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Sublime

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Sublime.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 191-195 :

SUBLIME. Le sublime, en général, est tout ce qui nous éleve au-dessus de ce que nous étions, & qui nous fait sentir en même tems cette élévation. Il y a deux sortes de sublimes: le sublime des images, & le sublime des sentimens. Ce n'est pas que les sentimens ne présentent en un sens de nobles images, puisqu'ils ne sont sublimes, que parce qu'ils exposent aux yeux l'ame & le cœur ; mais, comme le sublime des images peint seulement un objet sans mouvement, & que l'autre sublime marque un mouvement du cœur, il a fallu distinguer ces deux espéces par ce qui domine en chacune. Les peintures que Racine fait de la grandeur de Dieu, sont sublimes. En voici deux exemples :

    J'ai vu l'impie adoré sur la terre ;
    Pareil au cèdre, il cachoit dans les cieux
                Son front audacieux.
Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre,
    Fouloit aux pieds ses ennemis vaincus :
Je n'ai fait que passer, il n'étoit déja plus.

Esther, Sc. V. Act. V. Racine.

Les quatre autres vers suivans, ne sont guères moins sublimes :

L'Eternel est son nom ; le monde est son ouvrage.
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales Loix ;
Et du haut de son Trône, interroge les Rois.

Les sentimens sont sublimes, quand, fondés sur une vraie vertu, ils paroissent être presque au-dessus de la condition humaine, & qu'ils font voir, comme le dit Senéque, dans la foiblesse de l'humanité, la constance d'un Dieu ; l'Univers tomberoit sur la tête du Juste, son ame seroit tranquille, dans le tems même de sa chûte. L'idée de cette tranquillité, comparée avec le fracas du monde entier qui se brise, est une image sublime ; & la tranquillité du Juste, est un sentiment sublime. Le sublime des sentimens, est ordinairement tranquille. Une raison affermie sur elle-même, les guide dans tous leurs mouvemens. L'ame sublime n'est altérée ni des triomphes de Tibere, ni des disgraces de Varus. Aria se donne tranquillement un coup de poignard, pour donner à son mari l'exemple d'une mort héroïque : elle retire le poignard, & le lui présente, en disant ce mot sublime : Pœtus, cela ne fait point de mal. On représentoit à Horace fils, allant combattre contre les Curiace, que, peut être, il faudroit le pleurer ; il répond:

Quoi ! vous me pleureriez, mourant pour ma Patrie ?

La Reine Henriette d'Angleterre, dans un Vaisseau, au milieu d'un orage furieux, rassuroit ceux qui l'accompagnoient, en leur disant d'un air tranquille, que les Reines ne se noyent pas. Curiace, allant combattre pour Rome, disoit à Camille sa Maîtresse, qui, pour le retenir, faisoit valoir son amour :

Avant que d'être à vous, je suis à mon pays.

Auguste ayant découvert la conjuration que Cinna avoit formée contre sa vie, & l'ayant convaincu, lui dit :

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie,

Voilà des sentimens sublimes ; la Reine étoit au. dessus de la crainte, Curiace au-dessus de l'amour, Auguste au-dessus de la vengeance ; & touś trois, ils étoient au-dessus des passions & des vertus communes. Il en est de même de plusieurs autres traits de sentimens sublimes.

Références :

Pièces :

Corneille, Cinna, acte 5, scène 3, vers 1701 :Augsute renonçant à se venger de Cinna, et lui offrant son amitié.

Corneille, Horace, acte 2, scène 1, vers 398 : c’est Horace qui parle à Curiace : sublime du patriotisme. Même patriotisme dans la bouche de Curiace s’adressant à Camille, acte 2, scène 5, vers 562.

Racine, Esther, acte 3, scène 4, vers 1122-1125, et acte 3 (et non 5), scène 5 et dernière, vers 1278-1283 : deux exemples de vers sublimes, à la gloire de Dieu.

Critique littéraire :

Sénèque, De Tranquillitate animi, 1, 15 : le sublime signe de la faiblesse humaine, mais aussi 17, 10-11, gage de la tranquillité de l’âme.

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