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Vers

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Vers.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 363-365 :

VERS. C'est par l'heureux choix des mots & par la mélopée, que la Poésie réussit. Les pensées les plus sublimes ne sont rien, si elles sont mal exprimées. Si on examinoit tous les Vers, on en trouveroit beaucoup plus qu'on ne pense, de défectueux & chargés de mots impropres. Il n'y a de beau que le vrai, exprimé clairement. Que le Lecteur applique cette remarque à tous les Vers qui lui feront de la peine, qu'il tourne les Vers en Prose, qu'il voye si les paroles de cette Prose sont précises, si le sens est clair, s'il est vrai, s'il n'y a rien de trop, ni de trop peu ; & qu'il soit sûr que tout Vers qui n'a pas la netteté & la précision de la Prose la plus exacte, ne vaut rien. Les Vers, pour être bons, doivent avoir tout le mérite d'une Prose parfaite, en s'élevant au dessus d'elle par le rithme, la cadence , la mélodie, & par la sage hardiesse des figures. Les Vers foibles ne sont pas ceux qui pèchent contre les régles, mais contre le génie; qui, dans leur méchanique, sont sans variété, sans choix de termess, sans heureuses inversions, & qui, dans leur Poésie, conservent trop la simplicité de la Prose. On ne peut mieux sentir cette différence, qu'en comparant les endroits que Racine, & Campistron son imitateur, ont traités. Des Vers peuvent avoir de la force, & manquer de toutes les autres beautés. La force d'un Vers, dans notre langue, vient principalement dire quelque chose dans chaque hémistiche.

» Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.

» L'Eternel est son nom, le monde est son ouvrage.

Ces deux Vers, pleins de force & d'élégance, sont le meilleur modèle de la Poésie. On est quelquefois étonné que les mêmes Vers, le même hémistiche, fassent un très grand effet dans un endroit, & soient à peine remarqués dans un autre. La situation en est cause : aussi on appelle Vers de situation, ceux qui par eux-mêmes n'ayant rien de sublime, le deviennent par les circonstances où ils sont placés.

L'usage est d'écrire les Tragédies en Vers Alexandrins, mêlés alternativement de deux rimes masculines & de deux féminines. L'arrangement même de ces rimes peut être varié, comme M. de Voltaire l'a fait dans son Tancrède. Les Vers même irréguliers, c'est-à-dire, composés tantôt de douze, de dix, de huit, ou de moins de syllabes, pourroient, à la rigueur, entrer dans la Tragédie. Nous en avons quelques exemples, & dans Corneille, & dans Racine. Ce dernier fait tenir un monologue assez long à Antigone en Vers irréguliers, dans les Frères Ennemis :

A quoi te résous-tu, Princesse infortunée ?
    Ta mère vient de mourir dans tes bras ;
        Ne saurois-tu suivre ses pas,
Et finir, en mourant, ta triste destinée ? &c.

Mais ces exemples n'ont pas prévalu, & les Vers irréguliers conviennent mieux au Drame lyrique, où ils font indispensables pour la Musique.

Quant à la Comédie, les Menandres & les Térences ont écrit les leurs en Vers. C'est un mérite de plus, & ce n'est guères que par impuissance de mieux faire, par paresse, ou par envie de faire vîte, que les Modernes ont écrit des Comédies en Prose. L'Avare, que Moliere n'eut pas le tems de versifier, détermina plusieurs Auteurs à faire leurs Comédies de la même façon.

Bien des gens prétendent que la Prose est plus naturelle, & sert mieux le Comique : mais il paroît incontestable que les Vers y feront toujours un tout autre effet. Le Misantrope & le Tartuffe perdroient bien de leur force & de leur énergie, s'ils étoient en Prose. La Prose est assez convenable dans les Farces.

Références :

Corneille, Cinna, acte 2, scène 1, vers 370, « Et monté sur le faîte, il aspire à descendre » : vers présenté comme « le meilleur modèle de la Poésie », parce qu’il dit « quelque chose dans chaque hémistiche ».

Corneille a utilisé à plusieurs reprises des vers irréguliers, c’est-à-dire des vers de longueurs différentes, sans donner d’exemples (mais on peut songer aux stances du Cid).

Ménandre a écrit ses comédies en vers.

Molière, l’Avare : Molière a écrit sa pièce en prose, faute de temps pour l’écrire en vers, et cet exemple a conduit d’autres auteurs à faire de même.

Molière, le Misanthrope, Tartuffe : ces deux pièces perdraient beaucoup de leur force si elles étaient en prose.

Racine, Esther, acte 3, scène 4; vers 1122 : « L'Eternel est son nom, le monde est son ouvrage » : vers présenté comme « le meilleur modèle de la Poésie », parce qu’il dit « quelque chose dans chaque hémistiche ».

Racine, la Thébaïde, ou les Frères ennemis, acte 5, scène 1 : le monologue d’Antigone est composé de trois strophes de dix vers de 12, 10 et 8 syllabes.

Térence a écrit ses comédies en vers.

Voltaire, Tancrède : l’arrangement des rimes dans cette pièce est varié (par exemple, les sept premiers vers utilisent deux rimes, ABBABAB).

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