Créer un site internet

Situation

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Situation.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 150-152 :

SITUATION. Une situation n'est autre chose que l'état des Personnages d'une Scène, à l'égard les uns des autres. En ce premier sens, toutes les Scènes d'une Piéce sont, malgré qu'on en ait, autant de situations ; mais on n'employe ordinairement ce terme que dans un sens plus restreint, & pour exprimer des situations singuliérement intéressantes. Elles ne peuvent être singulieres que par deux moyens ; par celui de la nouveauté, ou par celui de l'importance des intérêts. La nouveauté supposée, qui seroit toujours d'un grand mérite, quand les passions ne seroient pas si vives, il faut encore faire attention à l'importance des intérêts. Une situation bien imaginée dans ce genre, est d'un si grand effet, qu'avant que les Personnages se parlent, il s'éleve parmi les Spectateurs un murmure d'applaudissemens & une curiosité avide, de ce que les Acteurs vont se dire. Je remarquerai, en passant, qu'on ne sauroit ménager dans une Piéce plusieurs de ces situations, qu'à la faveur d'un nombre d'incidens qui changent tout-à-coup la face des choses, & qui mettent ainsi les Personnages dans des situations nouvelles & surprenantes,

La Situation, en fait de Tragédie, dit 1 Abbé Nadal, est souvent un état intéressant & douloureux ; c'est une contradiction de mouvemens qui s'élevent tout à-la-fois, & qui se balancent ; c'est une indécision en nous de nos propres sentimens, dont le Spectateur est plus instruit, pour ainsi dire, que nous-mêmes, sur ce qu'il y a à conclure de nos mœurs, si elles sont frappées comme elles doivent l'être. Au milieu de toutes les considérations qui nous divisent & qui nous déchirent, nous semblons céder à des intérêts où nous inclinons le moins ; notre vertu ne nous assure jamais plus, que lorsque notre foiblesse gagne de son côté plus de terrein : c'est alors que le Poëte, qui tient dans sa main le secret de nos démarches, est fixé par ses régles, sur le parti qu'il doit nous faire prendre, & tranche d'après elles sur notre destinée. C'est dans le Cid qu'il faut chercher le modele des situations. Rodrigue est entre son honneur & son amour ; Chimene est entre le meurtrier de son Pere & son Amant ; elle est entre les devoirs sacrés & une passion violente ; c'est de là que naissent des agitations plus intéressantes les unes que les autres ; c'est-là où s'épuisent tous les sentimens du cœur humain , & toutes les oppositions que forment deux mobiles aussi puissans que l'honneur & l'amour. La situation de Cornelie entre les cendres de Pompée & la présence de César, entre la haine pour ce grand Rival, & l'hommage respectueux qu'il rend à la vertu ; les ressentimens en elle d'une ennemie implacable, sans que sa douleur prenne rien sur son estime pour César ; tout cela forme de chaque Scène , où ils se montrent ensemble, une situation différente. Dans de pareilles circonstances, leur: silence même seroit éloquent, & leur entrevue une Poésie sublime ; mais les présenter vis à vis l'un de l'autre, c'est pour Cornélie avoir déja fait les beaux vers & ces tirades magnifiques qui mettent les vertus Romaines dans leur plus grand jour. Il est aisé de ne pas confondre les coups de Théâtre & les situations : l'un est passager, &, à le bien prendre, n'est point une partie essentielle de la Tragédie, puisqu'il seroit facile d'y suppléer ; mais la situation sort du sein du sujet, & de l'enchaînement de quelques incidens, &, par conséquent, s'y trouve beaucoup plus liée à l'action,

Références :

Pièces :

Corneille, le Cid : elle présente une situation particulièrement intéressante, Rodrigue entre honneur et amour, Chimène entre fidélité à son père et amour.

Corneille, la Mort de Pompée : Cornélie est déchirée entre la fidélité à Pompée et la présence de César capable de rendre hommage à Pompée.

Critique littéraire :

L’abbé Augustin Nadal (1659-1741), poète, auteur dramatique et critique littéraire, définit la situation comme « un état intéressant et douloureux » (la citation est dans tous les livres du temps parlant de la tragédie). Cette citation provient de ses Observations sur la tragédie, qu’on peut lire au tome 2 de ses Œuvres mêlées, p. 198-199.

Ajouter un commentaire

Anti-spam