Arlequin-tailleur

Arlequin-Tailleur, comédie en un acte et en vaudevilles, de L. T. Lambert et Thierry, 29 juillet 1793.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Arlequin tailleur

Genre

comédie en vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

29 juillet 1793

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

L. T. Lambert et Thierry

Almanach des Muses 1794.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez le Libraire du Théâtre du Vaudeville, août 1793 :

Arlequin tailleur, comédie en un acte et en vaudevilles, avec les Airs notés à la fin, Représenté à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le Lundi 29 Juillet 1793.

Liste des personnages :

Madame DULINON, marchande Lingère,

Mlle Baral.

Mademoiselle ISABELLE, sa fille,

Mde. Frederic.

Madame BONNETTE, marchande de Modes,

Mde Laporte.

DISCRET, Écrivain,

M. Chapelle.

ARLEQUIN Tailleur, Amoureux d'Isabelle,

M. Delaporte.

PIERROT, Perruquier,

M. Carpentier.

Un garçon Tailleur,

M. d'Acostat.

Avant la première scène, description du décor :

LE Théatre représente une place publique ; d'un coté la boutique de Madame Dulinon, et plus loin celle de Mademoiselle Bonnette, de l'autre l'échoppe de M. Discret, et plus loin la boutique de Pierrot

La liste des personnages détone un peu pour une arlequinade : si on trouve bien dans la liste Arlequin et Isabelle, équivalent de Colombine, on ne trouve ni Gilles, ni Cassandre. Isabelle a bien une mère, mais elle n'a pas de père. Et le couple des prétendants à la main d'Isabelle est composé d'Arlequin (qui triomphe bien sûr à la fin) et Discret, qui fait profession d'être écrivain (écrivain public, apparemment : les seules œuvres qu'on lui attribue dans la pièce, ce sont des lettres d'amour.

L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-deuxième année, tome 9 [septembre 1793], p. 307-314 :

[Comme la pièce ne doit pas l’enthousiasmer, le critique commence par raconter un conte oriental, dont le rapport avec la pièce ne saute pas aux yeux (il semble même dire ironiquement qu’il n’y en a pas), avant de venir à la pièce à décrire. Le résumé de l’intrigue terminé, il ne reste plus qu’à juger la pièce, réduite à « une imitation du joli proverbe de M. Carmontel » Elle se ramène à peu de choses : « Au milieu de quelques calembourgs, on y trouve de la gaieté, de l'esprit & des couplets agréables. » Beaucoup de couplets ont été redemandés, comme l’auteur, qui a choisi l’anonymat (ils seraient deux).]

Arlequin tailleur, comédie-parade en un acte & en prose.

Il y avoit un sultan.... — Bon, vous allez nous raconter ce qu'on disoit autrefois en nous berçant. — Non, non, écoutez : il y avoit une fois un sultan qui avoit trois favorites. Elles étoient toutes les trois bien spirituelles, bien jolies, mais malgré cela aucune d'elles n'avoit pu parvenir jamais à lui inspirer une grande passion. Il est bien singulier, disent-elles un jour, que nous n'ayons pas encore obtenu à nous trois, ce que Roxelane obtint autrefois à elle seule ; cependant nous sommes aussi aimables qu'elle (on sait que les femmes se flattent quelquefois) ; d'où peut provenir cela ?

C'est bien facile à deviner, dit Finette ; nous laissons entrer dans le sérail toutes celles qui s'y présentent ; il s'en trouve toujours quelqu'une qui plaît au grand-seigneur, & cela diminue d'autant l'amour qu'il a pour nous. Voulez-vous me croire ? entendons-nous, & convenons de partager par égales portions, les faveurs du sultan, lorsque nous serons parvenues à éloigner de lui toutes les femmes ; c'est le seul moyen de le forcer à ne trouver que nous de jolies dans le monde.

Comment s'y prirent les sultanes, pour parvenir à ce but ? Elles préparerent une mixtion qu'elles firent prendre à leurs compagnes, & qui les engourdit de telle sorte, qu'elles ne purent plus arriver qu'en se traînant auprès du sultan. Cette marche lui parut si pénible, si désagréable, qu'il dit à toutes ces pauvres malheureuses de rester chez elles ; & elles y demeurerent, & elles y moururent de langueur.

Leurs astucieuses rivales régnerent seules alors sur le cœur du grand-turc. Mais comme elles virent bien que si elles empèchoient d'autres femmes de venir au sérail, le sultan pourroit bien sortir, pour en aller chercher, elles firent venir les eunuques, auxquels étoit confiée la garde des portes. Elles les payerent si bien, & leur firent tant de promesses, que toutes les femmes plus jolies, & même aussi jolies qu'elles, furent éconduites, avant que le sultan pût les voir. Quand le hasard ou l'importunité d'une d'entr'elles parvenoit à la faire entrer, les malicieux eunuques la couvroient tellement de boue & de poussiere, & la faisoient accompagner de tant de ridicules & de huées, que le sultan en étoit sur le champ dégoûté.

Les eunuques mettoient en même-tems en usage une ruse bien plus perfide & plus profitable pour les trois favorites. Lorsqu'ils connoissoient une femme boiteuse, borgne, bossue, bancale, contrefaite, imbécille ou folle, ils faisoient tant & si bien, qu'ils parvenoient à la présenter au grand-seigneur, qui s'estimoit toujours trop heureux, en la voyant, de posséder les trois favorites. Ce sultan, qui étoit bon homme, & qui ne supposoit pas qu'il pût en exister de plus fin que lui, disoit alors : « II n'y a plus de goût ni de jolies femmes dans le monde ; que je serois malheureux, sans mes trois favorites ! je serois livré aux monstres, depuis le matin jusqu'au soir. »

Mais les sultanes rusées en firent tant & tant à ce pauvre petit grand-seigneur, qu'un jour il lui prit envie d'aller visiter le sérail de plusieurs de ses visirs. Jugez de sa surprise, lorsqu'il les trouva remplis de femmes charmantes. Par la barbe du prophete, s'écria-t-il alors, m'auroit-on trompé ? Il faut que je parle à ces dames ; il leur parla; & certaines lui apprirent qu'elles n'avoient jamais pu parvenir jusques dans le sérail ; & certaines autres lui rappelèrent que c'étoit elles qu'on y avoit traitées avec tant d'ignominie.

Oh ! oh ! dit le sultan furieux ; c'est ainsi qu'on m'outrage ! c'est ainsi qu'on ose vouloir me donner à entendre qu'il n'est plus de jolies femmes dans le monde ! c'est ainsi qu'on me les sait passer sous la moustache ! Par la mort.... Il n'acheva pas ; mais il tira son grand sabre, & de retour dans son palais, il fit voler la tête de 30 ou 40 eunuques, & contraignit les autres, en sifflant de rage, de lui déclarer qui avoit inventé cette perfide intrigue.

Ces pauvres diables épouvantés, en nommèrent les trois auteurs. Quoi ! Mesdames, leur dit-il, c'est ainsi que vous vous moquez de moi ! Soyez sûres que je vous punirai. Mais non, il y a bien assez de sang répandu pour aujourd'hui, & je vous pardonne. Diable ! j'ai bien tardé à m'appercevoir que l'incarnat & les belles couleurs qui dominent sur votre sein, vos bras & votre visage, ne sont pas plus naturelles, que le clinquant dont brillent vos dolimens n'est précieux. Allez, allez, retirez-vous, & n'oubliez jamais que la meilleure ruse est de n'en point avoir. Le lendemain, le sérail fut rempli de jolies femmes....

Eh ! MM. les auteurs, souvenez-vous donc que vous faites un journal, & laissez-là vos contes bleus, vos contes à dormir debout, dont nous n'avons que faire. Que nous importent votre sultan & ses favorites? Que nous importent vos fables sans moralités ? Si nous pouvions du moins faire quelque application maligne ; mais qui pourroit comprendre quelque chose à votre galimathias ? Allons, allons, souvenez-vous que vous nous faites attendre l'extrait d'une piece intitulée : Arlequin tailleur.

Vous avez raison, Messieurs, & nous y voilà : la scene se passe sur le pavé de Paris. A gauche, sont les boutiques d'une marchande de modes & d'une lingere ; à droite, celle d'un perruquier, & l'échoppe d'un écrivain public. M. Discret est son nom, & son caractere, celui d'un vieux Cassandre. Mme. du Linon veut lui donner sa fille Isabelle en mariage, & le vieux roquentain ne la refuse pas. Mais Isabelle aime un jeune tailleur, & ce tailleur, c'est Arlequin, qu'elle n'a vu qu'une ou deux fois, & qu'elle désespere de revoir jamais au moment où il vient prendre mesure de l'habit de noces de M. Discret. Quelle joie pour Isabelle ! Quelle joie pour Arlequin, qui se désoloit le moment d'auparavant de ne pat savoir l'adresse d'Isabelle ! Mais dans quel instant, grands dieux, il la retrouve ! Elle va en épouser un autre.

Heureusement pour Arlequin, Pierrot, le perruquier, & Mlle. Bonnette, marchande de modes, veulent bien jouer en sa saveur des rôles assez équivoques ; & heureusement pour ce fortuné tailleur, il trouve dans la poche d'un habit que M. Discret lui donne pour modele, une lettre d'une demoiselle Durand, qui lui reproche son odieuse infidélité, & qui lui fait honte de l'abandonner si lâchement pour une autre, après tout les sermens qu'il lui a faits.

Arlequin, enchanté de cette découverte, & ne doutant plus que la lettre qu'il a trouvée ne soit la clef qui lui ouvrira la porte du bonheur, vient chez l'écrivain Discret, & lui dicte une lettre amoureuse qu'il feint de vouloir envoyer à sa maîtresse, & qui finit par ces mots : Je ne mettrai point de bornes à mon amour discret : mots qui, par parenthese, ne sauroient donner lieu au quiproquo, si Mme. du Linon savoit lire, ou si M. Discret savoit signer son nom. N'importe, Arlequin ne se présente pas moins effrontément chez la marchande lingere ; muni des deux lettres, il ne lui assure pas moins que son gendre futur est un libertin fieffé. Sur quelle preuve ! la lettre de Mlle. Durand. Elle peut être contrefaite. Cela est vrai ; mais la réponse, entiérement écrite de la main de M. Discret, ne sauroit être suspectée, puisque Mme. du Linon connoît l'écriture de son gendre futur ; puisque le dernier mot de cette lettre est discret, & surtout puisque Mme. du Linon est insultée dans la lettre. Comment cette lingere pourroit-elle ne pas se rendre à des preuves si convaincantes ? Aussi n'y résiste-t-elle pas; Discret est éconduit, & sans autres informations, Arlequin est uni à Isabelle.

Cette piece n'est, comme on voit, qu'une imitation du joli proverbe de M. Carmontel, qui a pour titre : l'Ecrivain des charniers.

Au milieu de quelques calembourgs, on y trouve de la gaieté, de l'esprit & des couplets agréables. Le public a beaucoup applaudi ceux-ci, que chante Bonnette, marchande de modes, & amie d'Isabelle, en arrangeant sa boutique.

Air : Prenez votre musette, ô gué.

C'est l'apparence souvent
    Qui seule nous pique ;
Et le dehors séduisant
    Fixe la pratique.
Fille doit, dans notre état,
Pour avoir certain éclat,
    Parer la boutique.

C'est ici des beaux rubans
    La bonne fabrique ;
Et cette montre, aux galans,
    Aisément indique
Qu'un assortiment de fleurs,
D'agrémens & de faveurs,
    
Est dans la boutique.

On a fait répéter le couplet suivant, qu'Arlequin chante à M. Discret.

Air : Bon, vous me contez une fable.

Je suis un tailleur habile,
Chacun vante mon talent ;
Et de ma coupe facile,
Oui, vous ferez si content,
    Que dans votre ménage,
S'il vous vient des fruits charmans,
Arlequin sera, je gage,
Le tailleur de vos enfans.

Le dernier couplet du vaudeville de la fin a été redemandé aussi : c'est un garçon tailleur qui le chante au public : le voici :

Mon maître n'est pas en crédit ;
Car c'est là son premier ouvrage :
Aussi je crains que son habit
De chacun n'ait pas le suffrage.
Si vous en aimez la façon,
Souvenez-vous bien de l'adresse ;
Que de profits pour le garçon
Qui vous recommande la piece !

On a demandé l'auteur ; le jeune Laporte est venu dire que cette bleuette étoit le premier ouvrage de deux personnes qui désiroient garder l'anonyme. Cette piece est jouée très-agréablement par Mmes. Delaporte, Barral, Hélene, & par MM. Laporte, Chapelle & Çarpentier.

D’après la base César, l'auteur est L. T. Lambert (mais une mention manuscrite sur l'exemplaire mis en ligne sur Gallica donne aussi comme second auteur Thierry). Première le 29 juillet 1793. 13 représentations en 1793, 17 en 1794, 7 en 1795, 6 en 1796.

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