Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Personnage allégorique.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 406-409 :
PERSONNAGE ALLÉGORIQUE ; c'est tout être inanimé, que la Poësie personifie. Les Personnages Allégoriques, que la Poësie employe, sont de deux espéces : il y en a de parfaits, & d'autres que nous appelions imparfaits. Les Personnages parfaits sont ceux que la Poësie crée entièrement, auxquels elle donne un corps & une ame, & qu'elle rend capables de toutes les actions & de tous les sentimens des hommes. C'est ainsi que les Poètes ont personnifié, dans leurs Vers, la Victoire, la Sagesse, la Gloire, en un mot, tout ce que les Peintres ont personifîé dans leurs tableaux. Les Personnages Allégoriques imparfaits, sont les êtres qui existent déjà réellement, auxquels la Poësie donne la faculté de penser & de parler qu'ils n'ont pas, mais sans leur prêter une existence parfaite, & sans leur donner un être tel que le nôtre. Ainsi la Poësie fait des Personnages Allégoriques imparfaits, quand elle prête des sentimens aux Bois, aux fleuves, en un mot, quand elle fait parler & penser tous les êtres inanimés, ou quand, élevant les animaux au-dessus de leur sphere, elle leur prête plus de raison qu'ils n'en ont, & la voix articulée qui leur manque. Ces derniers Personnages Allégoriques sont le plus grand ornement de la Poësie, qui n'est jamais pompeuse, que lorsqu'elle anime & qu'elle fait parler toute la nature ; c'est en quoi confine la beauté du Pseaume In exitu Israel de Egypto, & de quelques autres. Mais ces Personnages imparfaits ne sont point propres à jouer un rôle dans l'action d’un Poëme, à moins que cette action ne soit celle d'un Apologue. Ils peuvent seulement, comme Spectateurs, prendre part aux actions des autres Personnages, ainsi que les Chœurs prenoient part aux Tragédies des Anciens. Les Personnages Allégoriques ne doivent pas jouer un des rôles principaux d'une action ; mais ils y peuvent seulement intervenir, soit comme des attributs des Personnages principaux, soit pour exprimer plus noblement, par le secours de la fiction, ce qui paroîtroit trivial s'il étoit dit smplement, Voilà pourquoi Virgile personifie la Renommée dans l'Enéïde. Quant aux actions allégoriques, elles n'entrent guères, avec succès, que dans les Fables & autres Ouvrages destinés à instruire l’esprit en le divertissant. Les conversations que les Fables supposent entre les animaux, sont des actions allégoriques ; mais ces actions allégoriques ne sont point un sujet propre pour le Poëme Dramatique, dont le but est de nous toucher par l'imitation des passions humaines ; ce pied-d'estal, dit l'Abbé Dubos, n'est point fait pour la statue.
Les Personnages Allégoriques parfaits sont du ressort du Théâtre Lyrique : telles sont la Gloire, la Vengeance, l'Amour, &c.
Les Personnages propres de la Tragédie & de la Comédie sont des hommes ou des femmes, qui, sur le Théâtre, prennent l'habillement, le ton, les manières, le langage & le nom même de celui ou de celle qu'ils représentent, soit: un Roi, une Reine, un Marquis, une Servante, un Valet, &c.
Horace ne veut pas que le Dialogue roule entre plus de trois Personnages à la fois.
Nec quarta loqui persona laboret.
La Tragédie ne permet pas qu'un Personnage paroisse sans une raison importante. On est dégoûté de toutes ces longues conversations amenées pour remplir le vuide de l'action, & qui ne le remplissent pas. Un simple entretien, qui ne conduit à rien, ne doit jamais entrer dans la Tragédie. Les principaux Personnages ne doivent jamais paroître, que pour avoir quelque chose d'important à dire ou à entendre. On est moins rigide dans la Comédie.
Il est de régle, que le Théâtre ne reste jamais vuide pendant le cours d'un Acte. On n'est point obligé de rendre compte de ce que font les Acteurs pendant qu'ils n'occupent point la Scène. Il ne le faut faire, que lorsque ce qui s'est passé derrière le Théâtre, sert à l'intelligence de ce qui doit se faire devant les Spectateurs.
Un Acteur qui demeure sur le Théâtre, seulement pour entendre ce que disent ceux qui y entrent, fait une liaison de présence sans discours, qui souvent a mauvaise grace. Mais s’il y reste à dessein de s'instruire de quelque secret qui tende à jntéresser l'action, il n'y fera pas déplacé. Enfin, c'est toujours les Personnages principaux qui doivent fixer l'attention du Spectateur ; & il ne faut pas l'abaisser trop aux petits intérêts des Personnages subalternes. Voilà pourquoi Narcisse est si mal reçu dans Britannicus, quand il dit en parlant de lui-même :
La Fortune t'appelle une seconde fois.
On ne se soucie point de la fortune de Narcisse. Son crime excite l'horreur & le mépris. Si c'étoit un criminel auguste, il imposeroit.
Références :
Pièce :
Racine, Britannicus, acte 2, scène 8, vers 757 : en montrant son caractère méprisable, Narcisse ne peut échapper à la condamnation des spectateurs, alors qu’il serait considéré tout autrement s’il était un « criminel auguste ».
Critique littéraire :
Dubos (abbé Jean-Baptiste, 1670-1742), Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, section 25, ne croit pas que le personnage allégorique ait sa place dans les œuvres théâtrales.
Horace, Art poétique, vers 190, ne veut pas qu’il y ait de dialogue avec plus de trois personnages.
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