Pathétique

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Pathétique.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 391-392 :

PATHÉTIQUE. Le Pathétique est cet enthousiasme, cette véhémence naturelle, cette peinture forte, qui émeut, qui touche, qui agite le cœur de l'homme. Tout ce qui transporte l'Auditeur hors de lui-même, tout ce qui captive son entendement, & subjugue sa volonté, voilà le pathétique. Il règne éminemment dans la plus belle & la plus touchante Pièce qui ait paru sur le Théâtre des Anciens ; dans l'Œdipe de Sophocle : à la peinture énergique des maux qui désoloient le pays, succede un Chœur de Thébains qui s'écrie :

Frappez, Dieux tout-puissans ; vos victimes sont prêtes !
O Mort, écrasez-nous ! Dieux, tonnez sur nos têtes !
O Mort ! nous implorons ton funeste recours.
O Mort ! viens nous sauver, viens terminer nos jours.

C'est-là du pathétique. Qui doute que l'entassement des accidens qui suivent & qui accompagnent, sur-tout des accidens qui marquent davantage l'excès & la violence d'une passion, puisse produire le pathétique ? Telle est l'Ode de Sapho :

Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire ! &c.

Elle gèle, elle brûle ; elle est sage, elle est folle ; elle est entièrement hors d'elle-même ; elle va mourir : on diroit qu'elle n'est pas éprise d'une simple passion ; mais que son ame est un rendez- vous de toutes les passions. Voulez-vous deux autres exemples du Pathétique ; prenez votre Racine, vous les trouverez dans les discours d'Andromaque & d’Hermione à Pyrrhus :le premier est dans la troisieme Scène du troisieme Acte d'Andromaque :

Seigneur , voyez l'état où vous me réduisez ! &c.

Et le second, dans la cinquieme Scène du quatrieme Acte :

Je ne t'ai point aimé, cruel ! qu'ai-je donc fait ? &c.

Rien encore ne fit mieux voir combien le Pathétique acquiert de sublime, que ce que Phèdre dit Acte quatrieme, Scène sixieme, après qu'instruite par Thésée qu'Hipolyte aime Aricie, elle est en proie à la jalousie la plus violente :

        Ah ! douleur non encore éprouvée!
A quel nouveau tourment je me suis réservée ! &c.

Enfin la Scène entière ; car il n'y a rien à en retrancher : aussi est ce, à mon avis, le morceau de passion le plus parfait qu'il y ait dans tout Racine. Mais c'est sur-tout le choix & l'entassement des circonstances d'un grand objet, qui forme le plus beau pathétique.

Références :

Racine, Andromaque, acte 3, scène 3, vers 927 et suivants (discours d’Andromaque à Pyrrhus) : exemple de pathétique, tout comme acte 4 scène 5, vers 1356 et suivants (discours d’Hermione à Pyrrhus).

Racine, Phèdre, acte 4, scène 6, vers 1225 et suivants, quand le pathétique touche au sublime.

Voltaire, Œdipe, acte 1, scène 2, vers 147-150 : pathétique du désir de mourir.

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