Asgill, ou le Prisonnier de guerre, fait historique en un acte & en prose, mêlé d'ariettes, paroles de M. Marsolier, musique de M. Dalayrac, 2 mai 1793.
Théâtre de l'Opéra Comique national.
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Titre :
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Asgill, ou le Prisonnier de guerre
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Genre
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fait historique mêlé d’ariettes
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose ?
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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ariettes
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Date de création :
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2 mai 1793
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Théâtre :
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Théâtre de l’Opéra Comique National
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Auteur(s) des paroles :
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Marsolier
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Compositeur(s) :
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Dalayrac
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Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Brunet, 1793 :
Asgill, ou le Prisonnier de guerre, drame lyrique en un acte et en prose, mêlé d’ariettes, Par B. J. Marsollier, musique de Dalayrac. Représenté sur le Théâtre de l’Opera-comique-National, le Jeudi 2 Mai 1793.
Voir aussi Arnill, ou le Prisonnier américain.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 7 (juillet 1793), p. 362-367 :
[Très long compte rendu largement consacré à la question de la morale au théâtre. Après un couplet sur la disparition de « la bonne comédie », signe peut-être d’un glissement vers la barbarie, le critique analyse la pièce de Marsollier considéré comme un fait historique, c’est-à-dire la mise sur la scène d’un fait réel, la condamnation d’une innocente victime pour des raisons politiques. La pièce est riche en émotions : la bonté du geôlier, les souffrances morales d’une mère devant son fils condamné à mourir, l’héroïsme de ce fils qui veut cacher sa condamnation à sa mère, son courage devant la mort (qu’il évite in extremis, sa mère ayant arraché sa grâce à Washington), et elle donne « de grandes leçons de morale et de sagesse qui indiquent, dans la religion, la source du souverain bien » (le critique stigmatise « d’imbéciles auteurs » qui s’attaquent à la religion sans en voir la grandeur). « M. Marsolier ne cesse de nous ramener, dans cette piece, aux grands principes, sans lesquels il n'est point de tranquillité ni de bonheur. » Le critique insiste en particulier sur l’effet que produit le refus d’Asgill de fuir sa condamnation. La grâce obtenue par la mère d’Asgill est présentée comme une nécessité dans la pièce, car « cette piece infiniment recommandable, sinon comme une comédie, du moins comme un cours de morale, est du genre de celles qui mettent le cœur dans un état insupportable d'oppression, sans exciter de ces douces larmes qu'on doit seules faire couler au théatre » : le théâtre peut certes faire pleurer, mais ces larmes ne doivent pas opprimer abusivement le cœur. Ce qui amène un long développement sur l’origine (non déterminée) de la différence entre hommes et femmes, les femmes étant plus sensibles à ce qu’elles voient au théâtre qu’à ce qu’elles voient dans la réalité, les hommes étant « moins faciles à émouvoir au spectacle », mais l’étant plus « à l’aspect des véritables infortunés (dans les deux cas, ce sont les exécutions publiques qui servent d’exemple).
Le compte rendu s’achève sur les éléments habituels d’une critique théâtrale : éloge de la musique (« fort bien adaptée aux paroles). Le commentaire de l’interprétation (jugée très satisfaisante par ailleurs) se réduit presque entièrement à la question des costumes. L’acteur qui joue Asgill est trop bien vêtu (« La toilette d'un prisonnier ne doit pas être celle d'une femme, dans son boudoir »), et surtout celui joue le rôle du maçon qui donne à Asgill le moyen de sortir de sa prison est vêtu « de la maniere la plus dégoûtante ». Le critique s’en prend vigoureusement à cette tenue négligée : il veut que « M. Trial abandonne donc sans regret le costume dépenaillé dont il se pare dans Asgill, & qu'il en prenne un plus digne du public & de lui » (c’est donc une question de dignité). Et qu’il abandonne aussi « le ton d’un plaisant de village » : « Un quaker de la Pensylvanie peut être maçon & fort gai ; mais il ne sauroit avoir le ton d'un plaisant de village. »]
THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE NATIONAL.
Asgill, ou le Prisonnier de guerre, fait historique en un acte & en prose, mêlé d'ariettes, paroles de M. Marsolier, musique de M. Dalayrac, représenté pour la premiere fois le 1er. mai 1793.
Depuis long-tems les François s'éloignent de la bonne comédie. Est-ce par la difficulté d'y réussir ? Seroit-ce parce que nous nous trouverions dans des circonstances semblables à celles où les lettres se trouverent chez les Romains, du tems de Séneque ? Irions-nous vers la barbarie ? Eloignons ces fâcheuses réflexions, & disons ce que c'est qu'Asgill ou le Prisonnier de guerre.
Cette piece offre un assez grand nombre de situations intéressantes, qu'on avoit déjà vues dans le Chevalier de la Barre, du même auteur. N'en parlons pas comme comédie, puisque M. Marsolier lui-même l'appelle un fait historique, & disant qu'Asgill n'est autre chose que le trait mis en action de ce jeune prisonnier de guerre, du même nom, qui fut sur le point, dans la derniere guerre des Anglois contre les Américains, de devenir la victime d'horribles représailles.
La jeunesse, l'infortune, & sur-tout l'excellent cœur d'Asgill, ont su attendrir le geolier Pierre, qui adoucit, autant qu'il est en lui, les rigueurs de la prison du jeune Anglois, & qui se montre si bon, si humain, qu'il semble que l'auteur de la piece ait voulu démontrer le proverbe vulgaire : II y a d'honnêtes gens par-tout. Asgill, comme on l'imagine bien, attend avec la plus vive impatience, le moment d'être échangé , pour aller dans la Grande-Bretagne, embrasser sa mere ; mais on vient lui apprendre qu'il doit mourir, & que sa mere est arrivée. Quel coup de foudre pour Asgill ! comment cachera-t-il à celle qui lui donna l'être, une si affreuse nouvelle ? A force d'héroïsme & de tranquillité ? Vaines ressources ; les yeux d'une mere sont si clairvoyans, lorsque son fils est en danger ! Celle-ci, surprise de ce qu'on veut l'éloigner de la prison, au moment même où elle arrive, arrache la vérité de la bouche de son fils, & sort désespérée, pour aller solliciter sa grace.
Cependant Asgill touche à son dernier moment : l'heure fatale va sonner. Un ministre, son ami, vient l'assister dans ses derniers momens. L'intervalle qui le sépare de l'éternité n'est plus rien. En un clin-d'œil, il sera franchi. Heureusement qu'Asgill n'est pas philosophiste, mais bien philosophe : il a su vivre, il va savoir mourir. L'idée seule, que sa mort pourra être utile à l'humanité, en empêchant les Anglois à se livrer désormais à la cruauté, remplit son cœur de la plus douce consolation.
L'auteur infiniment estimable d'Asgill, s'est plu à retracer au théatre ces grandes leçons de morale & de sagesse qui indiquent, dans la religion, la source du souverain bien, tandis que d'imbéciles auteurs, qui ne soupçonnent pas même que l'empire de la religion commence où finit l'empire des loix, cherchent à l'avilir par leurs impudentes farces ; comme si l'or & les pierres précieuses pouvoient être altérés, en séjournant dans le fumier.
M. Marsolier ne cesse de nous ramener, dans cette piece, aux grands principes, sans lesquels il n'est point de tranquillité ni de bonheur. Asgill en est pénétré; aussi ne veut-il pas fuir, malgré qu'un maçon (que l'auteur fait tomber des nues, pour amener M. Trial sur la scene ; ce dont il auroit bien pu se dispenser) lui en facilite le moyen ; il pourroit, en fuyant, compromettre son geolier ; il aime mieux mourir. Aussi veut-il profiter ensuite de l'effraction faite par le maçon pour se rendre, sans être apperçu, sur la place des exécutions, afin d'empêcher le sang du peuple de couler ; de ce peuple qui crie grace aux portes de sa prison, & qui se dispose à l'enlever au moment où on le conduira au supplice.
Heureusement la mere d'AígiIl paroît : elle a obtenu du général Washington la grace de son fils, & elle apporte la joie & la consolation dans le cœur de tout le monde ; car, il faut en convenir, cette piece infiniment recommandable, sinon comme une comédie, du moins comme un cours de morale, est du genre de celles qui mettent le cœur dans un état insupportable d'oppression, sans exciter de ces douces larmes qu'on doit seules faire couler au théatre.
Ceci nous donne lieu de faire une question dont la solution pourroit être fort importante. D'où vient que les femmes s'attendrissent, pour la plupart, au spectacle, jusqu'au point de verser des pleurs, & qu'elles voient d'un œil sec, traîner un malheureux au supplice? Seroit-ce parce qu'elles pensent que ceux qui vont périr, l'ont mérité, tandis que l'objet qu'on leur présente sur la scene, est presque toujours malheureux sans être criminel ? Mais un homme est toujours un homme, & la nature doit frémir en le voyant détruire ; mais avant la révolution, les femmes qui pleuroient à la représentation du déserteur, ne pleuroient pas quand elles voyoient conduire un déserteur sur la place des exécutions militaires ! D'où peut venir cette différence ? Pour quelle raison surtout, les hommes, moins faciles à émouvoir au spectacle, le sont-ils davantage à l'aspect des véritables infortunés ? Pourquoi, sur les places des exécutions, compte-t-on trois & même quatre femmes pour un homme ? Pourquoi, enfin, les femmes sont-elles plus touchées par l'illusion, & les hommes par la réalité ? Si quelqu'un vouloit se donner la peine de répondre à ces questions, & qu'il le fît d'une maniere satisfaisante, il jetteroit un grand jour sur la théorie des illusions théatrales. Mais revenons à notre sujet.
La musique d'Asgill est fort bien adaptée aux paroles, & elle porte, d'un bout à l'autre, cette teinte rembrunie qui convient si bien au sujet. M. Michu remplit avec distinction le rôle d'Asgill ; mais il nous semble qu'il ne faudroit pas qu'il fût; tout-à-fait si bien frisé, ni que son costume fût si recherché. La toilette d'un prisonnier ne doit pas être celle d'une femme, dans son boudoir. M. Solier joue le rôle du ministre, avec une sensibilité vraiment précieuse, & tous les autres acteurs le secondent parfaitement ; mais M. Trial offre dans cette piece une étrange disparate depuis le commencement jusqu'à la fin ; c'est sans doute la faute de son rôle. Nous lui ferons toutefois une observation contraire à celle que nous venons de faire à M. Michu, & cela, suivant M. Monvel, en raison de ce que par-tout l'excès est un défaut. Comment supporter, en effet, la vue d'un homme mis de la maniere la plus dégoûtante, quelque maçon & quelque pauvre qu'il puisse être ? Si l'on trouve un ouvrier déguenillé, on en trouve mille qui ne le font pas. Nous nous moquerions avec raison d'une actrice qui viendroit en déshabillé de linon, & en beaux rubans, comme cela arriva il y a peu de tems sur le théatre de Louvois, jouer le rôle de Colette ; mais nous nous en moquerions bien plus encore, si nous savions qu'elle est allée emprunter les habits d'une sale paysanne, pour paroître dans le Devin de village. Que M. Trial abandonne donc sans regret le costume dépenaillé dont il se pare dans Asgill, & qu'il en prenne un plus digne du public & de lui. Alors il ne nous laissera que très-peu de chose à désirer, s'il charge un peu moins son rôle, & s'il lui donne une autre physionomie. Un quaker de la Pensylvanie peut être maçon & fort gai ; mais il ne sauroit avoir le ton d'un plaisant de village.
César : première le 2 mai (pas le 1er ?). 8 représentations jusqu'au 27 juin 1793. Et 1 représentation le 9 mars 1795 (mais c'est la date de la création d'Arnill ou le Prisonnier américain !).
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