Rime

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Rime.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 55-56 :

RIME. Malgré toutes nos réflexions & toutes nos plaintes contre la rime, nous ne pourrons jamais en secouer le joug ; elle est essentielle à la Poésie Française. Notre langue ne comporte point d'inversions : nos vers ne souffrent point d'enjambement : nos syllabes ne peuvent produire une harmonie sensible, par leurs mesures longues ou brèves : nos césures & un certain nombre de pieds, ne suffiroient pas pour distinguer la prose d'avec la versification. La rime est donc nécessaire aux vers François ; de plus, tant de grands Maîtres, qui ont fait des vers rimés, tels que les Corneilles, les Racines, les Despréaux, ont tellement accoutumé nos oreilles à cette harmonie, que nous n'en pourrions pas supporter d'autres ; &, je le répete encore, quiconque voudroit se délivrer d'un fardeau qu'a porté le grand Corneille, seroit regardé, avec raison, non pas comme un génie hardi qui s'ouvre une route nouvelle; mais comme un homme très-foible, qui ne peut se soutenir dans l'ancienne carriere. On a tenté de nous donner des Tragédies en prose ; mais je ne crois pas que cette entreprise puisse désormais réussir : qui a le plus, ne sauroit se contenter du moins. On sera toujours mal reçu à dire au Public, je viens diminuer votre plaisir. Si, au milieu des Tableaux de Rubens ou de Paul Véronèse, quelqu'un venoit placer ses desseins au craïon, n'auroit-il pas tort de s'égaler à ces Peintres ? On est accoutumé dans les Fêtes, à des danses & à des chants ; seroit-ce assez de marcher & de parler, sous prétexte qu’on marcheroit & qu'on parleroit bien, & que cela seroit plus aisé & plus naturel ? Il y a grande apparence qu'il faudra toujours des vers sur tous les Théâtres Tragiques, & des rimes sur le nôtre. C'est même à cette contrainte de la rime, & à cette sévérité extrême de notre versification, que nous devons ces excellens Ouvrages que nous avons dans notre langue. Nous voulons que la rime ne coûte jamais rien aux pensées ; qu'elle ne soit ni triviale, ni trop recherchée : nous exigeons rigoureusement dans un vers la même pureté, la même exactitude que dans la prose. Nous ne permettons pas la moindre licence ; nous demandons qu'un Auteur porte sans discontinuer toutes ces chaînes ; & cependant, qu'il paroisse toujours libre ; & nous ne reconnoissons pour Poëtes, que ceux qui ont rempli toutes ces conditions. Cependant tous les Peuples de la terre, excepté les anciens Romains & les Grecs, ont rimé & riment encore. Le retour des mêmes sons est si naturel à l'homme, qu'on a trouvé la rime établie chez les Sauvages, comme elle l'est à Rome, à Paris, à Londres & à Madrid. Il y a dans Montagne une Chanson en rimes Américaines, traduite en François. On trouve, dans un des Spectateurs de M. Addisson, une traduction d'une Ode Laponne rimée, qui est pleine de sentiment.

Références :

Les grandes références en matière de versification sont Corneille, Racine et Boileau.

Leur équivalent en matière de peinture sont Rubens et Véronèse.

La rime n’est pas un obstacle à la poésie, loin de là. En témoignent Montaigne et la chanson « américaine » qu’il rapporte et qu’il juge « anacréontique » (Des Cannibales 1, 31), et Addisson qui a traduit une ode laponne rimée (Voltaire, dans la préface d'Œdipe, la signale  elle figurerait dans un numéro du Spectator, le journal qu’il a fondé). L’ensemble de l’article Rime paraît devoir beaucoup à cette préface de Voltaire.

 

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