Antiochus Épiphanes

Antiochus Épiphanes, tragédie en cinq actes, en vers, de Le Chevalier, 21 mars 1806.

Théâtre Français.

Titre :

Antiochus Épiphanes

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

21 mars 1806

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Le Chevalier

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Hubert et comp., mai 1806 :

Antiochus Épiphanes, tragédie en cinq actes et en vers ; représentée par les comédiens ordinaires de sa majesté l’empereur, le 21 Mars 1806.

Le texte de la pièce est précédé d'une préface justificatrice (p. 5-11) :

[Pour l'essentiel, il s'agit pour l'auteur de dire qu'une tragédie peut être d'invention, et non pas historique, avec l'autorité d'Aristote (dont une note reproduit un fragment en grec), malgré le faible nombre de pièces pouvant servir d'exemples. L'inconvénient de ces tragédies d'invention, c'est de ne pas fournir aux spectateurs des repères pour suivre facilement l'intrigue. L'auteur répond ensuite à des critiques qu'on a faites à sa pièce, cruauté excessive d'Antiochus (mais il répond sans difficulté qu'il existe au théâtre des exemples de cruauté bien plus grande), abus du procédé des reconnaissances (là aussi, il y a bien des pièces où ce moyen facile est très largement utilisé). Dernière partie de la préface : la mise en cause des critiques souvent excessifs quand ils ne sont pas malhonnêtes.]

PRÉFACE.

Dès qu'une tragédie est annoncée sous un nom historique, chacun s'imagine d'abord que le sujet doit être infailliblement puisé dans l'histoire. On la parcourt plusieurs jours d'avance pour se mettre au fait du passage que l'on présume avoir été choisi par l'auteur. Croit-on l'avoir deviné ? On l'étudie péniblement pour s'en rendre toutes les circonstances familières, dans l'espoir de faire, à la première représentation, ses preuves, sans doute bien faciles, d'une érudition d'un jour.

Dans ce tems surtout où toutes les pages de l'histoire sont mises en drame, en mélodrame, en comédie et même en vaudeville, on a du [sic] s'étonner qu'une tragédie, dont l'histoire doit naturellement fournir le sujet, fût toute entière d'invention. Il seroit sans doute préférable de travailler sur un fonds connu, si les faits les plus célèbres renfermoient toujours les conditions de la tragédie. Mais comme les sujets historiques réunissent rarement les qualités nécessaires, que d'ailleurs les plus fameux ont été mis sur la scène par nos grands maîtres, j'ai pensé que, s'il étoit permis d'innover, ce devoit être plutôt dans la fable que dans la conduite de l'ouvrage et dans le style, comme plusieurs auteurs ont osé le faire.

Aristote même, ce législateur du Parnasse ancien et qui, après deux mille ans, dicte encore des lois au nôtre, n'est point contraire à cette manière de penser, et, s'il n'assigne que le second rang pour l'intérêt aux tragédies de pure invention, au moins ne les proscrit-il pas. Voici comme il s'en explique, chapitre 9 de sa poétique, sect. 3 :

Mais pour les tragédies, on se sert de noms connus ; la raison en est que ce qui est possible est par conséquent croyable... Cependant il y a quelques tragédies où l'on ne trouve qu'un ou deux noms connus et le reste est inventé. Dans d'autres il n'y en a aucun : comume dans l'Anthos d'Agathon ; car dans cette pièce, et le sujet et les noms sont feints, cependant elle n'en plait pas moins. Il n'est point nécessaire, dans les tragédies, que le sujet soit tiré d'histoires connues : il seroit même risible de l' exiger ; en effet, les histoires même connues, ne le sont que de peu de personnes, et tout le monde prend également plaisir aux tragédies.

Il est vrai que les tragédies dont personne ne connoît le sujet demandent de la part des spectateurs une attention plus soutenue. Qu'une seule circonstance de l'exposition leur échappe, le fil de l'intrigue est perdu pour eux et le nœud n'a plus rien que d'obscur : cependant nous avons sur notre théâtre plusieurs exemples heureux de cette liberté ; Zaïre, Alzire, Mahomet, Bajazet même, à peu de chose près, ne sont-ils pas des sujets de pure invention ? Si l'on convient généralement que les poètes de nos jours ont bien de la peine à se traîner de loin sur les traces des anciens, pourquoi n'avoir pas pour eux l'indulgence que commande leur infériorité ? Il semble au contraire que le public soit devenu plus exigeant, à mesure qu'il devoit moins exiger. Maintenant, le jour d'une pièce nouvelle, on veut être au fait du sujet avant d'aller au théâtre ; la paresse de quelques personnes se refuse à suivre le fil de l'intrigue la moins embrouillée, et la plus légère attention semble devenir pour elles un travail pénible.

C'est ce qui a paru surtout à la première représentation de cette tragédie. Je suis loin de vouloir en appeler ; le sujet sans doute peut passer pour bizarre aux yeux de bien du monde, mais eût-il été plus sage, les dispositions hostiles manifestées même avant le lever du rideau, eussent empêché la saine partie d'en juger. L'effet de l'ouvrage entier dépendoit d'ailleurs de la manière dont on prendroit l'exposition de la fable, et de la terreur que sauroit inspirer le principal personnage, celui dont la mort fait la catastrophe de la pièce. La première, écoutée avec distraction, a rendu nulle la seconde.

On a reproché à Antiochus trop de cruauté ; mais en cela même, son caractère ressemble à celui que lui donne l'histoire : un prince, qui fit brûler à petit feu le sage Éléazar, les Machabées et leur mère, pour avoir refusé de sacrifier à ses dieux, étoit-il bien rempli d'humanité ? Je l'ai représenté mortellement offensé par un sujet qui lui ravit sa maîtresse, qui se réfugie chez son ennemi, lui fait la guerre et le dépouille presqu'entièrement de ses États, n'étoit-ce pas assez pour légitimer sa vengeance ? Il n'est point étonnant qu'il veuille envelopper Athénaïs et Zobéïde dans la proscription d'Arzace ; les rois de l'Orient étendoient ordinairement la punition des crimes jusques sur la famille des coupables. Assuérus, selon l'écriture, livre à la fureur des Juifs toute la famille d'Aman, et cependant Assuérus est représenté comme un excellent prince.

Le moyen qu'Antiochus employe pour se venger, c'est-à-dire l'envoi de deux soldats pour assassiner Arzace dans son camp, a été trouvé romanesque ; trois exemples m'ont paru suffisans pour couvrir ce qu'une telle action a d'extraordinaire. Mucius Scœvola n'est-il pas envoyé par les Romains pour assassiner Porsenna ? Et Mucius se méprend comme les émissaires d'Antiochus. Nisus et Euryale, dans l'Énéïde, pénètrent de nuit dans le camp des Rutules et y commettent de grands désordres ; l'ardeur seule du butin les trahit ; enfin, dans le Rhésus d'Euripide, Diomède et Ulysse se glissent sous la tente de ce prince, le tuent et emmènent son char et ses chevaux ; ce qui est bien moins vraisemblable que d'enlever une femme évanouie. Ce n'est pas que je prétende me justifier entièrement par ces exemples; ce qui peut passer dans un poème épique, peut n'être pas supportable dans une tragédie ; le Rhésus seul d'Euripide pourroit servir d'autorité, mais c'est une des plus médiocres pièces de ce poète ; aussi je veux seulement faire conclure de là que le sujet n'étoit pas tout-à-fait aussi dénué de vraisemblance que certains journalistes se sont plu à le publier.

Un autre reproche sur lequel ils ont insisté, est la multiplicité des reconnoissances ; on ne s'en seroit peut-être pas apperçu, si des personnes qui avoient eu communication de la pièce n'en avoient dit le nombre à leurs amis, qui n'étoient probablement pas ceux de l'auteur. Héraclius, Rhadamiste et Electre fourmillent de reconnoissances, est-ce à dire pour cela que ces ouvrages en soient moins intéressans ?

Je me bornerai à ce court examen : en le faisant, j'ai voulu seulement rendre raison des motifs qui m'ont engagé à traiter un pareil sujet. Je me suis trompé sans doute sur le choix, et je ne prétends point rejetter sur qui que ce soit le mauvais succès de mon ouvrage, pas même, suivant la coutume, sur les acteurs qui l'ont joué. Il ne me prendra pas non plus envie d'attaquer le jugement des journalistes, pour le fonds ; je n'attaquerai que la forme. Une critique ne doit point dégénérer en pamphlet ; elle ne peut être utile que lorsqu'elle est exposée honnêtement. Puisque notre amour-propre a déjà bien de la peine à se rendre à une critique juste et polie, il se révolte à plus forte raison contre celle qui est présentée avec aigreur et écrite d'un style trivial. Si je me plains de quelques journalistes, à cause du ton de leur critique, que dirai-je de ceux qui dénaturent les vers pour les rendre ridicules? Un de ces messieurs, pour me siffler en sûreté de conscience, a jugé à propos de me prêter son esprit, en refaisant à sa façon ce vers de la seconde scène du premier acte:

Dans les yeux de sa mère elle eût vu son devoir.

Il ne pouvoit s'être trompé, puisque mademoiselle Thénard l'a prononcé très-clairement ; au reste, si l'ouvrage est si mauvais, qu'avoit-il besoin d'y ajouter du sien ?

Mais c'est trop m'arrêter sur les honnêtetés littéraires dont nos journaux retentissent à la honte de la littérature ; j'aime mieux ne pas les réfuter entièrement que de les relire. D'ailleurs je ne parviendrois pas à corriger nos prétendu-frérons de leur manière partiale et peu décente de critiquer ; leur pli est pris dès long-tems; ils se connoissent : ils sentent qu'il leur est plus facile de trouver des injures que des raisons. Excepté deux ou trois, il en est bien peu qui pussent soutenir quelque tems leur journal sur un ton de critique mesurée et décente ; il faut, pour remplir une pareille tâche, beaucoup plus de fonds et de lecture qu'il n'en ont.

Je sais qu'en livrant cet ouvrage à l'impression, j'ai fourni une nouvelle pâture à leur malignité; mais ils en ont dit tant de mal, que je ne risque guères qu'ils en disent davantage.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1806, p. 279-283 :

[Le compte rendu commence par une longue explication de qui est cet Antiochus Epiphanes, en soulignant qu’il pourrait figurer dans une tragédie aussi bien que dans une pièce bouffonne. D’après les historiens, c’est plus un fou qu’un grand monarque. L’analyse du sujet affirme d’abord que la pièce n’a pas de valeur historique : son héros, « c'est un personnage de roman ; le fonds, l'intrigue, tout est fabuleux ». Pour raconter l’intrigue, il faut faire une large place à l’avant-scène. Ce qu’on voit sur la scène est riche en reconnaissances. Le critique ne se prive pas de ridiculiser une intrigue plutôt embrouillée. Le dénouement n’est pas connu : les sifflets ont fait baisser la toile. Le verdict est sans appel : « cet ouvrage est au-dessous de toute critique », l’intrigue est sans raison, seul le style, pourtant « faible et faux », révèle quelques éléments positifs. Les acteurs sont jugés sans responsabilité dans cette chute : ils ont tenté de sauver une pièce qui ne pouvait l’être.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Première représentation d’Antiochus Epiphanes, tragédie.

Le héros de cette tragédie aurait tout aussi bien pu l'être d'une pièce bouffonne . « Il aimait, disent les historiens, à courir les rues d'Antioche avec deux ou trois domestiques, passait des jours entiers dans les boutiques des graveurs et des orfèvres, à s'entretenir de leur métier, qu'il prétendait savoir mieux qu'eux. S'il rencontrait des gens du peuple attroupés, il se mêlait de la conversation ; buvait avec les derniers de ses sujets ; se mettait des parties de plaisir des jeunes gens ; chantait, dansait sans aucun égard pour sa dignité. On le voyait quelquefois vêtu à la romaine, courir de maison en maison, comme il se pratiquait à Rome aux comices ; il pressait les citoyens de lui donner leurs suffrages ; présentait la main à l'un, embrassait l'autre ; briguait tantôt la place d'édile, tantôt celle de tribun ; selon la magistrature qu'il avait obtenue, il faisait appelles les causes de halle, minutieuses et peu séantes, qu’il jugeait avec une gravité affectée ; il aimait le vin et la bonne chère jusqu'à la débauche, et quand il était ivre, il jettait, ou de l'argent à pleines mains, ou des pierres, dont il faisait auparavant provision ».

Certes, c'est plutôt là le portrait d'un fou que celui d'un grand monarque ; cependant, par une autre bizarrerie de la nature, cet Antiochus si insensé, et que l'on enfermerait aujourd'hui aux petites-maisons, sut mêler de grandes choses A ses petitesses. il conduisit avec valeur et habileté des expéditions périlleuses, il prit des villes, gagna des batailles, et fit la conquête de l'Egypte. Vue de près, toute sa personne était un objet de risées ; mais à ne juger de lui que par ses faits d'armes, il n'était pas indigne de figurer sur la scène tragique. Voyons maintenant sous quel aspect et comment il a été présenté.

Il a deux caractères dans l'histoire, et n'en a pas un dans la pièce, ou plutôt ce n'est pas lui, ce n'est pas Antiochus Epiphanes qu'on a mis au théâtre sous ce nom; c'est un personnage de roman ; le fonds, l'intrigue, tout est fabuleux.

Antiochus aime la belle Amenaïs, sa sujette ; mais celle-ci lui préfère le vaillant Arzace, et, par suite de cette préfërence, accouche secrettement d'une fille, que l'on élève sous le nom d’Obéïde ou Zoréïde, (peu importe) ; tous ces événemens ont lieu dans l'avant-scène.

Quinze ans se passent sans que la fureur d'Antiochus contre Amenaïs et Arzace perde de sa force ; ceux-ci ont pris le parti de la fuite, et Arzace, qui s’est réfugié chez les Parthes, a été placé .par eux à la tête de leurs armées. Antiochus attaque ces peuples, et se fait abattre complettement par l'époux d'Aménaïs ; autres faits compris dans l'avant-scène. La relation n'en est pas courte.

Les vainqueurs sont aux portes de Séleucie, ville où réside Antiochus. Arzace, déguisé en Parthe, et se disant ambassadeur, vient offrir la paix au vaincu. Introduit dans le palais, du roi , il y retrouve sa chère fille Zoréïde (une reconnaissance), et est bientôt découvert lui-même par Seleucus, fils d'Antiochus (seconde reconnaissance). Seleucus éclate d'abord en menaces ; mais amant aimé de Zoréïde, il ne peut se résoudre à trahir le père de son amante, et Arzace lui en fait le défi.

Cependant les troupes d'Antiochus se sont emparées d'Aménaïs ; on l'amène prisonnière, et le tyran savoure d'avance le plaisir de se venger ; Zoréïde, qui se promène dans le palais, y rencontre sa mère qu'elle n'a jamais vue ; de propos en propos, de questions en questions, ces deux femmes en viennent au fait : « Ma fille ! ma mère !!! » (troisième reconnaissance).

D'un autre côté, l'implacable Antiochus qui ne soupçonne pas son rival si près de lui, a mis en campagne un coupe-jarret, pour faire assassiner ce héros partout où on le rencontrera. L'assassin revient avec une tête qu'il donne pour celle d'Arzace ; Antiochus, enchanté, la renferme dans un vase qu'il fait placer à côté de son trône, et c'est après cette gentillesse qu'il accorde une audience à l'ambassadeur.

Ici le plus ingénieux des quiproquo. Arzace, parlant au nom des Parthes demande le rappel d'Arzace, c'est-à-dire, plaide pour lui-même, à l'aide de son déguisement, et Antiochus, qui croit le tenir sous la main dans l'urne dont on vient de parler, s'amuse à dire qu'Arzace est près de lui, pour long-temps, en lieu sûr, etc. Ces facéties ont fait beaucoup rire.

Aménaïs accourt sur ses entrefaites, et s'élançant vers son Arzace, qu'elle croyait mort, elle s'écrie imprudemment : ciel, mon époux ! ô ciel ! (quatrième reconnaissance). Cette exclamation prouve à Antiochus, étonné, qu'on a coupé une tête pour une autre, et qu'Arzace, vivant, est devant ses yeux, (cinquième reconnaissance). Transporté de fureur, il veut, vite, réparer le mal-entendu, sans doute, par un autre crime..... ; mais le public ne lui en donne pas le temps, et les bordées de sifflets deviennent si imposantes, que l'on est forcé de baisser la toile.

Considéré comme pièce de théâtre ; cet ouvrage est au-dessous de toute critique ; pas la moindre raison, aucune connaissance de la scène ; tout en est froidement romanesque ; l'atrocité même du tyran n'a rien qui inspire la terreur ; elle est trop ridiculement outrée, ou, pour mieux dire, trop dégoûtante. A l'égard du style, quoique généralement faible et faux , il n'est pas tout-à-fait sans mérite, et l'on a même remarqué plusieurs vers qui annoncent du talent pour la poésie.

Les acteurs n'ont, au surplus, rien à se reprocher ; ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour traîner le fardeau jusqu'au dénouement ; Damas, sur-tout, Mlles. Bourgoin et Duchesnois ont été vivement applaudis.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce n’a été jouée qu’une fois, le 21 mars 1806.

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