables à qui la créance des peuples donnoit le nom de visions. Ces Pèlerins allant par troupes, & s'arrêtant dans les places publiques, où ils chantoient, le bourdon à la main, le chapeau & le mantelet chargé de coquilles & d'images peintes de différentes couleurs, faisoient une espéce de Spectacle qui plut, & qui excita quelques Bourgeois de Paris à former des fonds pour élever, dans un lieu propre, un Théâtre où l'on représentoit ces Moralités les jours de Fêtes, autant pour l'instruction du peuple, que pour son divertissement. L'Italie avoit déjà montré l'exemple ; on empressa de l'imiter. Ces fortes de Spectacles parurent si beaux dans ces siécles ignorans, que l'on en fit les principaux ornemens des réceptions des Princes, quand ils entroient dans les Villes ; & comme on chantoit Noël, Noël, au lieu des cris de vive le Roi, on représentoit dans les rues la Samaritaine, le mauvais Riche, la Conception de la Sainte Vierge, la Passion de Jesus-Chrift, & plusieurs autres Mystères pour les Entrées des Rois. On alloit au-devant d'eux en procession avec les bannières des Eglises : on chantoit, à leur louange, des Cantiques composés de passages de l'Ecriture Sainte, cousus ensemble, pour faire allusion aux actions principales de leurs Règnes. Telle est; l'origine de notre Théâtre, où les Acteurs, qu'on nommoit Confrères de la Passion, commencerent à jouer leurs Pièces dévotes en 1402 : cependant, comme elles devinrent ennuyeuses à la longue, les Confrères, intéressés à réveiller la curiosité du peuple, entreprirent, pour y parvenir, d'égayer les Mystères sacrés. Il auroit fallu un siécle plus éclairé pour leur conserver leur dignité ; & dans un siécle éclairé, on ne les auroit pas choisis. On mêloit aux sujets les plus respectables, les plaisanteries les plus basses, & que l'intention seule empêchoit d'être impies : car ni les Auteurs, ni les Spectateurs ne faisoient une attention bien distincte à ce mélange extravagant, persuadés que la sainteté du sujet couvrait la grossiéreté des détails. Enfin le Magistrat ouvrit les yeux, & se crut obligé en 1545 de proscrire séverement cet alliage honteux de Religion & de bouffonnerie. Alors naquit la Comédie profane, qui, livrée à elle-même & au goût peu délicat de la Nation, tomba, sous Henri III, dans une licence effrénée, & ne prit le masque honnête, qu'au commencement du siécle de Louis XIV.

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