Adonis, ou le Bon Nègre, mélodrame en 4 actes, avec danses, chansons, décors et costumes créoles, de Béraud et Joseph Rosny, ballets de Milon, 22 ou 23 fructidor an 6 [8 ou 9 septembre 1798].
Théâtre de l'Ambigu-Comique
Adonis, ou le Bon Nègre adapte un roman portant le même titre, de Jean-Baptiste Picquenard publié en 1798 (et qui a servi de modèle pour le Bug Jargal de Victor Hugo.
Inutile de rappeler aussi combien ces révoltes d'esclaves dans les colonies sont d'actualité.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Glisau, an 6 :
Adonis, ou le bon nègre, mélodrame, en quatre actes, Avec Danses, Chansons, Décors et costumes Créoles. Par les Citoyens BERAUD de la Rochelle et Joseph ROSNY. Ballets du Cit. Milon, artiste du théâtre des Arts. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de l'Ambigu-comique, en fructidor de l'an 6e. de la République.
Les décors de chaque acte sont décrits de façon précise :
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Acte 1 : Le théâtre représente deux montagnes. Celle du fond beaucoup plus élevée que l'autre, est couverte de petits arbres touffus. Entre les montagnes, un chemin qui, par un sentier, conduit sur le théâtre. A la droite du spectateur, sur ce chemin, deux cases à nègres, dont une est celle de Simon, mais qui ne dépassent pas le sentier. Au bas de la montagne, du même côté, deux autres petites cases paroissant un peu au dehors des coulisses. L'une élevée sur un tertre est celle de Marinette, l'autre sur le théâtre même est celle de Lindor. Entre ces deux cases palmier, A la gauche du spectateur, le long des coulisses, un peu triangulairement placée, la maison de d'Hérouville avec un palmiste de chaque côté. Sur la montagne ça et là quelques pieds de bananiers.
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Acte 2 : Au fond du théâtre une maison isolée faisant face au public (c'est le palais de Biassou) avec une galerie soutenue par quatre pilliers unis et ornée de rideaux blancs, qui, relevés par de gros glands rouges, laissent à découvert la porte et les fenêtres, cette porte et ces fenêtres sont ouvertes, celles de derrière sont sencées [sic] l'être, de sorte que l'on apperçoit, dans le lointain, une pièce de cannes à sucre. Entre la maison et les coulisses, une distance pour qu'on apperçoive aussi les cannes; au-dessus de la maison un drapeau noir avec une croix rouge; à quelques pas de la maison, à la droite du spectateur, le long des coulisses, une table couverte d'un tapis à frange d'or, deux tabourets et un cocotier de chaque côté de la table.
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Acte 3 : Le théâtre représente un sallon, dont la porte et les fenêtres sont ouvertes, et devant lesquelles, à l'extérieur, on apperçoit des orangers. Vers le milieu du théâtre, un peu à la droite du soufleur, une table sur laquelle est petit coffre. A côté de cette table deux chaises. A la gauche, un hamac attaché d'une part à une coulisse, et de l'autre auprès de la fenêtre du fond.
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Acte 4 : A la gauche du spectateur un fort avec un factionnaire ; au fond, la mer entre le fort et la mer un passage pour laisser filer des troupes. Quelques cocotiers et palmistes le long des coulisses. Quart de rampe.
Les didascalies sont largement développées. Ainsi, le combat de la fin de la pièce, acte 4, scène 9, est décrit avec précision :
Les soldats noirs qui sont sortis du fort et qui l'ont contourné, reviennent par le même endroit à pas précipités; mais un autre peloton de dragons rouge, à la tête duquel est Adonis, et qui arrive encore par le fond à la droite du spectateur, leur livre combat et les mets [sic] en fuite. Adonis ne s'occupant pas à les poursuivre, court chercher madame d'Hérouville, son fils et Zerbine, et les fait entrer dans le fort.
Comme lui-même, Adonis va pour entrer dans le fort, Biassou se présente et lui livre combat en criant : soldats, sauvez-vous dans le fort, l'armée noire paroît alors en scène poursuivie par des dragons rouge ; ceux du fort se montrent, font feu sur elle, et la mêlée alors devient générale. Pendant la mêlée, Zerbine sort du fort et va au secours d'Adonis. Biassou tombe à ses pieds et à ceux d'Adonis. Zerbine à [sic] son poignard à la main. Tableau.
Et Adonis parle un français caractérisé par l'absence d'article et de « mots outils » : « Pendant que moi vais trouver les dragons, allez cacher vous parmi zarbres. » (acte 4, scène 6).
Courrier des spectacles, n° 566 du 24 fructidor an 6 [10 septembre 1798], p. 2-3 :
[Après avoir indiqué la source de la pièce (on y reviendra dans le cours de l'article) et avoir souligné son succès, marqué par le fait que les auteurs des paroles et du ballet ont été nommés, le critique entreprend de résumer l'intrigue. L'action démarre lentement (on attend la sixième scène du premier acte), et le critique la suit pas à pas sans aucune forme d'anticipation. Tous les rebondissements sont indiqués, jusqu'à ce qu'on arrive au dénouement, marqué par la victoire d'Adonis le bon serviteur sur Biassou le traître (on est dans un mélodrame, dont les codes sont bien sûr respectés). Un ballet clôt la pièce. La partie critique de l'article commence par constater, acte par acte, la pauvreté de l'action, qui est finalement jugée « beaucoup trop foible », malgré la richesse des détails. Il aurait fallu reprendre les « situations les plus fortes » du roman de Piquenard, dont « l'intrigue de Philemon ». De même, « les caractères principaux manquent de force. « En un mot, cet ouvrage, quoique monté avec beaucoup de soin, manque de couleurs, et de situations fortes et attachantes ». Tout ce qui entoure la pièce est jugé de façon très positive, décors, et surtout ballets, « accueillis au milieu des applaudissements et des bravos ». Millon a droit à de grands éloges. Les interprètes sont eux aussi félicités, selon une savante hiérarchie des compliments.]
Théâtre de l’Ambigu-Comique.
On a donné hier à ce théâtre la première représentation d’Adonis ou le bon Nègre, mélodrame en quatre actes, imité de l’anecdote coloniale du cit. Piquenard. Cette nouveauté a eu beaucoup de succès, on a demandé les auteurs, ils ont paru, ce sont les cit. Béraud et Rosny pour les paroles, et le cit. Millon pour les ballets.
L’action de cet ouvrage ne commence qu’à la sixième scène, les autres n’étant consacrées qu’à l’amour, à la danse et à la reconnoissance des nègres et des négresses pour Mme d'Hérouville.
On voit M. d’Hérouville, suivi de son cher Adonis, descendre précipitamment d’une montagne ; il apperçoit sa femme et son fils, et il les fait rentrer promptement dans l'habitation ; pendant ce temps Adonis fait armer les nègres et les range en bataille le long de la case de son maître. Biassou descend de la montagne à la tête des nègres révoltés ; il ordonne à Adonis de faire venir d’Hérouville ; celui-ci paroit et tente de ramener Biassou à des sentimens plus humains, mais le féroce général est sourd à ses prières, et furieux, il va pour frapper d’Hérouville ; Adonis pare le coup, et le menace de le tuer s’il bronche. Le combat s’engage entre les nègres révoltés et les nègres de d’Hérouville ; ceux-ci sont obligés de fuir. Biasson [sic] terrasse le malheureux colon, et ordonne à ses gens de l’entraîner dans son palais.
On amène d’Hérouville au camp de Biassou, bientôt la fatigue l’accable au point qu’il s’évanouit. Adonis va chercher du secours, revient vers son maître, le presse dans ses bras, et Lui prodigue tous ses soins. Zerbine, favorite de Biassou et maîtresse d’Adonis, accourt pour soulager d’Hérouville ; elle reconnaît Adonis, et lui promet de le sauver ainsi que son maître. On entend un grand bruit, c’est Biassou qui rentre avec son armée ; il fait grace à d’Hérouville, et lui donne même une place dans son état-major. D’Hérouville le conjure de lui permettre au moins de revoir sa femme et son fils. Refus de Biasson [sic], Zerbine mêle scs prières à celle de d’Hérouville ; enfin Biassou cède et accorde à Adonis, seulement jusqu’au coucher du soleil, pour amener Mme d’Hérouville à son camp.
Adonis a été arrêté sous les pallissades du camp des Blancs ; conduit devant un conseil de guerre qui l’a interrogé, il s’est réclamé de Mme d’Hérouville ; en conséquence un officier amène le malheureux nègre à sa maîtresse qui le reçoit avec des transports de joie et le presse dans ses bras. Adonis fait part à Mme d’Hérouville du but de sa démarche, et l’invite à se déguiser en négresse, afin de n’être pas reconnue aux barrières de la ville. Mme d’Hérouville consent à tout, et avant de partir, elle donne à ses négresses ses bijoux et son or. Celles-ci refusent et lui demandent en grâce son portrait et celui de leur cher maître ; Mme d’Hérouville le leur donne, mais à condition que cette propriété leur sera commune, et qu’elle deviendra le gage de leur bonne union. Elle sort avec Adonis et son fils.
Biassou fait faire à ses troupes plusieurs évolutions militaires, et donne le mot d’ordre. Zerbine cachée derrière un palmier, l’entend et se retire. Le général des révoltés est furieux qu’Adonis ne soit pas encore rentré au camp. Il craint qu’il ne l'ait trahi, et veut immoler d’Hérouville. Mais Adonis accourt aussitôt avec sa maîtresse, et Biassou ordonne qu’on ait pour elle tout le respect qu’on a pour lui-même. Il sort avec ses soldats. Zerbine communique le mot d’ordre à Adonis, qui apprend à son maître que les blancs vont attaquer le camp au milieu de la nuit. Un moment après on entend le canon ; Adonis tenant d’Hérouville et sa femme, marchent lentement, sor- [sic] pour n’ôtre point apperçus. Le pont-levis du fort se baisse, des patrouilles se mettent en marche, d’Hérouville de son côté arrive à la tête des blancs, et après avoir répondu au mot d’ordre, il s’élance dans le fort, combat des blancs et des noirs. Biassou tombe aux pieds d’Adonis, qui le livre aux blancs. Cette pièce se termine par un ballet.
Le premier acte de cette pièce marche bien, si ce n’est que l’arrivée de Biassou nous a paru manquer d’effet.
Le second acte se soutient encore assez bien, quoique l’action ne soir pas forte. Le troisième est entièrement vuide, et ne contient que des détails où il règne de la sensibilité.
Le quatrième acte est absolument insignifiant, et manque d’effet et de moyens.
En général cet ouvrage est assez riche en détails ; mais l’action y est beaucoup trop foible. Les auteurs n'ont pas profité des situations les plus fortes du charmant ouvrage du cit. Piquenard. Ils auroient du sur-tout ne point omettre l’aventure et l’intrigue de Philemou. De plus, les caractères principaux manquent de force ; Biassou n’est pas aussi féroce que le représente le fond ; d’Hérouville devroit avoir plus de fermeté et d’énergie ; en un mot, cet ouvrage, quoique monté avec beaucoup de soin, manque de couleurs, et de situations fortes et attachantes.
Les décorations du premier et du troisième acte font honneur au cit. Moench.
Les ballets du cit. Millon ont été accueillis au milieu des applaudissemens et des bravos ; on y a reconnu les idées ingénieuses de l’auteur des charmantes danses érotiques d'Affrico et Mensola. Cet artiste du théâtre des Arts prouve par ses ouvrages qu’il a un talent décidé pour les compositions, et sur-tout une parfaite connoissance de l’antiquité.
Le cit. Isidor a rendu le rôle d’Adonis avec beaucoup de vivacité, de sensibilité, de chaleur et d’abandon ; et le cit. Cammaille a mis de la dignité et de la vérité dans le rôle de d’Hérouville ; on doit aussi des éloges aux cit. Deversy et Picard.
La base César ne connaît comme auteur que Béraud, malgré la brochure qui cite également Rosny. Elle donne une liste de 6 représentations, du 10 janvier au 5 juin 1799. Pourtant, le Courrier des spectacles fait le compte rendu de la pièce le 10 septembre 1798. Et il annonce bien plus de 6 représentations, toutes au Théâtre de l'Ambigu-Comique : si la création est annoncée deux fois, les 8 et 9 septembre 1798, c'est 20 représentations qui sont signalées en 1798, et 15 en 1799. Soit 35 pour les deux années.
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