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Astyanax (Dejaure, Kreutzer)

Astyanax, opéra en 3 actes, paroles de feu Dejaure, musique du cit. Kreutzer, 18 germinal an 9 (8 avril 1801.

Théâtre de la République et des Arts

Titre :

Astyanax

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

18 germinal an 9 (8 avril 1801)

Théâtre :

Théâtre de la République et des Arts

Auteur(s) des paroles :

Dejaure

Compositeur(s) :

Kreutzer

Almanach des Muses 1802

Même sujet que celui traité par Racine ; mais puisé principalement dans les Troyennes d'Euripide, et dans la Troade de Sénèque.

Beau second acte ; spectacle pompeux.

Musique un peu bruyante, mais souvent énergique, et qui fait honneur au C. Kreutzer, l'un de nos virtuoses sur le violon.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, s. d. :

Astianax, opéra en trois actes. Paroles de feu Dejaure. Musique de Kreutzer. Représenté pour la première fois, sur le Théâtre de la République et des Arts, le 22 Germinal an 9.

Courrier des spectacles, n° 1505 du 23 germinal an 9 [13 avril 1801], p. 2 :

[Premier compte rendu du nouvel opéra : le critique insiste surtout sur e déséquilibre entre la musique, dont il fait les plus grands éloges, et le poème, jugé sévèrement, et dont il ne donne pas le nom de l'auteur, sans doute pas demandé à la fin de la représentation, quand le compositeur a été unanimement applaudi.]

Théâtre de la République et des Arts.

L’opéra d'Astianax, donné hier pour la première fois sur ce théâtre, a eu beaucoup de succès, grâce aux charmes d’une musique remplie de beautés réelles. Quand au poëme , il offre deux grands défauts  ; nous n’en distinguerons que deux ; un plan mal conduit, un dénuement presque continuel d’intérêt. On pourroit ajouter, tous les rôles sacrifiés à celui seul d’Andromaque. Il est encore étonnant que le musicien, aussi peu électrisé par le thème sur lequel il avoit à travailler, ait produit autant d’excellentes choses ; du reste , il est facile de voir qu’il n’avoit besoin, pour être parfait, que d’être secondé par l’auteur. Le premier acte d’Astiauax est presqu’entièrement une exposition qui réunit la clarté à l’intérêt, et toute la composition de cet acte est belle, large, soutenue, caractérisée ; l’action se développe avec difficulté au second acte, et alors les bons effets de musique ne sont plus qu’en rapport avec ceux indiqués par le poëme. Le troisième acte est plus foible, et souvent le compositeur a caché, par sa verve, l’inertie de celle du poëme. Kreutzer a fait plus qu’on ne pouvoit raisonnablement s’y attendre ; car, encore une fois, il a su animer en quelque sorte une statue ; sa composition décèle souvent du génie, et se soutient d’ailleurs jusqu’au dernier moment. Nous en indiquerons au prochain numéro les parties les plus remarquables, et nous entrerons dans les principaux détails du poëme : nous parlerons aussi des décorations, sur-tout de celle du troisième acte, l’une des plus étonnantes qu’on ait jamais vues à ce théâtre.

L’auteur de la musique a été vivement demandé après la représentation, et bientôt amené par le cit. Laisné, qui avoit rempli avec une grande intelligence le rôle de Pyrrus, il est venu recevoir des applaudissemens tellement unanimes , qu’ils ont pu faire entendre au citoyen Kreutzer, que dès ce moment la scène lyrique fondoit sur lui un brillant espoir. Des poëmes ! des poëmes ! et nos compositeurs nous donneront [chef] d’œuvre sur chef d’oeuvre.

B * *.          

Courrier des spectacles, n° 1506 du 24 germinal an 9 [14 avril 1801], p. 2-3 :

[Comme promis la veille, le critique revient sur l'opéra nouveau, dont il résume d'abord l'intrigue, qui se situe au moment du départ des Grecs de Troie, avec leurs captives. Ce qui est en jeu, c'est le sort d'Astyanax, qu'Ulysse veut livrer aux Grecs qui souhaitent immoler le « dernier rejetton de Priam ». Le sort d'Astyanax crée un vif conflit entre Ulysse et Pyrrhus, et c'est Pyrrhus qui sauve l'enfant en s'embarquant avec lui et Andromaque pour sa patrie. L'analyse révèle, d'après le critique, les « graves défauts du plan », que rien ne rachète, ni le dialogue, trop froid, ni l'intérêt, trop rare en dehors du rôle d'Andromaque, ni le style « peu poëtique ». Quant au rôle de Cassandre, il est jugé « entièrement étranger au sujet ». A ce livret jugé sévèrement, le critique oppose une musique dont il énumère longuement les qualités. Il donne de nombreux exemples de morceaux remarquables dont il fait un éloge très appuyé. Deux petites réserves seulement, sur l'accompagnement qui « en divers endroits a paru manquer de corps », et « le seul récitatif laisse plus à desirer ». Mais dans les deux cas, il incline à mettre en cause la qualité du livret. De façon remarquable, cet opéra n'a eu besoin des ornemens ordinaires, danse, combats et autres accessoires. Bien sûr, les interprètes ont été à la hauteur de leur réputation. L'orchestre a été parfait, alors même que sa préparation a été perturbée au cours des répétitions. L'article s'achève sur la description des décors, qui semblent eux aussi exceptionnels. Le tombeau d'Achille au premier acte est « d'une excellente composition », avec les ruines de Troie en arrière-plan. Et le dernier décor est d'une illusion parfaite : on y voit la flotte de Pyrrhus qui s'éloigne du rivage, en se balançant sur els flots, au son d'« une musique douce, expressive ».

Article tout à fait remarquable : il me paraît porter sur l'opéra un regard neuf, insistant sur la musique, et regrettant la pauvreté des « poëmes » qu'on propose aux musiciens : c'est sur cette idée que s'achevait l'article de la veille, et le critique l'illustre parfaitement dans cette analyse.

Théâtre de la République et des Arts.]

Opéra d'Astianax.

Le sujet présente l’action suivante : Troye est renversée, on voit ses ruines dans le lointain. Les Grecs assemblés devant le tombeau d’Achille, rendent les derniers hommages à la mémoire de ce héros. Andromaque, veuve d'Hector, Cassandre et Astianax sont les seuls qui survivent à la perte des Princes troyens. Andromaque est captive de Pyrrhus, fils d’Achille. Cassandre doit suivre Agamemnon, et on exige d’Andromaque qu'elle livre Astianax, dernier rejetton de la famille de Priam, et que les Grecs veulent immoler. Andromaque veut envain cacher à Ulysse l’existence de ce fils et faire croire qu’il a péri an milieu des ruines de Troye : cette mère se trahit par son émotion, et il ne lui reste plus qu'à recourir à la générosité de Pyrrhus, qui promet de soustraire Astianax au sort affreux que lui réserve la commune vengeance.

Les promesses du fils d’Achille cependant paroisseut ne pas inspirer beaucoup de confiance à Andromaque, puisqu’elle médite le projet le plus téméraire, et bientôt après l’exécute. Animées et conduites par elles, les Troyennes vont mettre le feu aux tentes des vainqueurs, et Andromaque profite du trouble où cette action a plongé la Grèce pour soustraire son fils à leurs recherches. (Cet incident termine le second acte.)

C’est dans le tombeau même d’Hector qu'Andromaque vient cacher son fils. Ulysse trouve cette veuve en pleurs auprès du monument, et lui annonce que si elle refuse de livrer Astianax, les Grecs vont se venger sur les restes d'Hector, et détruire son tombeau. Le silence d’Andromaque devient effectivement le signal de cet acte d’impiété. Ce mot n’est pas de trop, puisque rien n'est plus opposé aux mœurs religieuses de ces tems. Qui ne sait que la chambre des morts étoit sacrée même pour des peuples ennemis ?

Andromaque, allarmée pour les jours de son fils, le fait sortir du monument et le livre à Ulysse. Astianax est porté jusqu’au sommet d’une tour d’où il va être précipité dans la mer, lorsque Pyrrhus , dont les soldats se sont armés contre ceux-d’Ulysse, arrive, combat, triomphe, arrache cet enfant à la mort et le rend à sa mère. Tous trois s’embarquent pour l’Epire, et flotte des Grecs disparoît peu-à-peu. Cette analyse a pu dénoter les graves défauts du plan, défauts que n’ont pu couvrir un dialogue dénué de chaleur, un intérêt trop rare dans chacun des personnages, celui seul d’Andromaque excepté, enfin un style peu poëtique ; on trouvera peut-être encore que le rôle de Cassandre est entièrement étrangère [sic] au sujet.

La musique a obtenu d'autres suffrages que le poëme ; elle fait espérer que le cit. Kreutzer augmentera le nombre des compositeurs sur lesquels doit compter la scène lyrique pour le soutien de sa gloire. L’ouverture est très-belle, le caractère en est grand, l’harmonie en est claire quoique remplie d’effets savans et de liaisons hardies. Le premier chœur est d’un style parfaitement dramatique : il y a de la vigueur et de l’élévation dans l'air de Pyrrus. Une marche lointaine de ceux qui apportent des prix pour les vainqueurs aux jeux produit une impression délicieuse. Un chœur de Troyennes brille ensuite sur un ton religieux qui pénètre l'ame : la douceur de ce morceau et la pureté de sa mélodie ont excité de vifs applaudissemens ; on retrouve au troisième acte un chœur semblable qui ne laisse d’autre regret que de reposer sur des paroles remplies de sifflantes désagréables. Cette dernière situa tion est précédée d’un chant plaintif mis dans la bouche d’Andromaque : ce chant est d’une beauté supérieure, c’est le triomphe du sentiment. On ne pourroit passer sous silence toute la scène superbe dans laquelle on a peint Cassandre inspirée ; les dernières prédictions sur-tout sont traitées avec tout le feu du génie. Enfin on a remarqué le caractère enchanteur du chœur du départ qui accompagne le dernier effet de théâtre. Ce chœur est d’autant plus beau, que l’auteur paroît avoir pris pour base de sa mélodie les sons générateurs de celle du commencement du Stabat de Pergolèse.

Si l’accompagnement en divers endroits a paru quelque fois manquer de corps, ce n'est que dans les passages où le musicien avoit été le moins electrisé par le poëme, car presque toujours, il réunit la vigueur à la richesse. Le seul récitatif laisse plus à desirer : Est-ce encore la faute du poëme ?

Du reste un opéra qui, sans le secours de la danse , des combats et des autres accessoires, a obtenu un succès aussi complet, n’en fait que plus d’honneur au citoyen Kreutzer.

Mlle Maillard ne cesse d’être applaudie dans le rôle d’Andromaque, le seul important,

Mlle Armand, chargée du rôle de Cassandre, a fait preuve d’habilite [sic] dans le chant et d'intelligence dans la déclamation.

Les citoyens Laisnez et Adrien remplissent avec le talent qu’on leur connoît, l’un le rôle de Pyrrhus, l’autre celui d’Ulysse.

L’orchestre mérite des éloges pour son exécution qu’on a dû admirer d’autant plus que les répétitions n’avoient jamais été complettes. A la dernière notamment, l'ouverture n'avoit point été jouée ; rien s’approche cependant de la précision et de la pureté avec lesquelles elle fut rendue avant-hier.

Les décorations sont d’une grande beauté ; la première représente sur l’un des plans le tombeau d’Achille, et dans le lointain les restes encore majestueux de Troye : cet amas de débris et de ruines est donc excellente composition. Mais il n’y a rien de plus admirable que la décoration du dernier acte : c’est une mer couverte de la flotte des Grecs, qui est rangée sur deux lignes immenses.

Lorsque Pyrrhus vogue avec ses captives, toute cette flotte se balance sur les eaux, et s’éloigne lentement ; une musique douce, expressive, accompagne ce superbe effet ; l’illusion est complette.

B * *.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année, 1801, tome VI, p. 408-411 :

[Compte rendu un peu désordonné, qui s’ouvre néanmoins comme il sied par le résumé de l’intrigue. Puis le critique analyse l’interprétation en analysant très brièvement le personnage joué et en jugeant l’acteur qui l’incarne. Tous ne sont pas félicités. Quant aux personnages, mention négative pour Pyrrhus (pas intéressant), Andromaque (excessive : « une bacchante effrénée ») et Ulysse (« homme froid et méchant », « rôle odieux qui a généralement déplu »). Pour les beautés et les défauts de l’ouvrage, critique sévère de l’acte I (« sans intérêt »), l’incendie de l’acte II est à la fois impressionnant et invraisemblable ; la scène du tombeau est belle, mais empruntée aux sources antiques ; la fin (le départ de la flotte) est très réussie (« illusion la plus complète »). La musique de Kreutzer est valorisée : elle est savante, avec de beaux chœurs et des récitatifs soignés, et « il a évité le grand bruit, défaut si fort à la mode chez nos compositeurs modernes ».]

THÉÂTRE DES ARTS.

Astyanax.

Cet opéra, en trois actes, a été joué avec succès le 18 germinal an 9.

Les Grecs sont prêts à s'embarquer. Ils font des sacrifices au tombeau d'Achille, sur les ruines de Troie, qui vient enfin de tomber sous leurs efforts, après dix ans d'une cruelle guerre.

Andromaque et Cassandre viennent avec les captives troyennes implorer la clémence de leurs vainqueurs, et leur demander en grâce de n'être point séparées. Ulysse leur répond que le Destin en a ordonné autrement , et que Pyrrhus doit emmener Andromaque dans l'Epire, tandis que Cassandre, esclave d'Agamemnon, suivra ses pas à Argos. Cette dernière, inspirée par l'esprit prophétique, prédit aux Grecs les malheurs qui les attendent dans leur patrie. Les adieux d'Andromaque et de Cassandre, les regrets des captives troyennes terminent le premier acte.

Les Grecs craignant qu'Astyanax ne venge- un jour la mort de son père Hector, veulent l'immoler avant de partir. Andromaque tremble pour les jours de son fils ; Pyrrhus, épris de la mère, cherche aussi à le sauver. Andromaque essaye un moyen que lui inspire sa fureur, et, suivie des femmes troyennes, elle embrase avec des torches le camp des Grecs, qui devient en un instant la proie des flammes.

Andromaque a profité du désordre, et, enlevant son fils du milieu du camp, elle vient le cacher dans le tombeau d'Hector. Ulysse ordonne à ses soldats de briser ce tombeau, et Andromaque, craignant que son fils ne périsse sous ses ruines, le prend dans ses bras, et s'écrie, en le montrant :

Ulysse, voilà donc l'effroi de vos héros !

Parvenu, par cette ruse, à découvrir le fils d'Hector, Ulysse ordonne à un soldat de le précipiter dans la mer. Pyrrhus arrive, s'élance sur le rocher, tue le soldat, rapporte le fils à sa mère, et, après l'avoir conduite sur son vaisseau, s'embarque avec tous les Grecs.

L'amour de Pyrrhus pour Andromaque est peu intéressant, et jette du froid et des longueurs dans la pièce. Le C. Lainez étoit chargé de ce rôle. Andromaque n'est pas une femme noble, sensible et douce, comme celle que nous peint Racine ; c'est une furieuse dont rien n'arrête l'audace ; ce qui diminue beaucoup l'intérêt que doit naturellement inspirer une mère qui veut sauver son fils; l'amour maternel peut bien lui donner un courage surnaturel, mais non pas en faire une bacchante effrénée, que rien n'effraye, et qui va elle-même porter la flamme dans le camp des Grecs.

La taille de M.me Maillard et son jeu forcé ont contribué à dénaturer un rôle où il falloit de la fierté sans emportement.

Ulysse est un hommes froid et méchant : ce rôle odieux, qui a généralement déplu, a été rendu avec vérité par le C. Hadrien, dont l'organe se prêtoit au caractère que l'auteur lui a donné. Cassandre n'est presque rien dans cette pièce. La musique a gâté l'instant où elle prophétise les malheurs des Grecs. Il n'appartient qu'à la déclamation de faire sentir les beautés de cette situation. M.lle Armand n'étoit point déplacée dans ce rôle.

Passons aux beautés et aux défauts de l'ouvrage.

Le premier acte est sans intérêt. C'est le meilleur pour la musique, à laquelle prêtoient beaucoup les adieux de Cassandre et d'Andromaque, et les gémissemens des Troyennes.

L'incendie, au second acte, produit un bel effet. Mais rien n'est plus invraisemblable ; car les soldats laissent faire tranquillement les femmes qui viennent embraser leur camp, et passent ensuite près d'elles sans leur faire le moindre mal.

L'instant où Andromaque découvre son fils prêt à périr dans le tombeau, est superbe, mais dû à Sénèque le tragique. Cette scène est copiée toute entière dans sa Troade imitée par Chateaubrun. Le reste est imité des Troyennes d'Euripide.

Le tableau de la fin, où la flotte des Grecs met à la voile, et où les navires traversent le théâtre sur trois rangs, produit l'illusion la plus complète, et a excité le plus vif enthousiasme.

Les paroles de cet opéra sont de feu Dejaure. La musique est du C. Kreutzer. Elle est savante : les chœurs sont beaux et réguliers : le récitatif est la partie la plus soignée. En général, il a évité le grand bruit, défaut si fort à la mode chez nos compositeurs modernes. La musique de cet opéra fait honneur à son talent.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome IX, prairial an IX [juin 1801], p. 177-183 :

[Sur un sujet déjà traité, le critique annonce une pièce dans laquelle l’auteur « a su accommoder la fable à son sujet ». Il entreprend ensuite une analyse scrupuleuse, aussi favorable que possible, mais dont il pense que l’effet essentiel et de montrer les défauts de la pièce. C’est d’abord le caractère d’Andromaque, que la pièce montre « furieuse, exaltée, la torche des Bacchantes à la main », bien loin de l’image que la tradition nous donne d’elle. C’est aussi le caractère de Pyrrhus, dont l’indécision rend le personnage sans intérêt. Cette critique des caractères des personnages s’étend pareillement à Cassandre et à Ulysse. Surtout, la pièce a l’inconvénient majeur « d'être trop exclusivement dans le genre sérieux », d’être plus une tragédie qu’un opéra. Le style est jugé pur et correct, mais « sans élévation ». Le critique lui reproche des emprunts nombreux, mais aussi des vers qui ont fait gronder le public. Les paragraphes consacrés à la musique sont à la gloire de Kreutzer, à l’exception d’un morceau, d’une insurmontable difficulté. Décoration remarquée (dont une scène d’incendie), interprètes inégaux.]

THÉATRE DES ARTS.

Astyanax, opéra en trois actes.

Plusieurs ouvrages anciens & modernes ont fourni le sujet, & les situations principales de cet œuvre posthume du citoyen Dejaure, déjà connu par divers succès sur d'autres théâtres. Voici de quelle manière, suivant l'expression, citée par Racine, il a su accommoder la fable à son sujet.

Troye a succombé : ses héros ne sont plus, ses murs sont détruits, les filles de Priam & leurs compagnes sont captives. Les mânes d'Achille ont demandé la mort de Polixène, & le sang de cette fille d'Hécube vient de couler sur le tombeau du plus vaillant des Grecs ; le fils d'Achille, Pyrrhus, a présidé à cet affreux sacrifice. Le sort dispose des autres captives ; Cassandre doit suivre Agamemnon dans Argos, . la veuve d’Hector doit être le partage du roi d'Epire.

Prêtresse d'Apollon, inspirée par ce dieu, c'est en vain que Cassandre animée de l'eprit prophétique semble lire dans le livre des destinées, & prédisant à ses vainqueurs le sort qui les attend , menace Agamemnon du poignard de Clytemnestre, & le roi d'Ithaque d'une fin non moins cruelle ; il est dans la destinée de cette infortunée d'annoncer des malheurs inévitables. Les Grecs répondent à ces effrayantes menaces par des imprécations & des cris de rage ; ils vouent à la mort le dernier rejetton du sang troyen.

Ce dernier espoir d’Ilion, objet de terreur pour la Grèce victorieuse, c'est un enfant, c'est Astyanax que le nom de son père rend déjà redoutable, dont Ulysse, organe des rois grecs, demande le trépas, & que sa mère soustrait à tous les yeux ; en vain déclare-t-elle à l'artificieux Ulisse que cet enfant n'est plus : un adroit stratagême alarme son amour maternel ; Andromaque se trahit, & Ulysse apprend qu'Astyanax respire : Pyrrhus, dans ce danger pressant, est le seul auquel Andromaque puisse avoir recours, & la veuve d'Hector, suppliante & désolée, tombe aux pieds du fils d'Achille. Pyrrhus, paroissant céder à sa passion naissante pour Andromaque, lui promet le salut de son fils : à peine a-t-il porté ses pas vers le conseil des rois grecs, que des cris de mort s'élèvent ; les soldats furieux demandent Astyanax ; Andromaque écoute une inspiration soudaine, qu'elle croit devoir à Hector lui-même ; furieuse & suivie des captives troyennes, elle porte une flamme rapide au milieu du camp des Grecs ; &, profitant du trouble qui s'empare des soldats, elle arrache Astyanax à sa dangereuse retraite, & le confiant à l'ombre de son époux,. elle fait descendre son fils dans le fond du tombeau d'Hector.

Ulysse cependant a marché sur ses pas, & annonce que la Grèce inquiète, au défaut du fils que l'on a soustrait à sa poursuite, veut effacer jusqu'à la trace du monument sacré élevé à la gloire du père. Au signal d'Ulysse le tombeau s'ébranle sous mille coups de hache ; Andromaque frémit, & pour arracher son fils à une mort affreuse, elle court, appelle Astyanax, qui sort tremblant & foible de la voute sépulchrale :

Ulysse ! dit sa mère,

.   .   . voilà donc l'effroi de vos héros.   .   .

Les larmes & les prières d'une mère éperdue, deviennent bientôt son unique éloquence ; Ulysse demeure inflexible, & ordonne qu'à l'instant Astyanax soit précipité du haut d'un rocher…. Un bruit de guerre se fait entendre, c'est Pyrrhus, qui ayant trouvé les Grecs inexorables, vient remplir sa promesse & sauver Astyanax, les armes à la main. Ses soldats se précipitant sur ses traces, mettent en fuite ceux d'Ulysse : Astyanax est sauvé du trépas. Andromaque & ses compagnes suivent Pyrrhus en Epire.

Cette analyse est d'une exactitude rigoureuse ; & quoique disposée de manière à présenter le plan d'Astyanax sous le jour le plus favorable, il nous semble qu'elle peut suffire pour indiquer les défauts essentiels de cet ouvrage, c'est-à-dire, le caractère donné à Andromaque, & la conduite invraisemblable que l'auteur lui fait tenir.

On nous la représente furieuse, exaltée, la torche des Bacchantes à la main, suivant comme en un jour de triomphe le nouveau maître qui lui est donné, sans paroître redouter quel prix il va bientôt mettre à ses services : est-ce là cette Andromaque noble, fidelle, veuve digne d'Hector, peinte par Virgile & Racine sous des couleurs dignes d'elle ? est - ce là cette Andromaque s'écriant douloureusement :

O felix ! una ante alias Priameia virgo,
.     .     .     .     .     .     .     .     .
Jussa mori, quæ sortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile.

L'indécision du rôle de Pyrrhus est aussi l'un des défauts principaux du poëme : on ne sait pas assez quel motif anime ce prince : aime-t-il Andromaque ? sert - il son amour ou sa vengeance ? obéit-il au cri de l'humanité ? Il est difficile de s'intéresser à un personnage dont la conduite est aussi peu clairement motivée.

Cassandre, si éminemment tragique dans l'Agamemnon de Louis Lemercier, est ici un personnage inutile & purement épisodique, occupant une scène du premier acte, & ne reparoissant plus dans les deux derniers ; quant à Ulysse, ce chef éloquent, prudent & artificieux, est-il reconnoissable sous les traits d'un barbare qui ne parle que pour prononcer froidement des arrêts ? La seule scène intéressante & vraiment belle dans l'ouvrage, est celle d'Astyanax sortant du tombeau. Les autres sont languissantes, inanimées, ou livrées aux effets d'une pantomime dont la disposition laisse beaucoup à désirer.

Astyanax a sur-tout le défaut d'être trop exclusivement dans le genre sérieux. C'est moins un opéra qu'une tragédie : l'auteur s'est interdit tout accessoire agréable, tout ornement, de peur qu'il ne parût étranger. Il en résulte qu'il y a peu d'opposition & de nuances dans le tableau : que les mêmes motifs se sont plus d'une fois présentés au musicien, & qu'il n'en a pu dissimuler la répétition, en disposant habilement quelques contrastes peu extraordinaires ; dans cet opéra, la danse est entièrement sacrifiée au chant, & le chant lui-même est souvent sacrifié à l'extrême sévérité du sujet.

Le style ne manque ni de pureté ni de correction ; mais il est sans élévation, & les tours en sont peu lyriques. L'auteur ne s'est fait aucun scrupule d'emprunter des pensées, des vers ou des hémistiches connus : il a cru que les chefs-d'œuvre tragiques étoient une mine féconde où l'opéra pouvoit librement puiser. Toutefois plusieurs de ceux des vers qui lui appartiennent, ont excité des murmures & nécessitent quelques suppressions : on les a spécialement remarqués dans le rôle d'Ulysse.

Kreutzer, l'un de nos premiers violons, est l'auteur de la musique d'Astyanax.. Cette composition ne peut que lui faire honneur ; elle prouve sans doute une étude approfondie de son art, & sur-tout de l'école de Gluck. Elle décèle de la facilité, un talent original, de la verve & de la vigueur.

On a particulièrement remarqué le premier duo entre Cassandre & Andromaque, d'une expression dramatique & d'un beau caractère ; le chœur qui suit ce duo est d'une mélodie touchante : il eût fallu être monté sur le trépied sacré pour rendre dignement les imprécations prophétiques de Cassandre ; ici le compositeur n'a point triomphé de la difficulté : il a été plus heureux dans le chœur qui termine le premier acte, & sur-tout dans l'air d'Andromaque :

Dieux ! à qui recourir dans ces affreux momens !

Dans ce morceau, sans contredit le plus beau de l'ouvrage, le compositeur avoit à peindre l'incertitude, la frayeur, la tendresse d'une mère. Il a su prêter à ces divers sentimens l'accent & le langage qui leur étoient propres. Le dernier chœur, à double motif, eût été aussi remarqué, si l'attention ne se portoit alors toute entière sur un effet de décoration tout nouveau. Nous voulons parler de celui qui offre à la vue les deux lignes de la flotte grecque s'ébranlant après le signal de l'embarquement. Les autres décorations, sur-tout celle représentant l'incendie du camp des Grecs, sont aussi d'un effet admirable ; il semble qu'il soit impossible de porter l'illusion à un plus haut degré.

L'exécution de cet opéra est confiée aux premiers sujets : mademoiselle Maillard remplit très bien le rôle d'Andromaque ; mademoiselle Armand, récemment attachée à l'opéra, déploie dans le rôle de Cassandre des moyens très beaux, mais encore insuffisans. Les autres rôles sont très-bien distribués : tous les accessoires sont établis avec un soin digne du Théâtre des Arts.

Année théâtrale, almanach pour l'an X (1801), p. 169-175 :

On a donné, le 22 germinal, un œuvre posthume de Dejaure, auteur du Souper de Famille, de l'Incertitude maternelle et de Lodoïska. Le titre de cet ouvrage était Astyanax : l'auteur avait choisi pour sujet le moment de la vie d'Andromaque, qui suit la chûte d'Illion, et commence sa captivité : la veuve d'Hector doit suivre Pyrrhus en Epire. Mais un dernier espoir reste à Troie, dans le rejetton du sang d'Hector, dans le jeune Astyanax que le nom de son père rend déjà redoutable. Ulysse, au nom des rois qui s'étaient ligués contre Troye, demande la tête de cette innocente victime. Sa mère n'a d'autre appui que son vainqueur, devenu son maître ; elle implore le fils d'Achille, qui cédant aux mouvemens d'une passion naissante, promet à Andromaque le salut d'Astyanax. Pyrrhus va se présenter au conseil des Grecs ; mais Andromarque [sic], cédant à une terreur qu'elle ne peut vaincre et effrayée surtout par les cris des Grecs qui demandent son fils, court à la tête des captives troyennes, répandre la flamme dans le camp argien : à la faveur du désordre elle enlève son fils, et le soustrait à tous les yeux : en le cachant, au fond du tombeau de son père, elle le confie à la garde de l'ombre de son époux. Cependant le prudent Ulysse a vu sa proie s'échapper ; il a volé sur les pas d'Andromaque. A son ordre la hache est levée sur le tombeau d'Hector : les jours d'Astyanax sont en péril ; Andromaque frémit, et pour arracher son fils à une mort affreuse, elle l'appelle elle-même, et le fait sortir de la voûte sépulchrale. L'inflexible Ulysse résiste aux larmes de la mère, aux touchantes et naïves prières de l'enfant ; il ordonne qu'Astyanax soit précipité du haut d'un rocher..... A l'instant un bruit se fait entendre : c'est Pyrrhus qui, ayant vainement supplié les Grecs, vient remplir sa promesse, et sauver Astyanax, les armes à la main. Andromaque et son fils, suivent en Epire le vainqueur auquel ils doivent leur salut.

On voit, par cette analyse rapide, que dans Astyanax l'action est simple, naturelle, et même intéressante : elle le serait davantage, si l'auteur n'eût dénaturé le caractère d'Andromaque, et ne nous l'eût présenté sous des traits bien différens de ceux que l'antique tradition a conservés : le caractère de Pyrrhus a un autre défaut, c'est celui de l'indécision ; on connaît trop peu le motif qui le fait agir : si c'est sa passion naissante pour Andromaque, elle est trop peu développée, trop peu connue; elle ne peut intéresser.

L'auteur a introduit, dans cet opéra, un personnage épisodique, celui de Cassandre, cette fille de Priam, prêtresse d'Appollon, habituée à voir toutes ses prédictions réalisées, et à ne trouver que des incrédules. Elle occupe une scène du premier acte, et ne reparaît pas dans les autres ; son inutilité est frappante.

Quant au rôle d'Ulysse, on a été généralement choqué de le voir transformé en un chef de Sbirres, inquisiteur barbare, farouche exécuteur des ordres sanguinaires des Grecs : on a cependant remarqué une scène d'un effet touchant, et vraiment dramatique, c'est celle dans laquelle Astyanax sort du tombeau.

Ulysse, dit sa mère,

                  Voilà donc l'effroi de vos héros,
Voilà donc la terreur de vos mille vaisseaux.

En admettant que le second vers n'est qu'un froid pléonasme, on ne peut s'empêcher de reconnaître que le premier est beau d'effet et de situation.

Le style de cet opéra est généralement pur et correct ; mais il est sans élévation, et les tours n'en appartiennent pas toujours à la poésie lyrique. Nous ne blâmons pas l'auteur d'avoir emprunté des hémistiches, des vers même très-connus ; c'est un privilège que les auteurs tragiques ne sont pas fâchés de laisser prendre aux faiseurs d'opéra : Ces larcins servent à marquer de quel côté était la richesse : le propriétaire est toujours reconnu.

Le virtuose Kreutzer, actuellement premier violon, chef d'orchestre de l'Opéra, et compositeur distingué, est l'auteur de la musique d'Astyanax. Déjà on avait reconnu à ce musicien, dans des compositions d'un ordre inférieur, de la facilité, de la verve, de la vigueur, un talent original : il n'a point démenti l'idée que l'on avait conçu de ses moyens. En un mot, Astyanax est un bel ouvrage. Le récitatif a de la vérité et de l'énergie ; le chant, des motifs heureux ; l'orchestre, des traits forts d'harmonie. Le premier duo entre Cassandre et Andromaque, a paru surtout d'une expression dramatique et d'un grand caractère ; le chœur qui suit ce duo, est mélodieux. Quant aux imprécations prophétiques de Cassandre, le compositeur ne nous semble y avoir produit que des effets bruyans. L'inspiration manque : et c'est une prêtresse échauffée du soufle divin d'Apollon, dont il fallait reproduire les accens ! la tâche était assurément difficile, Gluck seul l'aurait peut-être trouvée proportionnée à son génie. L'air d'Andromaque. Dieux, à qui recourir dans ces affreux moments ? devait réunir tous les suffrages, et il a en effet paru le plus beau de l'ouvrage. Le compositeur y a successivement peint avec une grande yérité, et une rare chaleur, l'incertitude, la frayeur, la tendresse d'une mère tremblante pour les jours de son fils. Dans le dernier chœur, on remarque que le compositeur suit en même temps deux motifs : cet effet n'est pas absolument neuf ; Lesueur en a donné l'exemple dans Télémaque ; Kreutzer l'a imité avec beaucoup d'art et de talent.

 Le départ de la flotte grecque, quittant les rivages troyens, offre un très-beau spectacle. On a trouvé les autres décorations également belles, sur-tout celle qui représente l'embrasement du camp des grecs.

Cet opéra est l'un de ceux à l'exécution desquels on ait pu le plus justement applaudir ; les premiers sujets du chant, et notamment Mlles. Maillard et Armand, y étaient très-bien placées. Il a joui d'un succès soutenu, et doit demeurer au répertoire.

 

Carrière à l'Opéra :

13 représentations en 1801 (12/04 – 19/12).

9 représentations en 1802 (30/01 – 05/12).

7 représentations en 1803 (07/01 – 23/12).

2 représentations en 1804 (15/05 – 19/08).

1 représentation en 1805 (27/08)

4 représentations en 1806 (16/03 – 07/12).

5 représentations en 1807 (15/03 – 04/10).

1 représentation en 1808 (07/08).

1 représentation en 1809 (14/05).

41 représentations de 1801 à 1809.

Chronopéra ajoute 2 représentations en 1816.

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