Le vrai et le vraisemblable

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Le vrai et le vraisemblable.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 402-403 :

LE VRAI ET LE VRAISEMBLABLE, sont assez différens. Le Vrai est tout ce qui est ; le Vraisemblable est ce que nous jugeons qui peut être & nous n'en jugeons que par de certaines idées qui résultent de nos expériences ordinaires. Ainsi le Vrai a infiniment plus d'étendue que le Vraisemblable, puisque le Vraisemblable n'est qu'une petite portion du Vrai, conforme à la plupart de nos expériences. Le Vrai n'a pas besoin de preuves ; il suffit qu'il soit & qu'il se montre. Le Vraisemblable en a besoin ; il faut pour être reçu qu'il se rapporte à nos idées communes. Incertains que nous sommes, & avec beaucoup de raifon, sur l'infinie possibilité des choses, nous n'admettons pour possibles que celles qui ressemblent à ce que nous voyons souvent. Tout ce que verroit notre contemplateur seroit vrai, & par -là suffisamment prouvé, quelqu’extraordinaire qu'il fût ; mais au Théâtre-où tout est feint, il faut nécessairement que le vraisemblable prenne la place du vrai. Il faut donc conserver exactement le vraisemblable, tant dans les événemens que dans les caractères, à moins que celui qui en sortiroit ne fût un fait constant par l'histoire, & extrêmement connu ; auquel cas le vrai rentre dans ses droits, & encore est-il périlleux de montrer ce vrai qui n'est pas vraisemblable. Lorsqu'Horace tue Camille, cette action déplaît non-seulement par son extrême barbarie, mais par le peu de vraisemblance qu'il y a qu'un frère tue sa sœur, pour quelques paroles emportées que lui arrache la douleur d'avoir perdu son Amant. L'histoire même paroît avoir peine à se charger de vérités peu vraisemblables ; elle adoucit, autant qu'elle peut, les choses trop bisarres ; elle imagine des vues & des motifs proportionnés à la grandeur des événemens & des actions ; elle travaille à rendre les caractères uniformes & suivis ; & cet amour du vraisemblable la jette très- souvent dans le faux. Il s'en faut bien que la nature soit renfermée dans les petites régles qui font notre vraisemblable, & qu'elle s'assujettisse aux convenances qu'ils nous a plû d'imaginer ; mais c'est au Poète à s'y assujettir, & à se tenir dans les bornes étroites où la vraisemblance est resserrée.

Référence :

Corneille, Horace, acte 4, scène 5 : le meurtre de Camille par Horace déplaît parce qu’il est peu vraisemblable qu’un frère tue sa sœur.

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