Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Plan.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome II, p. 432-436 :
PLAN, c'est la distribution du sujet Dramatique qu'on vent traiter dans ses parties, conformément aux régles du Théâtre, c'est à-dire, en Actes & en Scènes. Si l'on est bien rempli de son sujet, si on l'a médité long-tems, on n'aura pas de peine, dit Horace, à l'arranger, & à le traiter ensuite avec la clarté & la noblesse convenable.
Cui Lecta potenter erit Res,
Nec facundia deseret hunc, nec Lucidus ordo.
Il faut bien discerner le moment où l'action doit commencer & où elle doit finir; bien choisir le nœud qui doit l'embarrasser, & l'incident principal qui doit la dénouer : considérer de quels personnages secondaires on aura besoin, pour mieux faire briller le principal, bien assurer les Caractères qu'on veut leur donner. Cela fait, on divise son sujet par Actes, & les Actes par Scènes ; de manière que chaque Acte, quelques grandes situations qu'il amene, en fasse attendre encore de plus grandes, & laisse toujours le Spectateur dans l'inquiétude de ce qui doit arriver, jusqu'à l'entier dénouement. Le premier Acte est toujours destiné à l’exposition du sujet ; mais dans les autres, il est de l'art du Poëte, de ménager dans chacune des situations intéressantes, de grands troubles de passions, des choses qui fassent Spectacle, En conséquence, il distribue les Scènes de chaque Acte, faisant venir, pour chacune, les Personnages qui y sont nécessaires, observant qu'aucun ne s'y montre sans raison ; n'y parle que conformément à sa dignité, à son caractère , & n'y dise que ce qui est convenable, & qui tend à augmenter l'intérêt de l'action. Les parties du Drame étant ainsi esquissées, ses Actes bien marqués, ses incidens bien ménagés & enchaînés les uns aux autres, ses Scènes bien liées, bien amenées, tous ses caractères bien dessinés, il ne reste plus au Poëte, que les Vers à faire. C'est ce que le grand Corneille trouvoit de moindre dans une Tragédie. Quand l'échaffaudage d'une de ses Pièces étoit dréssé, qu'il en avoit le plan bien tracé , ma Pièce est faite, disoit-il, je n'ai plus que les Vers à faire. Voyez Vers, versification.
Aristote donne l'idée d'un plan de Drame dans sa Poétique, mais tracé feulement en grand & sans descendre dans les détails : soit que l'on travaille, dit-il, sur un sujet connu, soit que l'on en tente un nouveau, il faut commencer par esquisser la fable, & penser ensuite aux épisodes ou circonstances qui doivent l'étendre. Est-ce une Tragédie ? Dites une jeune Princesse est conduite sur un Autel pour y être immolée ; mais elle disparoît tout à-coup aux yeux des Spectateurs ; & elle est transportée dans un pays où la coutume est de sacrifier les étrangers à la Déesse qu'on y adore ; on la fait Prêtresse. Quelques années après, le frere de cette Princesse arrive dans ce pays : il est saisi par les Habitans; & sur le point d'être sacrifié par les mains de sa sœur, il s'écrie : Ce n'est donc pas assez que ma sœur ait été sacrifiée, il faut que je le sois aussi ! A ce mot il est reconnu & sauvé.
Mais pourquoi la Princesse avoit elle été condamnée à mourir sur un Autel ,
Pourquoi immole t-on les étrangers dans la terre barbare où son frère la rencontre ?
Comment a t-il été pris ?
Il vient pour obéir à un Oracle ; & pourquoi cet Oracle ?
Il est reconnu par sa sœur ; mais cette reconnoissance ne se pouvoit-elle faire autrement ?
Toutes ces choses sont hors du sujet ; il faut les suppléer dans la Fable.
Selon le même Aristote, il faut dresser tout le plan de son sujet, le mettre par écrit le plus exactement qu’on le peut, & le faire passer tout entier sous ses yeux : car, en voyant ainsi nous-même très-clairement toutes ses parties, comme si nous étions mêlés dans l'action, nous trouverons bien plus sûrement ce qui sied; & nous remarquerons jusqu'aux moindres défauts, & jusqu'aux moindres contrariétés qui pourraient nous être échappées.
Le même veut qu’en composant, on imite les gestes & l'action de ceux qu'on fait parler ; car, de deux hommes qui seront d'un égal génie, celui qui se mettra dans la passion, sera toujours plus persuasif ; & une preuve de cela, est que celui qui est véritablement agité, agite de même ceux qui l'écoutent. Celui qui est en colère, ne manque jamais d'exciter les mêmes mouvemens dans le cœur des Spectateurs.
Une invention purement raisonnable, dit le grand Corneille, peut être très-mauvaise. Une invention Théâtrale que la raison condamne dans l'examen, peut faire un très-grand effet- C'est que l'imagination émanée de la grandeur du Spectacle, se demande rarement compte de son plaisir.
Si, dans le plan qu'on trace de son sujet, on commence par une situation forte, il faut que tout le reste soit de la même vigueur, ou il languira. Il est donc bien essentiel, en crayonnant son dessein, de ménager les situations, de manière qu'elles deviennent toujours plus frappantes, intéressantes, plus terribles. Il faut commencer par le plus foible, pour aller par degrés au plus fort.
Le plan d'un Drame peut être fait, & très bien fait, sans que le Poëte sache rien encore du caractère qu'il attachera à ses Personnages. Des hommes de différens caractères, sont tous les jours exposés à un même événement. Celui qui sacrifie sa fille, peut être ambitieux, foible ou féroce. Celui qui a perdu son argent peut être riche ou pauvre. Celui qui craint pour sa Maîtresse, Bourgeois ou Héros, tendre ou jaloux, Prince ou Valet ; c'est au Poète à se décider pour l'un ou pour l’autre.
Une des meilleures régles pour bien former un plan, c'est de diviser l'action principale en cinq parties bien distinctes, qui fassent autant de tableaux différens, qui ne se confondent pas les uns dans les autres, & qui mettent une espèce d'unité dans chaque Acte. Cette méthode produit nécessairement deux effets : elle facilite l'attention du Spectateur; parce que les choses plus liees entr'elles, se lient aussi plus facilement dans son esprit ; & elle augmente d'ailleurs son émotion ; parce qu’il est frappé plus continuement par le même endroit.
Références :
Aristote, Poétique, chapitre 17, donne l’idée d’un plan de pièce (qui ressemble beaucoup à Iphigénie en Tauride). Il conseille de mettre ce plan par écrit, et estime aussi que l’auteur doit se faire acteur quand il compose.
Corneille : citation peut-être apocryphe, proche d’une citation de Racine exprimant la même idée (« ma pièce est faite, je n’ai plus qu’à l’écrire ».
Corneille : il faut savoir dépasser les limites du raisonnable dans l’invention
Horace, Art poétique, vers 40-41 : si le sujet est bien choisi, le plan vient sans peine.
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