Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Versification.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome III, p. 365-368 :
VERSlFICATlON. Rimons sans superstition & sans négligence ; faisons sentir le repos du Vers ; évitons les articulations difficiles, & n'enjambons point : nous voilà irrépréhensibles en tant que Versificateur ; & les autres reproches ne pourront plus tomber que sur le discours même. Il se présente un peu de réflexions à faire sur la versification entant que discours. Premièrement : elle doit être pure ; j'entends que la langue y doit être exactement observée pour l'emploi des termes, pour l'alliance des expressions, pour la construction des phrases. La contrainte a souvent coûté là-dessus des fautes aux plus habiles ; &à l'égard des expressions, la difficulté leur en fait pardonner quelques-unes. Celles qui sont échappées le plus souvent aux bons Ecrivains, ont bientôt passé en privilèges pour leurs successeurs ; d'abord sous le nom de licence, & ensuite comme élégance même. La pureté consiste aujourd'hui à n'user que de ces irrégularités passées en usage, & à ne pas en hasarder de nouvelles, ou à le faire si adroitement, qu'on ne l'apperçoive presque pas. En ce cas, on enrichit la langue des Vers ; & deux ou trois Auteurs, pour leur commodité, n'auront pas plutôt adopté ces audaces, que, d'exemple en exemple, elles acquerront non-seulement de l'autorité, mais encore de la noblesse & de l'agrément. On applaudit aujourd'hui à telle hardiesse, qui dans sa nouveauté pouvoit à peine obtenir grâce. Secondement : elle doit être claire ; & pour cela, il faut éviter les transpositions violentes ; parce que l'esprit désorienté par le nouvel arrangement des mots, a peine à les rétablir dans leur ordre naturel : les équivoques ; parce qu'offrant tout à la fois deux sens à l'esprit , il perd du tems à chercher le véritable : les entassemens d'idées ; parce qu'il y a du travail à les rassembler, & à en discerner les rapports : la profusion des figures & la suppression des mots qu'on laisse sous-entendre ; parce que l'esprit n'apprécie pas bien ensemble un grand nombre de métaphores, & qu'il ne supplée pas toujours ce qu'on supprime. Troisiémement, elle doit être noble ; & cette noblesse dépend en même tems de la pensée & de expression. Quoiqu’à parler exactement, les pensées écrites ne soient pas différentes des expressions, puisque les unes étant les signes des autres, les expressions ne peuvent renfermer que les choses qu'elles signifient ; il est pourtant vrai, que la pensée peut être noble, sans que l’expression le soit : & voici pourquoi. Il y a dans une même langue deux ordres différens de tours & d’expressions qui caractérisent les Grands & le peuple. Les uns exprimeront au fond la même chose que les autres, sans employer précisément les mêmes termes ; ainsi outre l'idée principale qu'un tour ou qu'un mot présente, il réveille encore l'idée accessoire de l'éducation & du rang de celui qui parle. La noblesse du style consiste donc dans la Tragédie où l'on fait parler des Princes & des Rois, à n'user que de cette élégance qui leur est familière, & même à l'employer plus continuement qu'ils ne le font dans la nature, parce qu’on les représente au Théâtre dans leur plus grande décence. Quatriemement, elle doit être convenable ; j'entends qu'elle doit être d'un ton qui réponde à la matière, aux caractères des personnages & aux situations ; & delà naissent plusieurs différences qu'on appelle différences de style, & que je croirois mieux appeller de sentiment & d'idées ; le sublime, l'héroïque, le pathétique & le simple.
La convenance générale, & qui renferme toutes celles dont je viens de parler, c'est d'être naturel, je veux dire de ne faire tenir aux personnages que des discours tels que la nature les inspireroit à des hommes qui seroient dans la situation, & agités des passions qu'on représente.
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