Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Régles.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 24-26 :
RÉGLES. On entend ici par régles, les préceptes généraux & particuliers qui enseignent la maniere dont il faut conduire un Drame, pour le rendre agréable & intéressant. Ces préceptes se sont formés des différentes observations que des esprits critiques & judicieux ont faites sur tout ce qui pouvoit contribuer à la perfection d'un Ouvrage Dramatique, d'après la route que les grands Maîtres ont suivie. Il arrive quelquefois que des piéces irrégulieres, telles que le Cid, ne laissent pas de plaire extrêmement ; aussi-tôt on se met à mépriser les régles : c'est, dit-on, une pédanterie gênante & inutile ; & il y a un certain art de plaire qui est au-dessus de tout. Mais, qu'est-ce que cet art de plaire ? Il ne se définit point, on l'attrape par hasard : on n'est pas sûr de le rencontrer deux fois ; enfin, c'est une espéce de magie tout à fait inconnue. Peut-être tout cela n'est-il pas vrai. Il y a beaucoup d'apparence que quand les Piéces irrégulieres plaisent, ce n'est pas par les endroits irréguliers ; & il est certain qu'il n'y a point de Piéce sur le Théâtre qui soit, à de certains égards, moins réguliere que le Cid. Mais il se pourroit bien faire que tout ce qu'il y a d'important pour le Théâtre, ne fût point réduit en régles, ou du moins, ne fût pas fort connu. Ces régles, qui ne sont pas encore faites, ou que tout le monde ne sait pas, voilà apparemment l'art de plaire, voilà en quoi consiste la magie.
2°. Pour trouver les régles du Théâtre, il faudroit remontez jusqu'aux premieres sources du beau, découvrir quelles sont les choses dont la vue peut plaire aux hommes, c'est-à-dire, leur occuper l'esprit, ou leur remuer le cœur agréablement ; & cela est déja d'une vaste étendue, & d'une fine discussion. Après avoir découvert quelles sont les actions qui, de leur nature, sont propres à plaire, il faudroit examiner quels changemens y apporte la forme du Théâtre, ou par nécessité, ou par le seul agrément ; & ces recherches étant faites avec toute l'exactitude & toute la justesse nécessaire, alors on n'auroit pas seulement trouvé les régles du Théâtre ; mais on seroit sûr de les avoir trouvées toutes ; & si, en descendant dans le détail, il en étoit échappé quelqu'une, on la rameneroit sans peine aux principes qui auroient été établis.
3°. Avoir trouvé toutes les régles du Théâtre, ce ne seroit pas encore toute la Poëtique ; il faudroit comparer ensemble ces différentes régles, & juger de leur différente importance. Telle est, presque toujours, la nature des sujets, qu'ils n'admettent pas toutes sortes de beautés : il faut faire un choix, & sacrifier les uns aux autres. Ainsi, il seroit fort utile d'avoir une balance où l'on pût, pour ainsi dire, peser les régles. On verroit qu'elles ne méritent pas toutes une égale autorité. Il y en a qu'il faut observer à la rigueur, d'autres qu'on peut éluder ; &, si on peut le dire, les unes demandent une soumission sincère, les autres se contentent d'une soumission apparente. Si l'on avoit trouvé les différentes sources qui les produisent, il ne seroit pas difficile de donner à chacune sa véritable valeur.
Référence :
Corneille, le Cid : c’est l’exemple même des pièces irrégulières, mais c’est lié à l’époque où elle a paru, les règles n’étant pas encore bien connues. Et ce n’est pas par leurs irrégularités que les pièces irrégulières plaisent.
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