Aline, reine de Golconde, opéra-comique en trois actes de Favières et Vial, musique de Henri-Montan Berton, 16 fructidor an 11 (3 septembre 1803).
Théâtre Feydeau.
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Titre :
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Aline, reine de Golconde
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Genre
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opéra comique
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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oui
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Date de création :
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16 fructidor an 11 (3 septembre 1803)
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Théâtre :
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Théâtre Feydeau
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Auteur(s) des paroles :
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Favières et Vial
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Compositeur(s) :
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Henri-Montan Berton
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Sur la page de titre de la brochure, chez Mme Masson, an XI – 1803 :
Aline, reine de Golconde, opéra en trois actes, paroles de MM. Vial et Faviers. Musique de H. Berton, membre du conservatoire de Musique de France, représenté pour la première fois sur le Théâtre de l’Opéra-Comique National, rue Feydeau, le 16 fructidor an onze.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 9e année, 1803, tome III, p. 122-123 :
[Inspirée d’un conte déjà mis au théâtre par Sedaine, la nouvelle pièce a rencontré le succès, grâce à l’harmonie entre livret et musique : « la musique de M. le Berton est parfaitement analogue au poème, elle est pleine de charmes et d'harmonie ». Le résumé de l’intrigue fait apparaître son caractère merveilleux et héroïque. Un rapide paragraphe final attribue le succès à de « jolis détails », en privilégiant le second acte et met en avant la qualité des deux interprètes principaux.]
THÉÂTRE FEYDEAU.
Aline, reine de Golconde.
Tout le monde connoît le charmant conte de Boufflers qui porte ce titre. Déjà Sedaine en avoit fait un opéra joué en 1766, mais sans un grand succès. MM. Favières et Vial ont été ou plus heureux ou plus adroits. La musique de M. le Berton est parfaitement analogue au poème, elle est pleine de charmes et d'harmonie ; on ne peut mieux en faire l'éloge qu'en disant qu'elle n'a pas donné lieu de regretter celle de Monsigny, qui avoit fait celle du poëme de Sedaine, et qui étoit un des plus aimables compositeurs de ce temps.
Aline, simple bergère provençale, est devenue reine de Golconde : par un hasard aussi singulier, Saint-Phar, qui avoit aimé Aline, et avoit été obligé de la quitter, est nommé ambassadeur vers la reine de Golconde. La reine apprenant l'arrivée d'un ambassadeur francois, le reçoit couverte de son voile, reconnoit son amant, et jouit de sa présence sans en être reconnue. Elle veut l'éprouver et lui causer une surprise agréable. Elle prend ses habits de bergère, se rend dans son parc où elle a fait arranger un lieu semblable à celui où elle a vu Saint-Phar pour la première fois, et où, depuis trois ans, elle nourrit son amour de souvenirs : Saint-Phar endormi est transporté dans ce lieu, où des paysans vêtus à la françoise forment des chants et des danses. Saint-Phar croit rêver. Un air provençal frappe son oreille, Aline paroit, il la reconnoit, il ne sait que penser de ce bonheur inattendu. Un breuvage soporifique le plonge encore dans le sommeil et termine une scène qu'il trouvoit charmante. Lorsqu’il se réveille il se retrouve dans le palais de la reine, à laquelle une révolte fait courir le plus grand danger. Un ministre ambitieux qui veut monter au trône et en chasser Aline, s'est rendu maître de la ville. Saint-Phar le brave et est fait prisonnier, mais la liberté lui est rendue, et il en fait usage pour rendre la couronne à Aline après avoir vaincu le rebelle. La reine toujours couverte de son voile, offre sa main à son libérateur qui la refuse pour être fidèle à sa bergère ; alors Aline se fait reconnoître et proclame Saint-Phar son époux.
Les jolis détails de cet opéra, joué le 16 fructidor an XI, lui ont valu un brillant succès. Le second acte surtout est délicieux. Gavaudan a parfaitement joué le rôle de Saint-Phar, et madame Saint-Aubin a été, dans le rôle d'Aline, comme dans tous les autres, toujours naturelle et charmante.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, p. 371-375 :
[Long compte rendu de Geoffroy, où il ne manque rien. L’intrigue est résumée avec une légère ironie qui en fait connaître le caractère léger, le merveilleux facile, l’héroïsme convenu. Cette ironie se fait plus nette quand Geoffroy évoque les éloges que la pièce fait des Français : il doute qu’on puisse les flatter d’être fidèles en amour. Une fois la pièce longuement racontée, Geoffroy rappelle l’opéra de Sedaine pour dire que les nouveaux auteurs ont fait mieux que leur illustre prédécesseur : dans le poème « de l’esprit, un dialogue piquant et des effets dramatiques ». Et « ils ont de grandes obligations au musicien », dont un paragraphe entier fait l’éloge ; c’est quelqu’un qui « connaît bien son art ; sa musique est simple, naturelle, expressive ; le style en est sévère, ce qui n'exclut pas le gracieux », et la liste des beaux morceaux est détaillée. Le compte rendu s’achève par l’examen de la distribution, qui reçoit des éloges ambigus, les chanteurs étant apparemment un peu insuffisants (il y est question, à propos de leurs voix, de suppléer, d’abandon, de débris : ce n’est guère engageant.]
ALINE, REINE DE GOLCONDE.
Aline est une petite Française, bien étourdie, qui, de laitière devenue reine, révolutionne brusquement ses états, au risque de casser son pot au lait. Elle abolit les fermes générales, supprime les tribunaux, les sérails, les eunuques, les moines, etc., sans cependant faire perdre la tête à personne ; c'est bien assez qu'elle l'ait perdue elle-même.
Tant de gens sur le pavé murmurent, conspirent : la reine s'en moque, avec son intendant des menus, qui ne la laisse pas manquer d'opéras nouveaux : probablement son ministre des finances ne la laisse pas aussi manquer d'argent. Il faut que ce soit un très-habile homme ; il devrait bien nous donner son secret, car les révolutions coûtent encore plus d'argent qu'elles n'en rapportent. Enfin la nouvelle reine prétend faire rire tout le monde dans son empire, et tout le monde rit, excepté les ci-devant, qui la maudissent en travaillant à la contre-révolution.
Dans le temps où Boufflers écrivait ces folies, la révolution opérée dans Golconde, par la reine Aline, était regardée comme très-philosophique et très-sage par la bonne compagnie de Paris, et l'Académie-Française en approuvait le plan. Au reste, la jeune princesse a le cœur bon; le trône ne lui fait oublier ni son pays ni son amant ; au milieu de ses fêtes, elle regrette la Provence ; tous les diamans de Golconde ne valent pas à ses yeux les fleurs de son village ; son corset de laitière a plus de grâce que les robes les plus riches ; elle a fait faire une espèce de jardin anglais, image fidèle de sa patrie, et surtout des lieux où elle a connu un jeune militaire nommé Saint-Phar, toujours présent à sa pensée : c'est là qu'elle va souvent promener en secret ses rêveries amoureuses et patriotiques.
On annonce un ambassadeur français fraîchement débarqué pour faire un traité d'alliance et de commerce avec le royaume de Golconde. La reine aussitôt a l'esprit frappé de l'idée que cet ambassadeur pourrait être son amant ; pressentiment qui a paru très-peu raisonnable, quoiqu'il soit fort possible qu'un ambassadeur ait aimé une laitière : l'ambassadeur est un bel homme, d'une taille élégante, et qui a la jambe bien tournée ; il est fait pour plaire aux reines comme aux laitières.
Aline le reçoit couverte d'un voile ; il sert à cacher le trouble qu'elle éprouve à l'instant qu'elle reconnaît dans cet officier diplomatique son cher Saint-Phar. Elle abrége l'audience pour hâter le rendez-vous : le rendez-vous est dans les jardins anglais, au hameau provençal. On endort l'ambassadeur par le moyen d'une poudre qu'on jette dans son vin ; on le transporte dans un vallon délicieux, tout semblable à celui où il rencontra pour la première fois Aline. Aline endosse son habit de laitière ; toute sa cour est déguisée en pâtres et en bergères de Provence ; c'est une espèce de bal masqué.
L'ambassadeur, en se réveillant, se retrouve dans son pays : il reconnaît les lieux si chers à son amour ; le souvenir d'Aline le fait palpiter. Tout à coup il entend sa voix ; un instant après, il la voit elle-même ; ce n'est point un songe, c'est Aline qui lui parle après six ans d'absence, comme l'ayant vu la veille. Six ans ont dû apporter quelques changemens aux traits d'Aline ; mais l'amant ne croit pas ce qu'il voit: il croit ce que lui dit sa maîtresse, ou bien il n'est plus amant.
La scène est jolie, rendue avec beaucoup de grâce et d'ingénuité par madame Saint-Aubin. D'abord j'aurais voulu un peu plus de musique, quelques duo bien tendres ; mais, par réflexion, j'ai jugé que peut-être le musicien avait eu des raisons de ne pas troubler un dialogue si intéressant ; il a pensé qu'une scène naïve et touchante valait mieux qu'un duo. Gavaudan chante peu, et madame Saint-Aubin parle encore plus agréablement qu'elle ne chante : c'est donc un trait d'esprit et de prudence dans le compositeur, d'avoir été dans ce moment très-sobre de musique ; et cette sobriété, ce goût, est le caractère général de son ouvrage.
Le sentiment s'est tourné en gaîté ; on a ouvert un bal champêtre : au lieu d'un duo langoureux qui, faiblement exécuté, aurait pu être soporifique, Aline a chanté une ronde très-vive, et tout le public a partagé cette vivacité provençale ; mais au milieu des enchantemens de l'amour, parmi les chants et les danses, la conspiration marche, la contre-révolution va son train : la reine, en chantant sa ronde, reçoit de temps en temps des avis fâcheux ; elle y répond brusquement par un mot : Emparez-vous du port... je vais vous joindre à la citadelle..... et n'en continue pas moins son refrain joyeux : très-plaisante manière de donner des ordres dans une insurrection.
Faut-il être surpris si l'insurrection réussit ? L'ambassadeur lui-même se trouve prisonnier des rebelles, qui se flattent vainement de faire appuyer par les Français leurs mouvemens révolutionnaires. Le généreux Saint-Phar brave la mort pour rester fidèle à la reine : miraculeusement échappé de sa prison, il fond sur les insurgés, en fait un grand carnage, et rétablit Aline sur le trône. Cette princesse, toujours couverte d'un voile, toujours inconnue à son amant, offre sa main et sa couronne à son libérateur ; Saint-Phar, trop loyal chevalier pour faire une pareille infidélité à sa laitière, reçoit bientôt le prix de son refus héroïque ; Aline se découvre et lui montre la laitière dans la reine. Cette pièce est remplie d'éloges de la France et des Français : ces éloges sont justes et mérités. Qu'on loue le courage, la magnanimité, l'esprit et les grâces des Français, à la bonne heure ; mais leur fidélité en amour ! la flatterie est un peu forte, à moins qu'on ne remonte aux siècles passés, et qu'on ne veuille louer les pères aux dépens des enfans.
Sedaine s'était emparé autrefois du joli conte de Boufflers, et en avait fait un grand opéra fort ennuyeux, joué en 1766 : la musique était de Monsigny, compositeur agréable, mais trop faible pour s'élever au-dessus de la routine de l'Opéra. MM. Vial et Favières ont transporté heureusement le même sujet à l'Opéra-Comique : ils y ont mis de l'esprit, un dialogue piquant et des effets dramatiques ; mais ils ont de grandes obligations au musicien.
M. Berton connaît bien son art ; sa musique est simple, naturelle, expressive ; le style en est sévère, ce qui n'exclut pas le gracieux. Le premier morceau, chanté avec goût par Solié, est d'un beau chant et d'une excellente facture, mais un peu trop long. Le duo entre Zélie et Osmin a beaucoup de vivacité et de grâce ; le commencement surtout est plein de charmes. Batiste, dans ce duo, se distingue par une manière pure et une grande propreté d'exécution. On a fait répéter un petit air de Zélie, dont le motif est heureux. La ronde et tous les airs champêtres ont une gaîté originale ; les chœurs produisent de l'effet sans être ni bruyans ni chargés ; le compositeur, forcé de paraître sur la scène, a été couvert d'applaudissemens.
Aline n'est pas une reine grave et majestueuse ; c'est une petite folle qui souvent a une naïveté pleine de finesse : ce rôle est conforme au talent de madame Saint-Aubin. Gavaudan représente l'ambassadeur français avec énergie et noblesse ; il supplée par le jeu à ce qui lui manque du côté de l'organe. Solié, intendant des menus plaisirs de la reine, a la bonne humeur et la bonhomie convenables à son emploi ; sa voix l'abandonne, mais le goût et le sentiment de la musique lui restent. Il y a dans la pièce un chef des eunuques réformés dont le comique est un peu trivial : Saint-Aubin le rend au naturel, avec les débris d'une haute-contre très- aiguë. (16 fructidor an 11.)
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