Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Théâtre.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 233-241 :
THÉATRE. C'étoit chez les Anciens, un superbe édifice public, destiné à la représentation des Spectacles : il étoit composé d'un amphithéâtre en demi-cercle, entouré de portiques, & garni de siéges de pierres, qui environnoient un espace appellée orchestre. Au devant étoit le plancher du Théâtre qu'on nommoit le proscenium ou pulpitum, avec la Scène, qui étoit une grande façade, décorée de trois ordres d'architecture, derrière laquelle étoit le lieu où les Acteurs se préparoient. Ce Théâtre avoit trois sortes de Scènes mobiles de perspectives peintes ; sçavoir, la Tragique, la Comique, & la Satyrique. On parlera des principaux Théâtres de l'Europe aux mots de Théâtre Allemand, Anglois, Danois, Espagnol, Hollandois, Japonois, Indien, Italien, Chinois, Péruvien, Russe, &c.
Idée des Théâtres des Anciens.
Il y avoit dans les Théâtres jusqu'à trois étages, & chaque étage étoit de neuf degrés, en comptant le palier qui en faisoit la séparation, & qui servoit à tourner autour ; mais comme ce palier tenoit la place de deux dégrés, il n'en restoit plus que sept, où l'on pût s'asseoir ; & chaque étage n'avoit par conséquent que sept rangs de siéges ; ainsi quand on lit dans les Auteurs, que les Chevaliers occupoient les quatorze premiers rangs du Théâtre, il fauut entendre le premier & le second étage de dégrés le troisieme étant abandonné au Peuple avec le Portique supérieur ; & l’Orcheftre étoit, comme nous l'avons dit, réservé pour les Sénateurs & les Vestales.
Il faut néanmoins prendre garde que ces distinctions de rangs ne commencerent pas en même tems ; ce fut, selon Tite-Live, l'an 568, que le Sénat commença à être séparé du peuple aux Spectacles ; & ce ne fut que l'an 685, sous le Consulat de L. Metellus, & Q. Martius, que la loi Roscia assigna aux Chevaliers les quatre premiers rangs du Théâtre. Ce ne fut même que sous Auguste que les femmes commencèrent à être séparées des hommes, & à voir le Spectacle du troisiéme portique.
Les portes par où le peuple se repandoit sur les degrés, étoient tellement disposées entre les escaliers, que chacun d'eux répondoit par en haut, à une de ces portes, & que toutes ces portes se trouvoient, par en bas, au milieu des amas de degrés, dont ces escaliers faisoient la séparation. Ces pertes & ces escaliers étoient au nombre de trente-neuf en tout ; il y en avoit alternativement six des uns & six des autres à chaque étage, sçavoir, sept portes & sïx escaliers au premier, sept escaliers & six portes au second, & sept portes & six escaliers au troisieme.
Mais comme ces escaliers n'étoient, à proprement parler, que des espèces de gradins, pour monter plus aisément sur les degrés où l'on s'asseyoit, ils étoient pratiqués dans ces degrés mêmes, & n'avoient que la moitié de leur hauteur & de leur largeur. Les paliers, au contraire, qui en séparoient les étages, avoienr deux fois leur largeur, & laissoient la place d'un degré vuide, de manière que celui qui étoit au-dessus avoit deux fois la hauteur des autres ; tous ces degrés devoient être tellement alignés, qu'une corde tendue depuis le bas jusqu'en haut, en touchât toutes les extrémités.
C'étoit sous ces degrés qu'étoient les passages par où l'on entroit dans l'orchestre, & les escaliers qui montoienr aux différens étages du théâtre ; & comme une partie de ces escaliers montoient aux degrés & les autres aux portiques, il falloir qu'ils fussent différemment tournés mais ils étoient tous également larges entièrement dégagés des vues des autres & sans aucun détour, afin que le peuple y fût moins pressé en sortant.
Jusqu'ici le Théâtre des Grecs & celui des Romains étoient entièrement semblables ; le premier département avoit non seulement chez eux la même forme en général , mais encore les mêmes dimensions en particulier ; & il n'y avoit de différence dans cette partie de leur Théâtre, que par les vases d'airain que les Grecs y plaçoient, afin que tout ce qui se prononçoit, fût exactement entendu de tout le mon de. Cet usage même s'introduisit ensuite chez les Romains dans leurs théâtres solides.
Les Grecs établirent beaucoup d'ordre pour les places ; & les Romains les imitèrent encore. Dans la Grèce les Magistrats étoient au Théâtre séparés du peuple. Les jeunes gens y étoient aussî placés dans un endroit particulier ; & les femmes y voyoient de même le Spectacle du troisieme portique ; mais il y avoit outre cela des places marquées, où il n'étoit pas permis à tout le monde de s'asseoir, & qui appartenoient en propre à certaines personnes. Ces places étoient héréditaires dans les familles, & ne s'accordoient qu'aux particuliers qui avoient rendu de grands services à l'Etat. C’étoient les premières places du théâtre ; c'est-à-dire, les plus proches de l'orchestre ; car l’orchestre étoit, comme nous l'avons dit, une des parties destinées aux Acteurs chez les Grecs ; au lieu que c'étoit, chez les Romains, la place des Sénateurs & des Vestales.
Mais quoique l'orchestre eût des usages différens chez ces deux Nations, la forme en étoit cependant à peu près de même en général : comme elle étoit située entre les deux autres parties du théâtre, dont l'une étoit circulaire, & l'autre quarrée, elle tenoit de la forme de l'une & de l'autre, & occupoit tout l'espace qui étoit entr'elles. Sa grandeur varioit, par conséquent, suivant l'étendue du théâtre, mais sa largeur étoit toujours double .de sa longueur, à cause de sa forme ; & cette largeur étoit précisément le demi-diamétre de tout l'édifice.
La Scène, chez les Romains, se divisoit, comme chez les Grecs, en trois parties, dont la situation, les proportions & les usages étoient les mêmes que dans les Théâtres Grecs.
La première & la plus considérable partie s'appelloit proprement la Scène, & donnoit son nom à tout ce département. C'étoit une grande face de bâtiment qui s'étendoit d'un côté du Théâtre à l'autre, & sur laquelle se plaçoit [sic] les décorations. Cette façade avoit à ses extrémités deux petites aîles en retour qui terminoient cette partie ; de l'un à l'autre de ces aîles s'étendoit une grande toile à peu près semblable à celle de nos Théâtres, & destinée aux mêmes usages , mais dont le mouvement étoit fort différent ; car au lieu que la nôtre se leve au commencement de la pièce, & s'abaisse à la fin de la repréfentation, parce qu'elle se plie sur le ceintre, celle des anciens s'abaissoit pour ouvrir la Scène, & se levoit dans les entre actes, pour préparer le Spectacle suivant, parce qu'elle se ployoit sur le Théâtre ; de manière que lever & baisser la toile, signifioit précisément chez eux tout le contraire de ce que nous entendons aujourd'hui par ces termes.
La seconde partie de la Scène, nommée indifféremment par les Latins Proscenium & Pulpitum, en François l'avant-Scène, étoit un grand espace libre au-devant de la Scène, où les Auteurs venoient jouer la Pièce, & qui, par le moyen des décorations, représentoit une place publique, un simple carrefour, ou quelqu'endroit champêtre, mais toujours un endroit à découvert ; car toutes les Pièces des Anciens se passoient au dehors, & non dans l'intérieur des maisons, comme la plupart des nôtres. La longueur & la largeur de cette partie varioient suivant l'étendue des Théâtres ; mais la hauteur en étoit toujours la même, sçavoir, de dix pieds chez les Grecs, & de cinq chez les Romains.
La troisiéme & dernière partie étoit un espace ménagé derrière la Scène, qui lui servoit de dégagement ; c'étoit où s'habilloient les Acteurs, où l'on serroit les décorations, & où étoit placé une partie des machines, dont les Anciens avoient de plusieurs sortes dans leurs Théâtres, ainsi que nous le verrons dans la suite.
Comme ils avoient de trois sortes de Pièces, des Comiques, des Tragiques & de Satyriques, ils avoient aussi des décorations de ces trois différens genres. Lès Tragédies représentoient toujours de grands bâtimens, avec des colonnes, des statues & les autres ornemens convenables ; les Comiques représentoient des édifices particuliers, avec des toiles & de simples çroisées, comtne on en voit communément dans la ville ; & les Satyriques quelques maisons rustiques, avec des arbres, des rochers, & les autres choses qu'on voit d'ordinaire à la campagne.
Ces trois Scènes pouvoient se voir de bien des maisons, quoique la disposition en dût être toujours la même en général ; & il falloir qu'elles eussent chacune cinq différentes entrées, trois en faces & deux sur les aîles. L'entrée du milieu étoit toujours celle du principal Acteur ; ainsi dans la Scène tragique, c'étoit ordinairement la porte d'un palais ; celles qui étoient à droite & à gauche, étoient destinées à ceux qui jouoient les seconds rôles ; & les deux autres qui étoient sur les aîles, servoient, l'une à ceux qui arrivoient de la campagne, & l'autre à ceux qui venoient du port, ou de la place publique.
C'étoit à peu-près la même chose dans la Scène Comique : le bâtiment le plus considérable étoit au milieu ; celui du côté droit étoit un peu plus élevé ; & celui qui étoit à gauche représentoit ordinairement une hôtellerie ; mais dans la Satyrique, il y avoit toujours un antre au milieu, quelques méchantes cabanes à droite & à gauche, un vieux Temple ruiné, ou quelque bout de paysage.
Les Théâtres à Rome ne se bâtissoient anciennement que de bois, & ne servoient que pendant quelques jours, de même que les échaffauds que nous faisons pour les Cérémonies. L. Mancinnius fut le premier qui rendit ces Théâtres de bois plus splendides, en enrichissant les jeux, qu'on fit à son triomphe, des débris du théâtre de Corinthe. Ensuite Scaurius éleva le sien avec une telle magnificence, que la description de ce Théâtre paroît appartenir à l'Histoire des Fées ; le Théâtre suspendu & brisé de Curion, fit voir une machine merveilleuse, quoiqu’en un autre genre ; Pompée bâtit le premier un magnifique Théâtre de pierre & de marbre. Marcellus en construisit un autre dans la neuvième région de Rom ; & ce fut Auguste qui le consacra.
Ce n'est pas tout ; les Anciens, par la forme de leurs Théâtres, donnoient plus d'étendue, & avec plus de vraisemblance, à l'unité du lieu, que ne le peuvent les Modernes ; la Scène qui parmi ces derniers, ne représente qu'une salle, un vestibule, où tout se dit en secret, d'où rien ne peut transpirer au-dehors, que ce que les Acteurs y répetent la Scène, dis-je , si resserrée parmi les Modernes, fut immense chez les Grecs & les Romains ; elle représentoit les places publiques ; on y voyoit des Palais, des obélisques,des temples, & surtout le lieu de l'action.
Le peu d'étendue de la Scène théâtrale moderne a mis des entraves aux productions dramatiques. L'exposition doit être faite avec art, pour amener à propos des circonstances qui réunissent, dans un seul point de vue, ce qui demandoit une étendue de lieu que l'on n"a pas. Il faut que les confidens inutiles soient rendus nécessaires, qu'on leur fasse de longs détails de ce qu'ils devroient savoir, & que les catastrophes soient ramenées sur la Scène par des narrations exactes. Les Anciens, par les illusions de la perpective, & par la vérité des reliefs, donnoient à la Scène toute la vraisemblance & toute l'étendue qu'elle pouvoir admettre. Il y avait à Athènes une partie considérable des fonds publics destinés pour l'ornement & l'entretien du Théâtre. On dit même que les décorations des Bacchantes, des Phéniciennes, de la Médée d'Euripide, d'Œdipe, d'Antigone, d'Electre & de Sophocle , coûtèrent prodigieusement à la République.
Un Théâtre construit selon les régles, doit être très-vaste : il doit représenter une partie d'une place publique, le péristyle d'un Palais, l'entrée d'un Temple. Il doit être fait de sorte qu'un Personnage, vu par les Spectateurs, puisse ne l'être point par les autres Personnages, selon le besoin : il doit en imposer aux yeux, qu'il faut toujours séduire les premiers. Il doit être susceptible de la pompe la plus majestueuse. Tous les Spectateurs doivent voir & entendre également, en quelqu'endroit qu'ils soent pacés [sic].
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