Adèle de Sacy, ou le Siege de Montcenis, pantomime en trois actes ; par M. Desaudray ou Delaunay, musique de M. Leblanc, ballet de M. Frossard, 24 août 1793.
Théâtre du lycée des arts.
Le nom de l’auteur n’est pas sûr : le catalogue de la BNF donne comme nom d’auteur Desaudrai (que je rectifie en Desaudray).
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Titre :
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Adèle de Sacy, ou le Siege de Montcenis
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Genre
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pantomime
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose ?
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prose
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Musique :
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oui
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Date de création :
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24 août 1793
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Théâtre :
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Théâtre du Lycée des Arts
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Auteur(s) du livret :
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M. Desaudray ou Delaunay
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Compositeur(s) :
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M. Leblanc
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Chorégraphe(s) :
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M. Frossard
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 10 (octobre 1793), p. 347-354 :
[Le compte rendu, fort développé, s’ouvre sur un long résumé de la pièce : la situation initiale est précisée, puis chaque acte est décrit de façon précise. Après avoir raconté l’intrigue (très compliquée), le critique élargit son propos jusqu’à dire ce qu’est la pantomime depuis l’antiquité, pour montrer que la pantomime moderne n’a rien à lui envier : « au moyen de la peinture, de l'architecture, de la méchanique, & surtout de la musique, ils [les auteurs modernes] sont parvenus à donner aux pantomimes une entente générale que vraisemblablement on ne trouvoit pas dans celles des anciens ». Il tente de définir les pantomimes modernes « comme une galerie de tableaux qui présentent aux yeux, par la disposition des personnages & le secours des gestes, les points principaux d'une action noble ou voluptueuse, touchante ou terrible, d'une action qui peut être offerte alternativement sous une face différente ». Il revient ensuite à Adèle de Sacy, qu’il juge de façon positive : elle « est dessinée d'une maniere large ; les caracteres y sont soutenus, & elle présente une foule de situations toutes plus intéressantes les unes que les autres : aussi produit-elle tout l'effet qu'on peut en attendre dans un local aussi peu favorable que celui du théatre du lycée ». Il n’a guère à lui reprocher que des détails faciles à éliminer : la présence d’un lion en Bourgogne, ou un changement de costume par un personnage au moment le plus émouvant pour elle, comme si elle n’avait que cela à faire. Il ajoute que la situation soit mieux utilisée, comme lorsque Godefroy attaque le rempart : une défense active des assiégés « produiroit un fort bon effet au théatre ». Quelques mots sur ma musique, si bien adaptée à l’intrigue « qu'il semble qu'on entend parler les acteurs, & qu'on peut suivre leur dialogue. »
THÉATRE DU LYCÉE DES ARTS.
Adele de Sacy, ou le Siege de Montcenis, pantomime en trois actes ; par M. Delaunay, musique de M. Leblanc, ballet de M. Frossard.
Le vieux troubadour Sacy & sa femme vivoient tranquillement dans leur château avec leur fille Adele & leur petite-fille Caroline, tandis que le jeune Sacy & son ami Godefroi, époux d'Adele, étoient allés, après avoir pris parti dans les croisades avec Othello, neveu de ce dernier, cueillir des lauriers dans la Palestine.
Pendant leur absence, Armand, maître du fort de Montcenis, & chef' de parti, homme dur & cruel, est devenu éperduement amoureux d'Adele, & a été dédaigné par elle. Furieux, il se livre à mille excès, & finit par massacrer Sacy & son épouse. Adele, obligée de fuir avec Caroline, est contrainte, pour se soustraire à la passion effrénée d'Armand, d'aller se réfuger [sic] dans une caverne, au fond des montagnes, où, emportant pour tout bien les portraits chéris de ses parens, elle vit ignorée pendant trois ans avec sa fille, une suivante & le vieil Antoine, son fidele serviteur. Après cette longue & triste solitude, sa retraite est découverte par Armand. Mais le jeune Sacy & Godefroi sont de retour avec Othello & leurs compagnons d'armes. Ils app[r]ennent le malheur d'Adele, ils en font la recherche, & parviennent à découvrir son horrible demeure.
Par malheur, au moment où ils viennent à bout de l'en retirer, Armand, qui suit partout leurs pas, leur enleve l'infortunée, & la conduit dans le fort de Montcenis, dont ils vont faire le siege. Armand est vaincu, Godefroi est réuni à Adele, & Othello épouse Caroline. Tel est le sujet de cette pantomime, dont voici les développemens.
Acte premier. La scene est dans une grande caverne au milieu des montagnes. Adele & Caroline y déplorent leur infortune, lorsque Othello, conduit par un garde sûr, vient apporter une lettre de Godefroi, qui annonce son arrivée & celle de Sacy, frere d'Adele. Caroline vivement émue en voyant Othello, craint de laisser appercevoir tout l'intérêt qu'il lui inspire. Adele n'improuve pas leur innocente amitié, pourvu qu'il promette de la venger, & il en fait le serment. Godefroi arrive avec Sacy ; mais à peine ont-ils embrassé Adele, qu'un bruit de guerre les avertit qu'ils sont menacés. Ils sortent précipitamment pour aller au-devant d'Armand, & au même instant un lion terrible, chassé du fond des montagnes par le bruit des armes, vient pour se réfugier dans la caverne. Il renverse le vieil Antoine, & la frayeur ayant séparé la jeune Caroline de sa mere, l'animal la poursuit, & cette enfant, obligée de fuir, se perd avec lui dans les montagnes. Adele, hors d'elle-même, se livre au plus affreux désespoir, lorsque Godefroi, qui vient d'être défait par Armand, arrive en désordre, & lui fait comprendre qu'ils n'ont plus de salut que dans la fuite. Mais au moment où ayant ramassé quelques troupes, Othello vient les chercher & qu'ils s'évadent, Armand parvenu par des détours au haut d'un rocher qui forme l'entrée de la caverne, arrive à l'extrêmité d'un vieux pont coupé, qu'il franchit avec sa troupe, & se met à leur poursuite, après avoir brisé les bustes des malheureux Sacy, dont la vue a renouvellé toute sa fureur.
Acte II. La scene est dans un hameau au bas de la montagne. Des villageois sont au moment de célébrer la noce d'un jeune pâtre, lorsque la fête est troublée par l'arrivée du lion qui poursuit Caroline, & qui descend en rugissant du haut de la montagne. L'effroi se répand parmi eux. Godefroi, qui conduit Adele, arrive avec sa troupe, à l'instant même où Caroline terrassée va être dévorée. Ce guerrier combat & tue l'animal. Caroline est rendue à Adele, & les villageois, après avoir célébré cette victoire, les invitent à se reposer & à se rafraîchir. On leur sert une colation champêtre, & la fête recommence ; mais elle est bientôt interrompue par l'arrivée d'Othello, qui vient les prévenir de l'approche d'Armand. Godefroi se joint à son ami, & en partant, ils sont forcés de confier aux villageois Adele & Caroline, dont ces derniers promettent d'avoir le plus grand soin. Un orage qui survient semble leur annoncer de nouveaux malheurs. A la lueur des éclairs, Armand & son parti descendent de la montagne ; ils surprennent Adele, l'enlevent & la conduisent avec Caroline dans le château de Montcenis.
Acte III. C'est sous les murs de ce château que se passe la scene. Un détachement amene Caroline, & l'enferme à l'entrée d'une casemate, au pied d'un bastillon avancé. Armand & sa troupe conduisent Adele auprès de cette prison, & là, ce cruel vainqueur, montrant Caroline à sa mere, & la menaçant de l'immoler, prétend ainsi la contraindre à satisfaire sa passion effrénée. Adele résiste, mais effrayée du danger que court sa fille, elle se détermine à feindre, & promet tout au cruel Armand. Caroline lui est rendue ; mais au moment où celui-ci se croit au comble de ses vœux, Sacy se présente avec ses écuyers, & le défie en combat singulier. Le signal est donné, Sacy est vaincu, & il est fait prisonnier. Alors Godefroi se présente à son tour, & jette le gant à Armand, qui le ramasse avec fureur. Ils combattent à la hache, ensuite au sabre, enfin Armand est désarmé. Godefroi vainqueur lui offre la paix, & il exige qu'Adele lui soit rendue. Armand dissimule, & appellant la trahison au secours de sa colère, il veut poignarder Godefroi, au moment où celui-ci lui offre le baiser de paix. Un écuyer pare le coup, le combat s'engage de nouveau, Godefroi est accablé par le nombre, & contraint de céder, il est fait prisonnier. Armand rentre victorieux dans le château-fort. Nouvelle allarme. C'est le jeune Othello qui a réuni les troupes de Sacy & de Godefroi. Il arrive à leur tête, & conduit les machines de guerre, qu'il fait avancer pour embraser la ville & détruire le bastillon. L'ordre de l'attaque est donné. Le bélier frappe le rempart à coups redoublés ; il s'écroule, & Othello pénetre dans le fort par la brèche. Les boîtes enflammées sont jettées sur la ville, & un violent incendie s'y manifeste. Au milieu de ce désordre le pont est forcé, & Godefroi le franchit avec Armand. Un nouveau combat s'engage entr'eux, & ce traître est percé d'un coup de poignard par Othello, au moment où il va assassiner Godefroi, qui se trouve désarmé. Alors Sacy amene Adele & Caroline, qui sortent du sort en triomphe. Cette aimable personne devient le prix du courage d'Othello, & Godefroi est réuni à sa chere Adele. Le village vient célébrer cette victoire par des danses, & Adele fait les fraix de la noce des jeunes villageois. Une marche triomphale termine cette pantomime.
Le mot pantomime est formé de deux mots grecs, qui signifient imiter tout. Les anciens donnoient ce nom à des comédiens qui représentoient des pieces de théatre sans parler, & qui, par le seul moyen des gestes, exprimoient & faisoient comprendre ce qu'ils voutaient dire. On assure que les Romains avoient porté cet art au plus haut degré de perfection, & qu'ils produisoient par son secours les sensations & les effets les plus extraordinaires.
Les modernes, surpris de ne pouvoir produire les miracles que l'hístoire attribue à ce sujet aux Romains, mirent tout en usage, sinon pour les surpasser dans ce genre, du moins pour les égaler, & au moyen de la peinture, de l'architecture, de la méchanique, & surtout de la musique, ils sont parvenus à donner aux pantomimes une entente générale que vraisemblablement on ne trouvoit pas dans celles des anciens. Ils en ont fait des drames muets, où, pour remplacer les développemens, ils ont tout mis en situation.
Nos pantomimes modernes sont donc une galerie de tableaux qui présentent aux yeux, par la disposition des personnages & le secours des gestes, les points principaux d'une action noble ou voluptueuse, touchante ou terrible, d'une action qui peut être offerte alternativement sous une face différente. Une pantomime est donc l'ouvrage d'un peintre ou d'un dessinateur, & elle est à l'égard d'un drame ce que seroient des estampes dans lequelles on représenteroit toutes ses situations ; mais comme il est dans les sentimens des nuances que les traits de la figure, quelque mobiles qu'ils puissent être, & les gestes ne sauroient exprimer ; la musique les supplée, & ses airs, en nous rappellant des paroles que les personnages auroient pu dire dans la situation où ils se trouvent, nous transmettent tout ce que l'auteur a voulu nous donner à entendre.
La pantomine d'Adele de Sacy est dessinée d'une maniere large ; les caracteres y sont soutenus, & elle présente une foule de situations toutes plus intéressantes les unes que les autres : aussi produit-elle tout l'effet qu'on peut en attendre dans un local aussi peu favorable que celui du théatre du lycée. Mais comme nous pouvons nous ouvrir franchement à son auteur, parce qu'il a tout le talent qu'il faut pour ne pas mépriser la critique, nous lui dirons qu'il est quelques taches dans son ouvrage qu'il est facile de faire disparoître. 1°. Il n'est pas vraisemblable qu'il puisse se trouver un lion dans les montagnes des environs de Montcenis en Bourgogne ; cet animal ne vit guere que dans les climats brûlans de l'Afrique & de l'Asie. Ici on ne peut nous offrir tout au plus qu'un ours monstrueux, & il produiroit le même effet sans porter atteinte à la vraisemblance. 2°. Comment supposer qn'Adele, qui paroît au second acte avec un costume très-brillant, a déjà oublié que sa fille, qu'elle n'a pas retrouvée encore, a pu être dévorée par le lion ? devoit-elle, pouvoit-elle dans ce moment songer à sa toilette ? d'ailleurs, où a-t-elle pu la faire, Armand ne cesse de la poursuivre ? Il faut donc sacrifier à la vraisemblance le second costume d'Adele : elle sera plus intéressante avec le premier, il nous retracera sans cesse ses malheurs. Enfin il faudroit, lorsque le parti d'Othello amene le bélier auprès du rempart de Montcenis, que les troupes qui le gardent opposassent quelque résistance. En pareil cas les anciens jettoient sur les assaillans de grosses pierres, de la poix fondue, & ceci produiroit un fort bon effet au théatre.
La musique de cette pantomime fait honneur à M. Leblanc. Les scenes y sont tellement phrasées par des passages extraits d'airs connus, & les transitions d'un air à un autre sont si bien ménagées, qu'il semble qu'on entend parler les acteurs, & qu'on peut suivre leur dialogue.
On demanda les trois auteurs à la fin de la premiere représentation ; M. Leblanc seul parut, & le public lui témoigna, par ses applaudissemens, combien il étoit satisfait du zele des entrepreneurs de ce théatre, & des ouvrages de ces auteurs.
César : pantomime en 3 actes. Les auteurs sont donnés comme inconnus (l'Esprit des journaux les nomme pourtant : Delaunay, que je corrige en Desaudray pour le texte, Leblanc pour la musique et Frossard pour les ballets). Première le 24 août 1793. 27 représentations en 1793, 30 en 1794, 9 en 1795 (dont 4 au Théâtre de la rue Martin), 25 en 1796 (dont 1 au Théâtre Italien (salle Favart).
André Tissier, les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 1, p. 246 : 118 représentations jusqu'en 1795 : 32 en 1793, 48 en 1794, 28 en 1795 (mais cela ne fait que 108 représentations...).
Le sujet de la pièce pouvait prêter à des interprétations anti-révolutionnaires: une fille prisonnière dans un château, cela peut faire penser à la situation de Marie-Antoinette prisonnière à la Conciergerie, ou au Dauphin enfermé au Temple. Mais la pièce n'a pas été interdite.
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