Tableaux

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Tableaux.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 201-203 :

TABLEAUX ; ce sont des descriptions de passions, d'événemens, de phénomènes naturels qu'un Orateur ou un Poëte répand dans sa composition, où leur effet est d'amuser, ou d'étonner, ou de toucher, ou d'effrayer, ou d'imiter, &c. Tacite fait quelquefois un grand Tableau en quelques mots ; Bossuet est plein de ce genre de beautés ; il y a des Tableaux dans Racine & dans Voltaire ; on en trouve même dans Corneille. Sans l'art de faire des Tableaux de toutes sortes de caractères, il ne faut pas tenter un Poëme épique ; ce talent essentiel dans tout genre d'éloquence & de Poësie, est indispensable encore dans le Dramatique.

Exemples de Tableaux dans les Piéces de Théâtre.

Dans Iphigénie, qui ne croiroit voir le retour des Vents que les Grecs arrêtés en Aulide, sollicitoient depuis si long-tems, & qu'ils venoient d'obtenir enfin par le sacrifice d'une fille du sang d'Hélene ? Qui ne croiroit, dis-je, voir ce changement subit en lisant ou en entendant ces Vers :

A peine son sang coule & fait rougir la terre,
Les Dieux font sur l'Autel entendre le tonnerre.
Les vents agitent l'air d'heureux frémissemens ;
Et la mer leur répond par ses mugissemens.
La rive au loin gémit, blanchissante d'écume,
La flamme du bucher d'elle-même s'allume.
Le Ciel brille d'éclairs, s'entr'ouvre, & parmi nous
Jette une sainte horreur, qui nous rassure tous.

L’admirable récit de Théramène dans Phèdre, est rempli de Tableaux semblables. Voyez comme il peint l'affliction d'Hyppolite, que son pere a banni si injustement de la présence :

Il étoit sur son Char. Ses Gardes affligés
Imitoient son silence, autour de lui rangés.
Il suivoit, tout pensif, le chemin de Mycènes ;
Sa main sur les chevaux laissoit flotter les rènes,
Ses superbes coursiers, qu'on voyoit autrefois,
Pleins d'une ardeur si noble, obéir à la voix,
L'œil morne maintenant, & la tête baissée,
Sembloient se conformer à sa triste pensée.

Voyez comme il peint le Monstre terrassé par Hyppolite :

De rage & de douleur, le Monstre bondissant,
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule & leur présente une gueule enflammée,
Qui les couvre de feu, de sang & de fumée.

Et l'endroit des chevaux épouvantés, & du Char mis en piéces :

A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie, & se rompt.

Les Tableaux sont sur-tout nécessaires dans les récits : comme l'action qu'on décrit ne peut se passer sous les yeux même du Spectateur, il faut au moins la peindre à son esprit avec des images si frappantes, qu'elle lui fasse la même impression que s'il la voyoit des yeux du corps.

Références :

Bossuet « est plein de » beaux tableaux.

Corneille même place des tableaux dans ses pièces.

Racine fournit des grands exemples de tableaux.

Racine, Iphigénie, acte 5, scène 6, vers 1777-1784 : l’évocation de la mort d’Ériphile et du vent qui se lève pour permettre le départ de la flotte est un tableau particulièrement évocateur.

Racine, Phèdre, acte 5, scène 6 : le récit de Théramène est rempli de très beaux tableaux, notamment les vers 1499-1506 (l’affliction d’Hippolyte banni par son père), 1531-1534 (le monstre en furie), 1541-1542 (le char qui se brise).

Tacite sait faire en quelques mots un tableau.

Voltaire a mis de beaux tableaux dans ses tragédies.

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