Arlequin gastronome, ou Monsieur de la Gourmandière, vaudeville en un acte, de Barré, Radet et Desfontaines, 22 décembre 1810.
Théâtre du Vaudeville.
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Titre :
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Arlequin gastronome, ou Monsieur de la Gourmandière
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Genre
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vaudeville
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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22 décembre 1810
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Théâtre :
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Théâtre du Vaudeville
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Auteur(s) des paroles :
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Barré, Radet et Desfontaines
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Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome VI, p. 395-396 :
[Puisque tout le monde l’a reconnu, inutile de nommer Grimod de la Reynière, que la pièce honore (ou ridiculise). Un seul regret : que cet honneur n’ait pas « été décerné avec un peu plus d'esprit et de gaieté ». Intrigue classique (il faut marier les jeunes gens, et on y arrive), interprétation remarquée. Mais la réaction de la salle est partagée entre sifflets et ennui. Ce qui n’empêche pas une minorité de demander et d’obtenir le nom des auteurs.]
Arlequin Gastronome, ou M. de la Gourmandière, vaudeville en un acte , représenté le 22 décembre.
Tout le monde a reconnu, dans Arlequin Gastronome, un homme d'esprit célèbre par son originalité, l'auteur de l'Almanach des Courmands. Ce grand apôtre de Comus vient d'obtenir de son vivant un honneur qui auroit pu flatter son amour propre, s'il eût été décerné avec un peu plus d'esprit et de gaieté. Comme son modèle, Arlequin est président d'un jury dégustateur, et reçoit des légitimations de la part des marchands de comestibles et des artistes de bouche, qui veulent figurer dans son Journal des Gourmands ; parmi les envois qu'on lui a faits se trouve le superchipolata, qui excite son enthousiasme et son appétit. Jusqu'alors Arlequin, assez mauvais père, avoit refusé de marier son fils Gilles à Nicette, la fille de Cassandre, petit restaurateur qui donne à manger à 18 sols par tête ; mais quand il apprend que ce dernier est descendant du fameux Béchamel, et qu'il est l'inventeur du superchipolata , il consent à l'union des amans, regrette même de n'avoir que son fils à offrir à un aussi grand artiste que Cassandre.
Laporte, dans sa scène de gourmandise, s'est montré le digne successeur de Carlin ; Mademoiselle Rivière est fort plaisante dans son rôle de niaise. Quelques personnes ont sifflé ; beaucoup d'autres ont baillé. A la fin de la représentation, un très-petit nombre a applaudi et demandé les auteurs ; personne ne s'y est opposé, et Laporte est venu nommer MM. BARRÉ, RADET et DESFONTAINES.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1811, p. 291-295 :
[Pour rendre compte d’un vaudeville, le critique croit devoir rappeler ce que doit être un vaudeville, qui repose sur des épigrammes sans atteindre à la sature personnelle, à la manière d’Aristophane. C’est pourtant dans ce travers que sont tombés les auteurs de cette pièce, puisque tout le monde a reconnu qui était sous le masque d’Arlequin M. de la Gourmandière (pour ceux qui n’ont pas deviné, Grimod La Reynière). Manifestement, le critique n’apprécie pas ce procédé. Si ce monsieur pourrait ne pas s’offusquer d’être « traduit sur la scène », « était-il nécessaire de nous le peindre insensible et dur ? » Fallait-il le représenter « insensible et dur », « mauvais père », le cœur sec ? Et cette faute est d’autant plus grande que la satire n’est guère piquante, elle reste froide. Le résumé de l’intrigue permet de montrer combien elle est légère. Et le retour permanent « de termes de mangeaille et de facéties de cuisine » est lassant, et on préférerait plus de qualité et moins d’abondance (le critique tombe dans le piège d’utiliser à son tour des métaphores culinaires...) : « l'amalgame de tant de ragoûts délicieux n'a produit qu'une ripopêe (« Terme populaire, et qui exprime assez bien le mélange que font les cabaretiers de différens restes de vin, dont ils composent une boisson souvent beaucoup plus nuisible que salubre », nous apprend L’Improvisateur français de Sallentin, tome XVIII (Paris, 1806), p. 71). Peu d’applaudissements, peu de sifflets, c’est l'acteur jouant Arlequin qui a rendu la pièce supportable.]
Arlequin Gastronome, ou M. de la Gourmandière.
Un peu de malice convient à merveille au Vaudeville ; sans cette petite pointe qui réveille l'esprit et provoque la gaieté, ce genre essentiellement épigrammatique tomberait dans la langueur, et se verrait infailliblement attaqué d'une fatale mélancolie. Puisque
Le Français né malin créa le vaudeville,
c'est au Vaudeville à répondre aux intentions du fondateur, et à ne pas démentir sa piquante origine. Mais si par ses statuts il doit viser sans cesse à l'épigramme, il n'en doit pas moins se garder de la satire ; j'entends ici la satire personnelle, celle dont Aristophane donne le pernicieux exemple, et que le sentiment des convenances sociales ne tarda pas à faire contenir dans des bornes plus sévères, et, par la suite, à bannir entièrement du théâtre. Si quelquefois l'esprit de vengeance ou de parti ont introduit frauduleusement la satire sur notre scène, plus réservée que celle des anciens, ce genre condamnable a pu jouir d'un moment de succès ; mais les esprits sensés et les honnêtes gens ont su promptement en faire justice. Ce début paraîtra peut-être bien grave à propos d'une arlequinade. Mais personne n'a pu s'y tromper, et le Bergamasque arec son costume bigarré, son masque basané, son chapeau de lapin et ses longues moustaches, n'est ici que la représentation d'un personnage célèbre, avec lequel il a, par ses goûts et ses occupations, la plus exacte conformité. Un gourmand de profession qui fourra de la littérature dans la cuisine, et de la cuisine dans la littérature, dont les rares talens dans l'art de la dégustation et de la légitimation ont su mettre à contribution les fournisseurs de comestibles les plus profonds et les plus ingénieux de la capitale et du reste de l'empire ; qui, par le moyen d'un savant journal, fait la réputation d'un jambon ou d'un pâté dont, au préalable, il a fait l'essai ; qui vit enfin de la reconnaissance de tous ceux qu'il fait vivre ; un tel homme, unique en son espèce, a beau changer de patrie et de nom, ses talens et ses habitudes le feront toujours reconnaître, et, sous la masque d'Arlequin, il est impossible de ne pas démêler les traits du véritable M. de la Gourmandière. Jusqu'ici, dira-t-on, la satire est assez innocente. Quel inconvénient peut-il résulter pour un savant qui professe publiquement l'art de bien manger, de se voir traduit sur la scène, armé de pied en cap, de panais, de navets , d'oignons, de carottes, en un mot sous la forme d'un potager ambulant ? S'offensera-t-il de se voir aux prises avec un délicieux supercipolata, ou recevant les hommages flatteurs et les tributs plus estimables encore que des inventeurs respectueux viennent soumettre au président du jury dégustateur ? J'en conviens, pour de vrais gastronomes, de semblables témoignages, quoique dispensés publiquement avec accompagnement de violons et de clarinettes, peuvent avoir un côté honorable; mais était-il nécessaire de nous le peindre insensible et dur ? Ne peut-il être profond gastronome sans être mauvais père ? Et la délicatesse de son goût doit-elle entraîner nécessairement la sécheresse de son cœur ? Si l'égoïsme est une suite obligée de la passion gastronomique, c'est un vice qui, sans doute, a son côté plaisant, mais qu'il fallait combattre d'une manière un peu plus générale. Et rien ne peut excuser les auteurs d'avoir présenté sous un jour si défavorable le caractère d'un homme que beaucoup d'autres spectateurs ne connaissaient probablement, comme moi, que sous le rapport de ses prodigieux talens. Un tort bien plus grave encore aux yeux de ceux près de qui tout passe à la faveur de la plaisanterie, est de n'avoir réussi que très-médiocrement dans le plus facile de tous les genre. C'est jouer de malheur que de rester aussi froid lorsqu'on se permet tout. Et quand la méchanceté veut être bien reçue, c'est bien le moins qu'elle soit piquante. Les auteurs ne pouvaient guère espérer soutenir leur pièce à la faveur de l'intrigue, qui est de la plus grande simplicité.
M. de la Gourmandière a un fils, qu'il laisse presque mourir de faim, tandis qu'il se nourrit lui-même des mets les plus exquis, dont le superflu lui sert encore à payer le frotteur, le tailleur, la blanchisseuse, etc., etc. Gilles, ce fils infortuné d'Arlequin, dont, jusqu'à ce jour, il s'était contenté d'être le rival, Gilles, exilé de la maison de son père, aime chez un traiteur voisin, qui ne donne à dîner qu'à dix-huit sols par tête. On conçoit qu'un père tel que M. de la Gourmandière consente à laisser jeûner son fils, mais ne puisse supporter l'idée d'une mésalliance ; aussi rejette-t-il bien loin, d'abord, les propositions du. traiteur, et ce n'est qu'à la faveur d'un mets excellent, d'un délicieux supercipolata, que cet artiste ruiné, mais habile, parvient à obtenir le consentement du gastronome. Ce fonds léger est brodé d'un bout à l'autre de plaisanteries analogues au sujet, et dont on peut dire avec Martial :
Sunt bona, sunt mediocria, sunt malaplura,
Le retour continuel de termes de mangeaille et de facéties de cuisine devient un peu fatiguant à la longue. On est promptement rassasié devant une table trop abondamment servie ; il en est de même dans les festins que l'on présente au public ; le choix y réussit mieux que la profusion. Les auteurs de la pièce nouvelle, connus d'ailleurs par tant d'autres jolis ouvrages, ont pu remarquer, au peu d'empressement avec lequel on a pris part à ce dernier repas, que la qualité est mieux reçue que la quantité ; on leur a témoigné peu de gré d'avoir pris une carte de restaurateur en guise d’Art poétique, et, si j'ose me servir d'une expression triviale, mais qui rend à merveille ma pensée, l'amalgame de tant de ragoûts délicieux n'a produit qu'une ripopêe.
Si la pièce a recueilli peu d'applaudissemens, il faut convenir aussi qu'elle a été faiblement sifflée, et le jeu de Laporte, dans le rôle d'Arlequin, a probablement contribué beaucoup à la faire écouter jusqu'à la fin. Je ne puis donner trop d'éloges à la manière charmante dont il a joué, d'un bout à l'autre, surtout dans une scène où il finit par dévorer entièrement un pâté, dont il s'était bien promis de régaler seulement son avocat.
Les auteurs de cette parade sont MM. Barré, Rade et Desfontajnes.
Le vers de Martial, Épigrammes, livre 1, 17, légèrement modifié, signifie : « « De ces plaisanteries] il y en a de bonnes, des médiocres, et beaucoup de mauvaises ».
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