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Antigone

Antigone, tragédie lyrique en trois actes, en vers, de Marmontel, musique de Zingarelli, 30 avril 1790.

Académie royale de musique.

Titre :

Antigone

Genre

tragédie lyrique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

30 avril 1790

Théâtre :

Académie royale de musique

Auteur(s) des paroles :

M. Marmontel

Compositeur(s) :

M. Zingarelli

Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 20, du samedi 15 mai 1790, p. 111-118 :

[A grand opéra grand compte rendu, et le critique n’anticipe évidemment pas l’échec d’Antigone (la pièce n’aura que deux représentations) : il nous promet même un article supplémentaire « après quelques représentations ». Il n’a sans doute pas eu besoin de tenir sa promesse ! Le premier point traité est destiné à souligner la différence importante entre Grecs antiques et Français contemporains, l’importance des funérailles. Puis il entreprend de résumer l’intrigue de l’opéra, en le comparant ensuite à celui de la tragédie de Sophocle. La principale différence évoquée d’emblée (d’autres sont promises pour la fin de l’article), c’est que Marmontel s’est arrêtée là où Sophocle n’en était qu’à la fin de son troisième acte : il a choisi « le seul dénouement qui convenoit au Théatre lyrique » quand Sophocle va jusqu’au terrible dénouement de l’ensevelissement d’Antigone vivante. L’analyse de l’intrigue est faite acte par acte, parfois même scène par scène. Elle donne de nombreux détails sur les événements et même sur les dialogues. Puis le critique revient à ce qu’il a promis : il résume la terrible fin de la tragédie de Sophocle (mort d’Antigone, d’Hémon, de la femme de Créon). Marmontel a eu le bon goût de ne pas reprendre dans Sophocle ce qui ne pouvait entrer dans une œuvre lyrique où on n’aurait donc pas pu voir la triple catastrophe finale : il faut une fin heureuse. Toujours pour adapter le sujet au goût de l’opéra moderne, il a fallu insérer trois ballets (un par acte), et le critique insiste sur leur bonne insertion dans le spectacle. Le livret a bien des qualités, conduite, dialogue, style. Mais le sujet ne paraît pas très adapté à la scène lyrique, en raison de la moindre importance pour les modernes de l’inhumation (le sacrifice d’Antigone ne parlerait pas aux gens du temps...). Et le récitatif (ennemi fréquemment dénoncé dans les opéras) a paru manquer de rapidité. Le jeune compositeur italien a droit à de beaux compliments, et le critique cite toute une série d’airs remarqués. Les ballets de Gardel « sont bien faits » (le compliment manque de chaleur), danseurs et chanteurs sont évoqués rapidement (on n’a quele nom des chanteurs). Et les décors « sont d’un bel effet. Promesse finale : le critique reviendra sur la pièce après quelques représentations. Mais nous savons qu’il n’y a pas eu quelques représentations à la suite de la première. Finalement, on peut s'interroger sur l'opportunité pour un auteur du 18e siècle de faire un opéra ayant Antigone pour personnage principal.]

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

Le sujet d'Antigone est simple, il est fondé sur un acte des plus sacrés de la Religion des Anciens, la sépulture. Ils croyoient que l'ame de celui qui n'avoit pas reçu les honneurs du tombeau, erroit plaintive & rebutée sur les sombres bords.

Etéocle & Polinice sont convenus après la mort d’Œdipe de régner à Thèbcs, chacun une année, mais Etéoclc ayant goûté le premier les douceurs du Trône, ne veut pas tenir la convention qu'il a faite avec son frère, & le laisser régner à son tour ; & celui-ci, aidé des Argiens, vient mettre le siége devant Thèbes pour recouvrer son Sceptre & ses Etats. Les deux frères se provoquent à un combat singulier, & s’entretuent ; mais Etéocle étant mort en défendant sa Patrie, & Polinice en l'attaquant, Créon leur oncle, qui règne par leur mort, ordonne les honneurs funèbres pour Etéocle, & les défend pour Polinice. Voilà le sujet & le commencement de la Pièce de Sophocle, Pièce suivie assez exactement par M. Mamontel pendant les trois premiers Actes de la Tragédie Grecque.

Je dirai en quoi ces deux Auteurs diffèrent, à la fin de l'analyse de l'Opéra ; ce sera d'autant plus le temps d'en parler, que la Tragédie de M. Marmontel finit, au troisième Acte de Sophocle, par le seul dénouement qui convenoit au Théatre lyrique, & que la Pièce de Sophocle, après l'ordre d'enterrer vivante Antigone, continue, & amène un des plus tragiques dénouemens de l'Antiquité.

Parmi plusieurs tombeaux, qui s'élèvent dans une place environnée de cyprès, on distingue celui d'Etéocle, sur lequel Euridice, femme de Créon, & quelques femmes Thébaines , sèment des fleurs & répandent des parfums, en disant :

Malheureux sang d’Œdipc, inexorables frères,
Dans le sein de la mort enfin vous reposez.
        Puissent vos Manes appaisés,
Oublier au tombeau vos fureurs sanguinaires !

Hémon, fils d’Euridice & Amant d’Antigone, vient annoncer à sa mère que le Roi va rendre les honneurs funèbres à Etéocle, & livrer aux vautours le corps de Polinice. Il la conjure d’employer tout son crédit auprès de Créon, pour l'engager à épargner cet outrage à Antigone. Créon arrive suivi d'un peuple nombreux, & ordonne qu'on rende les honneurs funèbres à Etéocle & à ceux qui sont morts en servant la Patrie.

Antigone & Ismène sa sœur survicnnent, & Antigne réclame pour Polinice, les mêmes honneurs qu'on rend à Etéocle ; mais Cléon lui répond que la Patrie les refuse à ceux qui meurent en combattant contre elle. Antigone demande pour toute grace, que les cendrcs de Polinice soient renfermées dans une urne ; qu’on lui remette cette urne, elle ira la porter dans le tombeau de son père. Cette piété, cette tcndresse d'Antigone ne font qu'irriter l'ambitieux & féroce Créon, qui prononce la peine de mort, la peine affreuse, d'être enfermé vivant dans un tombeau, contre qui osera donner la sépulture à Polinice. Les imprécations d'Antigone, les prières d’Hémon, les larmes d’Euridice & d’Ismène, n'ébranlent pas le Tyran, & il sort avec sa femme & Ismène, qui le suivent pour le fléchir , & avec le Peuple qui partage politiquement ses fureurs. Hémon reste avec Antigone, qui se livre à la douleur, à l'indignation, au désespoir ; & Hémon tâche de la rassurer en lui persuadant que Créon ne sera pas insensible aux larmes de sa femme & de son fils. Hémon, lui répond-elle,

Hémon ne m'aime plus, puisqu'il est rassuré.

Cette scène des deux Amans est tout ce qu’elle doit être. Antigone ne veut pas que son Amant partage ses malheurs, qu'il se rende ingrat envers son père pour la servir ; & Hémon, conservant le double caractère de fils respectueux & l'Amant passionné, quitte Antigone en jurant de la servir ou de mourir pour elle. Ismène rentre, & Antigone lui confie qu'elle veut, malgré la menace de Créon, donner la sépulture à Polinice. Ismène lui en fait voir les dangers, tâche de l'engager à vivre pour son Amant, & ne pouvant la détourner de son projet, veut en partager les périls & la gloire.

Acte second. Le Théatre représente la fontaine de Dircé, au bas de laquelle Cadmus avoit bâti la ville de Thèbes.

On y célèbre de nuit la levée du siége ; un Soldat vient interrompre ces fêtes, & apprendre à Créon qu'Antigone a enterré Polinice. Antigone, qui survient, se fait gloire de cette action de piété, & irrite le Tyran. ll la condamne à être enterrée vive , & Ismène vient en ce moment s’avouer complice de sa sœur. Scène intéressante & combats généreux entre les deux sœurs, pendant lesquels le Tyran est ébranlé, mais non pas vaincu. Il s'éloigne d'elles en ordonnant qu'on les sépare, & qu’elles soient toutes deux conduites en prison. Les deux sœurs, après une courte scène de douleur, de tendresse & de désespoir, se séparent entourées de Soldats.

Le troisième Acte représente d'abord une salle du Palais de Créon.

Euridice, Ismène & Hémon viennent prier le Souverain de pardonner à Antigone ; & sur son refus, le fils déclare à son père, qu'il suivra le sort de celle qu'il aime ; tant d'attaques ne touchent pas le Tyran, & il menace de toute son indignation son fils, qui reste le dernier en scène avec lui, s'il ne sépare pas sa cause de celle d'Antigone.

Le Théatre change, & représente le ment Cithéron, au bas duquel on voit un lieu sauvage & ombragé par des vieux chênes. Au fond est une sombre caverne, où Antigone est destinée à être enfermée vivante. Elle paroît enchainée auprès de la caverne, & environnée de gardes & d'un corps nombreux de Thébains. Elle regrette Thèbes, sa Patrie, lieux, dit-elle,

Lieux plus chers que jamais à mon ame attendrie ;
    Et toi, ma sœur, & toi, fidéle Amant,
Que j'aurai tant aimé jusqu'au dernier moment.
Avançons... je frémis.... nuit profonde & terrible !
Ah ! quel Dieu par pitié, dans ce séjour horrible,
Daignera de ma mort abréger le tourment ?

Hémon vient mourir avec elle, & lui montre un poignard qui doit les unir dans la tombe. Un grand bruit se fait entendre ; il annonce l'arrivée d'Euridice, d'Ismène, de Créon & de sa suite. Hémon, le poignard levé pour se frapper & frapper Antigone, arrête tout à coup la fureur de son père. On l'entoure, on le presse, & il se rend.

Voilà le plan qu'a suivi M. Marmontel ; & je vais y revenir, après avoir suivi Sophocle en deux mots.

Dans l'Antigone de Sophocle, Créon, au troisième Acte, condamne cette Princesse à être enterrée vive. Tirésias vient lui prédire, au 4me. Acte, les plus grands malheurs, la mort de son fils & celle de sa femme, s'il ne rétracte cet arrêt inique & barbare, & le Tyran, effrayé de ces menaces, court délivrer Antigone ; mais en faisant ouvrir l’antre où Antigone est enfermée, il la trouve morte, attachée au lien fatal qu'elle avoit formé de ses voiles. Hémon la tenoit embrassée, & poussoit des cris lamentables. A l'aspect de son père, il se tue sur le corps de son Amante, & le Tyran fuyant désespéré,apprend un moment après, la mort de sa femme, qui n'a pu survivre à celle de son fils.

M. Marmontel n'a laissé dans Sophocle que ce qui ne convenoit pas au Théatre lyrique. Trois Ballets naturellement amenés, des jeux funèbres au premier Acte, des réjouissances pour la levée du siége de Thèbes au second, & les fêtes de l'Hymen au troisième, rompent un peu la monotonie du sujct ; & les ressources de l'art ne peuvent ajouter rien à ces convenances. La conduite du Poëme est sage, le dialogue jusle, & le style sain; mais le sujet est-il bien lyrique ? & sur-tout nous convient-il beaucoup ? Attachons-nous la même imposture que les Grecs à l'inhumation ? La musique d'ailleurs, est-elle toujours vraie, originale, énergique ? Le récitatif a-t il toujours de la rapidité & de l'expression ? Voilà, je crois, ce qui a fait trouver quelques longueurs à cet Opéra, qu'il faut que le Poëte & le Musicien resserrent davantage. Le Musicien est un jeune Compositeur Italien, M. Zingarelli. Il annonce de vrais talens. Plusieurs morceaux de sa musique ont été vivement applaudis, le dernier du premier Acte, rôle d'Antigone : Cruelle ! & que t'a fait ma gloire ? Dans le second Acte, l'Air de la première scène, même rôle : Affermis-toi, femme timide. Le Duo d'Antigone & de Créon avec le Chœur : Dans le fond de son cœur, &c. Le Trio d'Ismène, d'Artigone & Créon : Non, je ne puis souffrir ces funestes adieux. Et le dernier Chœur du troisième Acte : Laissez fléchir votre colère. Les Ballets sont de la composition de M. Gardel ; ils sont bien faits, & on y a vu avec plaisir les principaux Sujets de la Danse. Les rôles de la Pièce sont rendus par MM. Chardini & Rousseau, Mlles. Maillard, Gavaudan la cadette & Mulot, avec les talens qu'on leur connoît. Il y a trois décorations nouvelles qui sont d'un bel effet. Nous reviendrons sur cet Opéra, après quelques représentations.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome Vi (juin 1790), p. 305-307 :

[Compte rendu peu enthousiaste : le critique n’a pas aimé grand chose, ni le sujet, peu intéressant, ni le dénouement, édulcoré, ni l’absence de pleurs dans toute la pièce. Et la musique ne rachète pas le livret : elle est « foible et monotone », à quelques airs près. Les ballets sont bien dansés, mais un seul sur les trois est bien intégré à l’action.]

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

Le vendredi 30 avril, on a donné , pour la premiere fois, Antigone, tragédie lyrique : paroles de M. Marmontel, musique de M. Zingarelli.

Antigone intéresse bien moins dans cet opéra, que dans celui d'Œdipe à Colonne [sic], où ce n'est cependant qu'un rôle très-secondaire : on en devine aisément la raison. La piété filiale envers un pere qui traîne une vie languissante & cruelle, est tout autrement attachante que la piété fraternelle pour un cadavre privé de la sépulture. Ce dernier sentiment pouvoit être très-vif chez les anciens : mais il est nul pour nous ; & toutes les fois qu'on a mis ce sujet au théâtre, chaque spectateur a pu se dire : Peu m'importe que Polynice soit enterré ou non ; car tout 1'intérêt se réduit à ces deux questions : Polynice sera t il inhumé ou ne le sera-t-il point ?

Tel fut, entr'autres, l'impression que fit en 1787, au théâtre françois, la tragédie d'Antigone, malgré une foule d'accessoires imaginés par l'auteur, pour exciter la terreur & la pitié, deux mouvemens sans lesquels il n'y a point de tragédie. Nous fîmes alors remarquer qu'il avoit habilement profité de 1'intervention de Tirésias, qui répand une si grande horreur sur le personnage de Créon, dans Sophocle ; mais que ses efforts avoient encore été perdus à cet égard. Ce devin, qui auroit si bien figuré sur la scène lyrique, se trouve exclus du nouvel opéra ; &, par un renversement d'idées que nous ne comprenons pas, M. Marmontel, à qui certainement il convenoit beaucoup mieux de tendre à l'effet théâtral, n'a employé aucun des moyens qu'avoit prodigués dans cette intention, l'auteur de la tragédie.

Il y a plus : Sophocle & tous ceux qui l'ont suivi, font mourir Antigone dans la caverne où on l'a jettée, & après elle, Hémon, son amant, fils de Créon, & après Hémon, Eurydice, femme de ce même Créon, qui, à son tour, n'a plus qu'à mourir de désespoir, pour avoir immolé tant de victimes ; & M. Marmontel ne tue aucun de ces personnages. II semble, en convertissant Créon, & en amenant des jeux en l'honneur de la paix & de la clémence, avoir voulu se montrer fidele à cette formule qui termine la plupart des poëmes d'opéra : ici l'on danse.

Ce que nous pouvons dire avec vérité, c'est que dans aucune scène de sa piece, on ne pleure. Ce qu'il y a de plus élégamment écrit dans cet ouvrage, c'est un air que chante Antigone éplorée, en demandant l'urne de Polynice, & qui a la forme d'un triolet :

Aux lieux où repose mon pere,
Je la porterai dans mes mains
Cette urne, hélas ! pour moi si chere ;
Je la porterai dans mes mains
Aux lieux où repose mon pere.

Ces vers & d'autres ont été retranchés à la représentation, que le public, au surplus, a écoutée, d'un bout à l'autre, fort impatiemment, & même avec des signes de réprobation qui ne sont pas communs à ce spectacle.

II n'est pas rare d'être obligé d'y supporter un poëme dénué de toute espece d'intérêt ; mais au moins est-on alors dédommagé par une musique riche, expressive & d'un grand effet : malheureusement celle qui se trouve adaptée à l'opéra d'Antigone, n'offre aucun de ces avantages. Quoique purement écrite, elle a paru, en général, foible & monotone : aussi a-t-elle partagé la froideur du public. II faut cependant en excepter le trio du second acte, & la scene où Créon abjure sa rigueur ; deux morceaux pleins de mérite (& dont le succès doit encourager M. Zingarelli à choisir des paroles plus propres à développer ses talens, & à le faire briller par la suite, sur la-scène lyrique).

Cet ouvrage, établi avec magnificence, contient trois ballets, dont le dernier, le seul qui soit amené, est supérieurement exécuté par les principaux sujets de la danse.

Carrière à l'Opéra :

2 représentations en 1790 (30/04 – 04/05).

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