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Astyanax (Richerolle)

Astianax, tragédie en cinq actes, de Richerolle d’Avallon, 7 février 1789.

Théâtre François.

Titre :

Astianax

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

vers

Musique :

non

Date de création :

7 février 1789

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

M. Richerolle d’Avallon

On trouve sur le site Galllica le texte de la tragédie, publiée en 1818 :Astyanax, tragédie en cinq actes et en vers ; Par M. Richerolle d’Avallon. Représentée au Théâtre Français, le 20 mars 1789. Se trouve à Paris, chez les marchands de nouveautés. 1818.

La date de représentation donnée par la brochure n’est pas exacte.

Liste des personnages :

PERSONNAGES.

ASTYANAX,

ANDROMAQUE,

PYRRHUS,

ULYSSE,

THESTOR,

CÉPHISE

PHYNÉAS,

PHÉNIX.

Soldats.

La scène est sous les murs de Troie, auprès du tombeau d'Hector, qui est entre la ville et le camp des Grecs. On voit dans l'éloignement une tour qui s'élève au milieu des ruines de Troie.

Le texte de la pièce est précédé d’une préface datant de l'époque de publication de la pièce, où l’auteur raconte l’histoire de la chute de sa pièce, qu’il attribue à une cabale dirigée contre lui.

PRÉFACE.

Il est triste, quelquefois peu décent, presque toujours inutile de parler de soi et de ses œuvres. Qu'on nous permette cependant de parler de cette Pièce, et d'entrer dans quelques détails qui nous semblent faits pour attirer sur elle l'attention du public. Puisse-t-elle rendre excusable tout ce que nous serons forcé de dire à son sujet!

Né avec le goût des vers, nous en fîmes de bonne heure, au grand déplaisir de nos bons parens qui aimaient beaucoup mieux la prose. A peine sorti des bancs de l'école, nous eûmes l'adresse de nous dérober à leur surveillance pour aller à Paris offrir au Théâtre des Français un drame intitulé : Le Sacrifice de l'amour. Ce faible essai nous valut les honneurs d'une critique honnête et modérée qui enflamma notre zèle. Quelques années après, nous revînmes avec l'Astyanax tel que nous le donnons aujourd'hui ; mais notre premier soin fut de consulter un Auteur célèbre, qui, après l'avoir entendu de sang-froid, nous conseilla de retourner chez nous et de lui confier la Pièce, promettant qu'il nous enverrait les corrections et changemens à faire pour la rendre digne du Théâtre, dont nous ne paraissions avoir aucune connaissance ; ce qui était tout simple, disait-il, puisque nous ne l'avions pas fréquenté. Nous le priâmes avec instance de nous faire connaître quelques-unes de nos fautes ; il s'y refusa constamment. Surpris et piqué de son obstination, nous allâmes droit au Foyer de la Comédie pour y demander un tour de lecture : nous l'obtînmes sans peine. Au jour indiqué pour la séance, nous y parûmes tout tremblant ; nous étions sans espoir. Quelle fut notre surprise ! lorsqu'aux premières scènes du second acte nous vîmes tous les Membres du Comité, Acteurs et Actrices tirer leurs mouchoirs et répandre des larmes ! l'intérêt croissant toujours, leur émotion parut encore plus vive à la scène du tombeau ; et lorsqu'ils éprouvèrent au dénouement ce doux état de calme où l'ame se repose avec d'autant plus de plaisir qu'elle a été plus violemment agitée, alors ils parurent pleinement satisfaits et nous comblèrent d'éloges plus flatteurs, sans doute, que mérités. Enfin, la Pièce fut reçue au scrutin d'une voix unanime ; on nous proposa même de la faire passer avant celles qui étaient reçues et de la mettre sur-le-champ à l'étude   faveur insigne que nous crûmes devoir refuser par des considérations qui obtinrent l'assentiment de toute l'Assemblée.

A notre retour de la Capitale, nous éprouvâmes un accident dont les suites longues et funestes ne nous permirent pas d'y revenir à tems pour la représentation d'Astyanax. Alors nous reçûmes de la Comédie Française une lettre obligeante contenant la proposition de lui livrer notre Manuscrit pour une somme dont la valeur était fixée beaucoup au-dessus du prix de l'Ouvrage : ses offres étaient avantageuses et sûres. Cependant notre santé se rétablissait ; nous avions une Tragédie nouvelle dont le travail était presqu'achevé : persuadé que notre présence sur les lieux était nécessaire, nous répondîmes que nous ne tarderions point à nous y rendre.

Arrivé à Paris, nous fûmes recherché pour la réputation d'Astyanax dont on nous demandait souvent des lectures ; un grand nombre d'Auteurs l'entendirent avant la représentation : nous leur demandions des avis, nous ne reçûmes que des louanges ; quelques Acteurs même disaient hautement qu'ils renonceraient au Théâtre si cette Pièce n'avait point de succès ; et tous les Gens de Lettres nous en firent concevoir une si haute opinion, que nous eûmes la témérité de refuser les billets d'usage accordés aux Auteurs pour les défendre et les protéger. Nous fûmes ainsi, durant quatre mois, bercé de la fausse espérance que le succès d'Astyanax était assuré. Enfin le jour fatal arrive  ; la cabale, qui avait eu le tems de se préparer en secret et à notre insu, parut souffrir le premier acte avec impatience, troubla le second, devint tumultueuse au troisième, enfin elle éclata à la scène du tombeau avec tant de scandale, qu'effrayé de ces hurlemens et de ces cris inhumains, nous profitâmes d'un instant de calme pour demander qu'on baissât la toile ; l'Actrice elle-même, épouvantée de ces rumeurs et de ces bruits atroces, s'avança modestement sur la scène pour exprimer notre vœu. Qui l'aurait pu penser ? elle fut accueillie par des bravos et des applaudissemens si vifs et si prolongés, que la cabale parut déconcertée et réduite à se taire. Hélas ! ce silence, qu'on interprétait en notre faveur, était celui de la bête qui dévore sa proie. En effet, on avait su au besoin se ménager des intelligences en pays ennemi, et le moyen qu'on employa pour nous perdre fut tel que les annales du Théâtre n'en offrent peut-être aucun exemple. La Pièce se soutenait à l'aide de la faveur publique ; elle touchait à sa fin ; il ne restait plus à dire que les trente ou quarante derniers vers qui font le dénouement : l'Acteur soudain s'arrête au plus bel endroit ; l'Actrice, qui était en scène avec lui, et qui savait la pièce par cœur, aide sa mémoire : elle a beau lui souffler son rôle, il témoigne par un sourire assez expressif qu'il a perdu l'ouïe et la parole : il reste immobile, et la toile enfin tombe. Ainsi la pièce ne fut point achevée. Mes amis me pressaient d'en continuer la représentation. « Hé ! Messieurs, leur dis-je, que me demandez-vous ? puis-je faire entendre un sourd et parler un muet ? »

Après cette chute infortunée, nous eûmes le courage de présenter au Comité la Pièce que nous avions apportée et achevée à Paris ; elle fut reçue par un reste d'égards qui nous fit mieux connaître que le sourire du sourd et muet l'influence que la cabale avait exercée sur la plupart des autres Acteurs ; nous reconnûmes dès-lors qu'une puissance invisible et invincible s'était élevée contre nous, et que la carrière du Théâtre nous serait fermée ; ce qui fut confirmé par les nouvelles tentatives que nous fîmes pour y être admis. Cependant, loin de la Capitale, abandonné des heureux du siècle, sans guide et sans espoir, nous n'avons pas cessé d'aimer et de cultiver les Lettres, au point même de composer quelquefois, lorsque nous étions entraînés par l'attrait irrésistible d'un sujet qui s'offrait de lui-même et qui subjuguait notre imagination, faisant une Comédie ou une Tragédie, suivant notre goût, sans nous inquiéter de la différence de ces genres opposés ni des difficultés que nous avons éprouvées à passer de l'un à l'autre.

Il y aurait sans doute de la présomption à publier ces Ouvrages, nés du seul besoin de produire, avant de savoir comment seront accueillis ceux que nous avons entrepris sous de plus heureux auspices, et que nous ne présentons point sans craindre, même après quarante ans d'études et de travaux, qu'on ne nous accuse de trop de précipitation : car à quoi ne devons-nous pas nous attendre après ce que nous avons éprouvé ? Cependant, s'il est vrai, comme on le dit, que la République des Lettres soit une aristocratie où il importe de choisir ses patrons avant que de publier ses œuvres, il est bon d'avertir le Public que nous n'avons jamais eu de patrons, que nous n'en aurons jamais, et que notre seul espoir est dans sa protection.

Mercure de France, n° 8 du 21 février 1789, p. 126-135 :

[Bel exemple de critique d’une tragédie qui n’a pas réussi : pas achevée, une seule représentation. De façon presque rituelle, le critique commence par évoquer toutes les pièces sur le même sujet, dont aucune n’a réussi. Après trois essais malheureux, la pièce du jour a été mal accueillie. Puis il passe à ce qu’il appelle « l’analyse », soit un long résumé de l’intrigue en insistant sur les emprunts et imitations, jugés plus ou moins heureux. Le troisième temps de l’article est consacré à parler de la représentations, en signalant l’incident curieux de la fin  les acteurs ont décidé de ne pas achever la pièce, pourtant presque à son terme. Il faut dire que la représentation avait été houleuse. La partie critique achève l’article, en commençant par les reproches faits à l’auteur : avoir tenté de rivaliser avec l’Andromaque de Racine (quelle audace !), et de l’avoir fait maladroitement : il n’est pas convenable que Pyrrhus soit si vite amoureux d’Andromaque (Racine introduit un délai d’un an). Ne pas avoir senti aussi que les mœurs antiques sont choquantes aux yeux des spectateurs modernes : il faut les rendre conformes aux bienséances actuelles. Un élément flatteur : l’auteur connaît bien ses classiques grecs et latins, il écrit bien (idées, vers bien tournés, images poétiques : tout cela est approuvé). Mais on lui reproche tout de même «  de l'enflure, des récits trop multipliés, trop de descriptions épiques, & des défauts de goût assez nombreux » : il ne fallait pas suivre Sénèque. Bilan de ces reproches : pas assez d’action, mélange des genres, faute d egoût. Ce qui a été montré n’est pas un bon modèle de tragédie.]

COMÉDIE FRANÇOISE (1).

ON a porté plusieurs fois sur la Scène le sujet d Astianax, & toujours il y a été malheureux. Le premier Astianax François fut joué le 7 Janv. 1658. L'Auteur anonyme de cet Ouvrage étoit, dit-on, protégé par le Roi. La présence du Protecteur donna un simulacre de succès à cette Tragédie, qui méritoit d'être oubliée, & qui le fut en effet aussi-tôt qu'elle cessa d'être protégée. En 1696, un autre anonyme fit jouer un second Astianax , qui ne fut pas mieux accueilli que le premier. On a mis en question, si cette Tragédie n'étoit pas tout simplement une reprise de la première ; mais comme des deux Ouvrages un seul a été imprimé, la question est impossible à résoudre. Châteaubrun est l'Auteur du troisième Astianax, qui n'eut qu'une représentation (Lundi 5 Janvier 1756.). Cet Ecrivain avoit fait jouer les Troyennes en 1754. Dans cette Pièce, comme dans toutes celles qui ont été faites sur le même sujet, on arrache Astianax des bras de sa mère Andromaque, pour le livrer aux Grecs, mais ici le Grand Prêtre le soustrait à leur fureur. Il est vraisemblable que cet épisode parut à Châteaubrun susceptible de remplir l’intérêt de toute une Tragédie : malheureusement la fable qu'il imagina étoit un Roman incroyable. Les trois premiers Actes, où l'on remarqua de grandes beautés, en dissimulèrent les défauts ; mais le quatrième (2) & le cinquième furent très mal reçus. On a toujours pensé qu'avec des corrections & des coupures il auroit été possible de donner à cet Ouvrage un cours de représentations; mais l'Auteur, aussi modeste qu'estimable, ne voulut point appeler du jugement du Public.

Le quatrième Astianax, qui a été donné pour la première fois le Samedi 7 de ce mois, est, dit-on, le début de son Auteur. Une partie de l'intrigue d'Andromaque, réunie à l'imitation de quelques scènes, & sur-tout de la plus intéressante situation des Troyennes de Sénèque, forme l'action de cette nouvelle Tragédie, que le Public a traitée, comme il traite depuis quelque temps toutes les Pièces nouvelles, c'est à dire , très-rigoureusement.

En voici l'analyse. Troie vient d'être saccagée, on voit encore les flammes qui en dévorent les édifices. Au sein des ruines & du carnage, Pyrrhus a vu Andromaque, & il a conçu pour elle une passion violente. Lui plaire, la servir, adoucir ses malheurs, braver pour elle s'il le faut, la Grèce entière, voilà les dispositions de son ame. Cependant les Grecs demandent la mort d'Astianax. Fils d'Hector, il peut venger un jour son père & les Troyens, son trépas est nécessaire. Ulysse, qui soupçonne Pyrrhus de le protéger, vient, au nom de la Grèce, lui demander la mort de cet enfant, dont Andromaque elle même ignore encore le sort & la retraite.

Cette Scène est une imitation détournée de Sénèque (Scène seconde du second Acte des Troyennes). Pyrrhus prend chez l'Auteur moderne, le caractère qu'Agamemnon a chez Sénèque, & Ulysse y a le caractère de Pyrrhus, sauf les injures qu'on en a fait disparoître. Racine avoit déjà fait usage de cette Scène dans deux endroits de son Andromaque : 1°. dans ces vers qu'Hermione adresse à Pyrrhus.

Du vieux père d'Hector la valeur abattue
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
Cherche un reste de sang que l'âge avoit glacé,
Dans des ruisseaux de sang, Troie ardente plongée,
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

Que peut-on refuser à ces généreux coups ?

2°. Dans la tirade de Pyrrhus à Oreste, Scène seconde du premier Acte, & qui finit par ces vers :

Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère.
Mais que ma crauté [sic] survive à ma colère,
Que malgré la pitié dont je me sens saisir
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir !
Non , Seigneur.

Il y a du génie dans les imitations de Racine, il y a de l'adresse dans celles de l'Auteur moderne.

Ulysse n'obtient rien de Pyrhus. On cherche Astianax. Andromaque vient pleurer sur le tombeau d'Hector. C'est à côté de ce tombeau que Phinéas ose parler à Andromaque de l'amour de Pyrrhus, dont il est le confident. Elle frémit, elle s'indigne, elle éclate, & le sort d'Astianax, qu’elle ignore toujours, ajoute à ses douleurs. Enfin un Troyen, nommé Thestor, a pris une armure Grecque, & sous ce travestissement il a sauvé Astianax, il en avertit sa mère, que cette nouvelle rend un moment à la vie. Mais les Grecs cherchent cet enfant, & il est intéressant de le soustraire à leur fureur. Andromaque se détermine à le cacher dans le tombeau de son père. On l'y fait entrer. Ulysse paroît. Il demande Astianax à la veuve d'Hector. Elle feint que son fils n'est plus, elle jure qu'il est descendu chez les morts. Ulysse craint d'être trompé par l'amour maternel, il dissimule. Il fait à Andromaque la peinture de la mort cruelle à laquelle la Grèce avoit condamné son fils. Au trouble qu'elle éprouve, à la douleur qui vient altérer tous ses traits , il ne doute point qu'Astianax ne respire, & il ordonne qu'on détruise le tombeau d'Hector. Après les reproches les plus vifs sur un pareil attentat, l'infortunée balance quelque temps entre le respect qu'elle doit à la mémoire de son époux, & l'amour qu'elle porte à son fils. Enfin elle croit que l'âge de celui-ci, ses malheurs, ses prières touchantes intéresseront Ulysse , & elle le fait sortir du tombeau. C'est vainement qu'on implore la clémence du Roi d’Itaque. L'intérêt de la Grèce parle, il est inflexible. Le rôle du vieux Thestor doit, sans doute, son existence à un détail du second livre de l'Enéide, & au Vieillard qui, dans Sénèque, entre avec Andromaque à la premiere Scène du 3e. Acte ; mais les motifs du Poëte latin & de son imitateur ne sont pas les mêmes. Quant à la Scènc qui se passe entre Ulysse & Andromaque, elle est absolument imitée de Sénèquc (3). Elle avoit déjà été imitée par Robert Garnier en 1578, par Sallebray en 1640 , par Pradon en 1679, & par Châteaubrun en 1754. Toutes ces imitations étoient à peu près connues des Amateurs de l'Art dramatique. Une qui certainement l'est beaucoup moins, c'est celle qu'en a faite Jean de la Taille de Bondaroy, dans sa Tragédie intitulée la Famine ou les Gabaonites.

Dans cette Tragédie, un Prophète déclare que pour faire cesser le fléau qui ravage le Royaume d'Israël, il faut immoler les enfans de Saül. Rézèfe, veuve de Saül, & Mérobe sa fille, cachent ces enfans dans le tombeau de leur père. Joab vient les demander. Rézèfe répond à peu près comme Andromaque ; mais Joab fait des questions si insidieuses, il les multiplie, il les croise avec tant d'adresse , que l'amour maternel se trahit. On arrache les enfans du tombeau, & on les enlève des bras de leur mère expirante de douleur. Nous sommes fâches que l'espace ne nous permette pas de transcrire cette Scène vraiment attachante, très bien faite pour le temps, & qui dut produire un grand effet. Au reste, l'Ouvrage exista, il a été imprimé à Paris, chez Morel en 1573, & les curieux peuvent en prendre connoissance. Revenons au nouvel Astianax.

Dès que Pyrrhus apprend qu'Ulysse a enlevé Astianax, il entre en fureur, & il sort après avoir juré de le sauver. Andromaque reprend quelque espérance , elle se livre même à la joie de revoir son fils, quand Thestor vient lui annoncer que Pyrrhus lui même l'a livré aux Grecs, & qu'il a été précipité du haut d'une tour. Accablée sous le poids de toutes les douleurs, Andromaque prend la résolution de quitter la vie ; elle va se poignarder, quand sa confidente la désarme & lorsqu'elle voit Pyrrhus reparoître avec Astianax (4). Un enfant dont les traits semblables à ceux du jeune Prince pouvoient tromper les yeux les plus clairvoyans, a été précipité à sa place.

La Pièce, qui avoit excité de grands & de longs murmures, qui avoir été sur le point d'être arrêtée au troisième Acte, étoit arrivée là , Pyrrhus disoit à Andromaque le vers suivant :

Je ne veux point forcer votre reconnoissance ;

lorsque tout à coup les Acteurs se sont interrompus, ont regardé le Souffleur, se sont dit tout bas quelques mots, & ont salué le Public. Pourquoi cette brusque retraite ? On pouvoit bien entendre vingt vers qui, peut être , restoient encore à dire, & ces vingt vers ne pouvoient rien ajouter à la Pièce, dont le sort étoit déjà fixé. Puisque les Comédiens ont souvent la foiblesse de recevoir, par acclamation, des Ouvrages médiocres, ils devroient avoir aussi le courage de les représenter jusqu'à la fin.

On a fait à l'Auteur plusieurs reproches graves, entre autres celui d'avoir paru lutter contre Racine dans un sujet qui a commencé sa haute renommée. En rendant Pyrrhus amoureux d'Andromaque sous les murs même de Troie, aux pieds du tombeau d'Hector, il a fait une faute que Racine a su éviter. Dans l'Andromaque de celui-ci, Pyrrhus est en Fpire depuis peu de temps, & rendu au sein de son Royaume , il a pu voir d’un œil plus attentif la veuve d’Hector & en devenir amoureux. Son amour a donc toute la violence d'une passion nouvelle, & les bienséances y sont ménagées, puisque l'espace de temps qui s'est écoulé entre la ruine de Troie & cette époque, semble déterminé par ces deux vers :

Ah ! si du fils d'Hector la perte étoit jurée,
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée ?

Si l'Auteur s'étoit donné la peine de penser que les mœurs antiques sont à peu près étrangères à la plus grande partie des Spectateurs, & que ceux qui les connoissent exigent que, sur notre Scène, on les dépouille de ce qu'elles ont de trop choquant pour nos habitudes, de trop oppoſé à nos convenances ; ou il auroit suivi Racine de plus près, ou il auroit sagement renoncé à une concurrence qui ne pouvoit être que fatale pour lui. En imitant Sénèque , il auroit eu le soin d'écarter du rôle d'Ulysse toutes les petites finesses que lui a prêtées le Poëte Latin, & qui sont véritablement indignes de la noblesse tragique. Au reste, il a été séduit, comme sous ceux qui avoient traité le même sujet avant lui, par le troisième Acte des Troyennes de Sénèque ; il n'a envisagé cette situation que par le fond, il en a négligé les formes, & cette erreur est bien pardonnable à un jeune homme qui entre dans la carrière.

On a remarqué dans cette Tragédie une connoissance très étendue des Auteurs Grecs & Latins, de belles idées, des vers bien tournés, des images poétiques, le germe du talent : mais on y a aussi remarqué de l'enflure, des récits trop multipliés, trop de descriptions épiques, & des défauts de goût assez nombreux, suite nécessaire, indispcnſable de l'étude de Sénèque, homme que nos premiers Tragiques ont souvent pris pour modèle, & le plus dangereux que l'on puisse choisir.

(1) C'est M. de Charnois qui, depuis 1779 jusqu'à ce jour, a rédigé & rédige encore les Articles des Théatres François & Italiens. Ceux de l'Académie Royale de Musique & du Théatre de Monsieur, sont d'une autre main.

(2) Il faut remarquer que, dans Sénèque, Astianax, près d'être livré à Ulysse, s'écrie : « Ma mère ! ayez pitié de moi » ; que Châteaubrun imita Sénèque en ceci, & que ce cri de la Nature fit rire les Spectateurs jusqu’aux larmes.

(3) Sénèque a pris ses Troyennes dans deux Pièces d'Euripide, Hécube & la Troade ; mais il a créé la Scène d'Ulysse & d'Andromaque, Si l'on veut y faire attention, on verra que l’esprit qu'Ulyssc y déploie, a beaucoup d'analogie avec le caractère de finesse qui étoit propre à Sénèque.

(4) Dans Euripide, Astianax est précipité du haut d'une tour, & on apporte son corps à Hécubc sur le bouclier d’Hector, qui doit lui servir de cercueil. Dans Sénèque, il éprouve le même sort, mais on fait simplement le récit de sa mort. L'Auteur moderne, en faisant rendre ce jeune Prince à sa mère, a suivi une ancienne Tradition déjà adoptée par Racine, quand il fait dire par Oreste :

Vous savez trop avec quel artifice
Un faux Astianax fut conduit au supplice.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1789, tome III, p. 347-349 :

[Analyse d’un échec, dont les causes sont pour le critique

  • l’erreur majeure d’avoir montré un Pyrrhus amoureux si près du tombeau d’Hector : cet amour a choqué, et empêche qu’on s’intéresse à cet amour ;

  • un certain manque d’originalité : c’est très bien d’être « nourri » des « bons modèles », mais la répétition même des belles choses finit par lasser ;

  • l’écrasante comparaison avec l’Andromaque de Racine.]

THÉATRE FRANÇOIS.

On a donné le 7 février, la premiere représentation d'Astianax, tragédie en cinq actes.

M. de Chateaubrun a fait un Astianax qui n'a eu qu'une représentation La nouvelle tragédie n'a pas eu un sort plus heureux ; elle a excité de fréquens murmures, & elle n'a pas été tout-à-fait achevée.

A l'époque près, le sujet de cette tragédie est le même que celui de l'Andromaque de Racine ; l'entreprise étoit hardie, & le succès par conséquent difficile. On n'étoit pas fondé tout-à-fait à en présager la chûte, mais c'étoit bien le cas au moins d'appliquer ces vers du même Racine :

                                 Et pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.

Dans l'Andromaque de Racine, & dans le nouvel Astianax , il s'agit de l'enfant troyen dont les Grecs demandent la mort, & de Pyrrhus, qui, amoureux d'Andromaque, veut lui conserver son fils & le dérober à la vengeance des Grecs. Racine a transporté son action à quelques années après le siege de Troye, le nouvel auteur a choisi le moment où l'embrasement de cette ville dure encore. Il a cherché avec raison à profiter d'une belle scene grecque que Pradon a fait entrer aussi dans sa tragédie de la Troade ; celle où Ulysse soupçonnant qu'Andromaque vient de cacher son fils Astianax dans le tombeau d'Hector, ordonne de détruire le tombeau, & force par-là cette mere infortunée à révéler l'asyle de son fils ; & il a conservé pour dénouement le stratagême de Pyrrhus, qui livre aux Grecs un faux Astianax.

Le nouvel ouvrage prouve que son auteur est nourri de la lecture des anciens, Mais il faut aujourd'hui, plus que jamais, donner une nouvelle physionomie à ce qu'on imite, par la raison que les plus belles choses, trop souvent répetées, finissent par devenir des lieux communs.

Ce qui a déplu davantage, c'est le rôle d'Ulysse & l’amour de Pyrrhus ; & ce dernier nous fournit une observation qui ne paroitra pas ici déplacée. L'amour de Pyrrhus a choqué, & ce même amour, dans Andromaque, est loin de produire le même effet. Mais remarquons que Racine ne nous fait voir Pyrrhus amoureux d'Andromaque que loin de Troye & loin de l'époque de sa destruction & du trépas d'Hector ; au-lieu que dans la tragédie d'Astianax, Pyrrhus parle de son amour aux pieds des remparts de Troye, dont on voit encore la flamme, & il en parle à Andromaque, à côté de la tombe d'Hector, d'un époux adoré. Comment intéresser pour un amour déclaré si hors de saison ?

Malgré ces observations & le mauvais succès de l'ouvrage, nous ne croyons pas qu'on doive décourager l’auteur, sur-tout, si, comme on le dit, c'est son premier pas dans la carriere dramatique. Son style, quoiqu’inégal, n'est point dépourvu de mérite ; on voit qu’il est plein de l'esprit des bons modeles, & il peut espérer des plus heureux succès, sur-tout s il évite des luttes, des comparaisons aussi dangereuses.

(Journal de Paris.)

D’après la base César, la pièce est de M. Richerolle d’Avallon, dont c’est la seule œuvre connue dans la base, qui ne peut connaître son autre tragédie, Ajax furieux écrite dès 1789, mais inédite jusqu'en 1818, et jamais représentée. Elle n’a été jouée que le 7 février 1789.

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