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Théâtre hollandais

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Théâtre hollandois.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 248-253 :

Théâtre Hollandois. Ce Théâtre doit son origine à une association de beaux esprits, pareille à celle des Troubadours de Provence. Le Miroir de l'Amour est la plus ancienne Piéce du Théâtre Hollandais : elle fut imprimée à Harlem en 1561. Dans les anciennes Piéces Dramatiques, on représentoit tout naturellement : dans une de ces Pièces, Aman est. pendu sur la Scène, & Mardoché fait le tour du Théâtre, monté sur une mule. On introduit dans une autre Piéce, un Prince qui, étant condamné à mourir, est accompagné de deux Prêtres pour le confesser, l'un habillé en Evêque, l'autre en Cardinal. Les Poëtes Hollandois, pour se conformer au goût des Spectateurs qui aiment l'extraordinaire & le merveilleux, ont quelquefois rempli la Scène de choses extravagantes. Dans la Tragédie de Circé, un compagnon d'Ulysse est amené devant le Tribunal de cette Magicienne, pour être condamné. Le Lion est le Président ; le Singe, le Greffier ; l'Ours, le Bourreau. On pend le malheureux sur la Scène ; & ses membres tombent pièce à pièce dans un puits qui est au-dessous de la potence ; enfin, à la prière d'Ulysse, Circé ressuscite le pendu, & le fait sortir sain & entier, du puits.

Les Hollandois ne sont assez pas prévenus, pour mettre leurs Comédies à côté des nôtres ; il n'en est pas de même pour le genre tragique ;& Louis Vondel leur paroît assez fort, pour l'opposer à Corneille & à Racine : ils disent de lui comme d'Homère, que dans quelque siécle qu'il eût vécu, il eût été un grand Poëte ; que si dès sa jeunesse, il avoit, par des études, perfectionné ses talens, s'il avoit puisé le bon goût dans les sources de l'antiquité ; s'il avoit vécu dans un tems & chez une Nation où la Poésie ait été cultivée, il auroit égalé, surpassé même les Anciens & les Modernes ; mais il monta sur le Parnasse, sans le secours d'aucune étude ; & il avoit près de trente ans, lorsqu'il commença à apprendre le Latin & le François. Les fruits de sa Muse offrent, dans quelques endroits, une imagination si noble & si Poëtique, qu'on souffre de le voir ensuite tomber souvent dans l'enflure & dans la bassesse. Ses Poésies ont été imprimées en neuf volumes ; & celles qui ornent le plus le recueil, sont les deux Tragédies de la destruction de Jérusalem, & de la prise d'Amsterdam, dont on sera peut-être bien aise d'avoir une idée.

L'Empereur Titus & le Général Librarius paroissent dans le premier Acte, pour faire l'éloge du vainqueur de la Judée. Ce n'est pas le Général qui se charge seul de louer les exploits de son Maître ; Titus prend lui-même le soin de s'élever jusqu'au nues. Librarius ajoute quelques traits à l'image que l'Empereur vient de tracer de son propre mérite ; & toute la Scène n'est qu'un combat entre ces deux personnages, à qui élèvera le plus les actions héroïques de Titus. Parmi les Juifs dont on entend les plaintes, la fille de Sion tient le premier rang ; c'est une grande Princesse, escortée de ses Dames d'honneur ; mais elle a beau pousser des sanglots, elle ne sauroit amollir la dureté barbare de son vainqueur. Elle veut se cacher dans des masures ; on découvre sa retraite ; & on la force de suivre l'Empereur pour servir d'ornement à son triomphe. Siméon , Evéque de Jérusalem, qui s'étoit enfui, revient pour voir le lieu de sa résidence. Il est pris pour un espion ; mais il dissipe les ombrages, en déclarant qu'il est de la Secte paisible des Chrétiens. Ensuite, il déclame contre la barbarie des vainqueurs. L'Ange Gabriel arrive pour le consoler ; il fait voir que la ruine de Jérusalem, si bien méritée par les Juifs, avoit été prédite par les Prophètes ;& il étale toutes les réflexions qu'il faut tirer de ce funeste événement.

Le sujet de la seconde Tragédie est la prise d' Amsterdam, par les Partisans de Florent V, Comte de Hollande, tué par Gérard de Velfen. Celui-ci étoit neveu de Gilbert d'Amstel, Seigneur de cette malheureuse Ville ; & il avoit entrepris cet assassinat, parce que le Comte avoit violé sa femme. C'est par là qu’Amfterdam fut enveloppée dans la vengeance qu'on exerça contre le meurtrier. Cette Ville fut prise à peu près de la même manière que l'ancienne Troye. Les ennemis ayant fait semblant de se retirer, avoient abandonné un grand vaisseau, qui, sous des fagots, cachoit leurs meilleurs Soldats. Les Assiégeans traînerent ce bâtiment dans la Ville ; on devine le reste du sujet. Cet événement arrivé la nuit de Noël, donne à l'Auteur occasion de répandre, à son ordinaire, de l'onction sur le Théâtre : on y voit des Evêques, des Abbés, des Abbesses, des Moines, des Religieuses, qui parlent tous d'une manière digne de leur Profession. L'épouse d'Amstel met son habit de Dimanche pour aller à l'Eglise : on chante des Hymnes propres à la célébration d'une fête solemnelle ; & l'Evêque d'Utrect entonne dévotement le Cantique de Saint Siméon, mis en très-beaux vers Hollandois. La Ville est au pouvoir de l'ennemi qui imite la barbarie exercée par Pyrrhus dans le Palais de Priam. Gilbert se retire dans une forteresse, & veut faire embarquer sa femme & ses enfans pour les dérober aux insultes des vainqueurs. Cette fidelle épouse ne peut se résoudre à quitter son mari ; elle veut subir le même sort ; & toutes les raisons imaginables ne lui font point changer de résolution. Les enfans se mettent de la partie ; & cette tendre contestation ne finiroit pas, si l'Archange Gabriel ne venoit terminer la dispute. Il exhorte cette famille désolée à se soumettre à la Providence, & à quitter la ville, pour chercher une retraite en Prusse, où il lui promet un bonheur tranquille. Il annonce la future grandeur d'Amfterdam, & le changement de culte, qui doit y arriver après qu'elle aura secoué la tyrannie Espagnole.

Vondel, né Anabaptiste, avoit embrassé, dans la suite, le parti des Arminiens; mais dans sa vieillerie, il se rangea du côté de l'Eglise Romaine. Cette conduite scandalisa ses admirateurs, même, sur-tout lorsqu'il composa une Tragédie sur la Reine Marie d'Ecosse, dont il fait une Sainte. Dans le tems que sa Muse étoit encore Arminienne, le Prince Maurice lui fournit un autre sujet Théâtral, en faisant mourir sur l’échaffaud le grand Pensionnaire Barnevelt. L'Auteur en fit une Piéce Allégorique, sous le nom de la Mort de Palamede faussement accusé par Ulysse. Au lieu des Prêtres Grecs, on y introduit des Ministres Hollandois ; & Palamede, qui mourut jeune, y paroît comme un vieillard, pour mieux ressembler au Pensionnaire. Il étale d'abord tous les chefs d'accusations, dont les Grecs le chargent injustement, & prouve son innocence d'une manière fort étendue. Mégere évoque des enfers Sysiphe, un des Agens d'Ulysse, le mene dans le camp des Grecs, & le porte à augmenter la malice & la ruse dans le cœur de son petit-fils. Quoique Sysiphe traite assez mal la Déesse, en lui donnant les noms de Cochemar & de vieille sorciere, il ne laisse pas que de lui obéir. Il entre dans la tente d'Ulysse, & lui inspire la fraude qui doit causer la perte de Palamede. Le reste de l'Acte & les trois suivans sont employés à instruire le procès de l'Accusé ; & on le condamne sur une fausse lettre de Priam, & sur un casque rempli d'or, enterré par Ulysse dans la tente de ce Prince innocent. Enfin, un Courier vient annoncer sa mort ; on en décrit toutes les particularités : on en demande la vengeance à Neptune. Le Dieu paroît, prédit les malheurs qui doivent arriver à tous ceux qui ont conspiré contre Palamede. Cette Pièce irrita le Prince Maurice de Nassau, instigateur de ce meurtre : on voulut faire le procès à l'Auteur ; mais il en fut quitte pour une amende. Toutes ses Tragédies pèchent du côté des régles & du plan.

En 1610, un certain Pierre Corneille Hoolf, donna une forme plus régulière au Théâtre Hollandois, tandis qu'en France un autre Pierre Corneil [sic] travailloit aussi, mais avec plus de succès, à la gloire de la Scène Françoise : depuis, les Hollandois ont goûté les Pièces Dramatiques de nos meilleurs Auteurs en ce genre. Les Acteurs de ce pays sont presque tous des Bourgeois & des Bourgeoises : & ce qui paroîtra peut-être ici bien singulier , c'est qu'une Actrice est obligée de veiller à sa réputation, parce que autrement les autres Comédiens ne voudroient plus jouer avec elle. Le Théâtre d'Amsterdam passe pour le plus beau de l'Europe.

On s'est un peu étendu sur ce Théâtre, parce que c'est un des moins connus.

Références :

Pierre Corneille Hoolf (en fait, Peter Corneliszoon Hooft, 1581-1647, considéré comme le premier poète moderne de langue néerlandaise.

Colin Van Ryssele, le Miroir de l’Amour (de Spiegel der Minne), première pièce connue du théâtre hollandais.

Louis Vondel (en fait, Joos van den Vonden) est considéré comme l’égal des plus grands auteurs français de tragédies. Il est, entre autres oeuvres, l’auteur d’une tragédie sur la destruction de Jérusalem à l’époque de Titus, Hierusalem vervoest (1620) et d’une sur la prise d’Amsterdam, Gysbreght van Aemstel (1637). On lui doit aussi un Palamede (1625), qui est en fait une pièce politique sous des airs allégoriques. [on peut consulter en ligne, sur le site jstor.org, Joost van den Vondel (1587-1679) : Dutch Playwright in the Golden Age de Jan Bloemendal et Frans-Willem Korsten, 2012 (Brill éditeur)]

On trouve bien des indications sur le théâtre hollandais dans les Réflexions historiques et critiques sur les différents théâtres de l’Europe de Luigi Roccoboni (Paris, 1738) (et sur les théâtres des autres pays) et nos auteurs disposaient manifestement de cette source, ou de la source de Riccoboni, qui n'est peut-être pas plus original que les auteurs de notre dictionnaire.

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