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L'Abbé Pellegrin, ou la Manufacture des vers

L'Abbé Pellegrin, ou la Manufacture des vers, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, de Tournay et Audras. 11 thermidor an 9 [30 juillet 1801] au Théâtre du Vaudeville.

Théâtre du Vaudeville.

La pièce est annoncée pour le 9 thermidor dans le Courrier des spectacles du 7 thermidor an 9 [26 juillet 1801], mais c'est le 11 thermidor [30 juillet] que la première a lieu.

Almanach des Muses 1802.

Courrier des spectacles, n° 1614 du 12 thermidor an 9 [31 juillet 1801], p. 3 :

[Compte rendu largement favorable, qui souligne les qualités de la pièce, gaîté, « jolis couplets » (deux sont cités), interprétation avec « beaucoup d'ensemble » (et ce n'est certes pas toujours le cas). Le critique souligne certes que le fonds ne produit pas un « grand intérêt », mais la pièce plaît par les détails. Le résumé qu'il fait de l'intrigue montre qu'elle est conforme aux intrigues de ce genre de pièce et ne ménage guère de surprises (un abbé, une nièce et son amant, une actrice : la nièce épouse l'amant, et l'actrice arrange les affaire sde l'abbé). Et il regrette surtout que le dénouement soit à la fois trop prévisible, et trop trop annoncé. Les auteurs sont nommés (Audras serait en Égypte), et les acteurs ont bien tenu leur emploi.]

Théâtre du Vaudeville.

Après le Chantre du Lutrin,
Après Favart, après Molière,
L’humble et modeste Pellegrin
Peut il espérer de vous plaire ?
Ses écrits n’ont pas jusqu’à nous
Sçu prolonger son existence :
Mais moins il est connu de vous,
Plus il a besoin d'indulgence.

C’est par ce couplet sans prétention que s’annonçoit l’Abbé Pellegrin, et Je parterre lui fit l’accueil le plus favorable. En effet, il s’est présente de si bonne grace, que c’étoit une justice de le bien recevoir ; de la gaité, de jolis couplets, et sur-tout beaucoup d'ensemble dans le jeu des acteurs, tout a contribué au succès qu’il obtint hier.

L'Abbé Pellegrin, afin de soulager sa famille dans l’indigence, a ouvert une boutique où il fait débiter des vers à tous ceux qui veulent en acheter, et le produit en est consacré à la bienfaisance. Sur le point de marier sa nièce Adèle au jeune Armand, il avoue à celui-ci qu’il sort de chez le Ministre, et qu’il est porté sur la liste des bénéfices. Armand qui ne s'en rapporte pas facilement aux promesses des gens de cour, va trouver Mademoiselle Dangeville qui s’est chargée d’un rôle dans une pièce nouvelle de l’Abbé. Pellegrin, et l’engage à faire donner une pension à l'auteur des deux ouvrages qui ont seuls concouru à l’Académie Française, et dont un a obtenu le prix.

Sa démarche n’est pas infructueuse, et au moment où on vient intimer à l'Abbé l’ordre de quitter ou l’autel, ou le théâtre, mademoiselle Dangeville lui apporte le brevet d'une pension qui le dédommage de la perte du bénéfice qu’il attendoit. Sa nièce, dont la jalousie a produit quelques brouilleries entr’elle et son amant et Mlle Dangeville, finit par épouser Armand.

Tel est le fonds de ce joli vaudeville. Il n’y a pas grand intérêt, mais les détails plaisent. Le dénouement est trop prévu ; le quiproquo des lettres adressées au cardinal au lieu de Mlle Dangeville, est annoncé trop tôt ; dès-lors la surprise est moins piquante.

Voici un couplet qui a généralement fait plaisir. Quelqu’un est venu demander une satyre à l’abbé Pellegrin, il répond :

Air : du Parlement.

A tracer de lâches écrits
Je n’avilirai point ma plume.
Assez d'autres ont dans Paris
Vendu le fiel et l’amertume.
Mais si j’éprouvois à mon tour
Le besoin affreux de médire,
Contre les satyres du jour
Je voudrois faire une satyre.

Les auteurs vivement demandés sont les citoyens Tournai et Audras. Le dernier est en Egypte.

Mesdames Henri et Dorsan, et les citoyens Vertpré, Carpentier, Hippolite et Lenoble n’ont rien laissé à desirer, chacun dans leur emploi.

F. J. B. P. G***.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an 9, 4ème trimestre, n° 32, du 20 Thermidor, p. 310-311 :

[L'article est soucieux d'érudition. Craignant sans doute que l'abbé Pellegrin ne soit plus trop connu des lecteurs, il prend grand soin de pallier aux manques de leur mémoire. Le résumé de l'intrigue est bien moins réussi que celui du Courrier des spectacles cité ci-dessus. Le jugement porté sur la pièce est bienveillant : si le sujet paraît un peu mince au critique, la réalisation en est plutôt habile et la pièce est faite pour rester au répertoire du théâtre du Vaudeville.]

Théâtre du Vaudeville.

L'abbé Pellegrin.

L'abbé Pellegrin n'est plus guères connu que par l'honneur d'avoir ouvert la carrière au célèbre Rameau, auquel il voulut confier un Ouvrage ; et par ces deux vers de Voltaire :

Le matin catholique et le soir idolâtre,
Il dînait de l'autel et soupait du théâtre.

Cependant l'abbé Pellegrin avait obtenu quelques succès littéraires, et eut, comme Laharpe, de notre tems, l'honneur de remporter à la fois le même jour le prix et l'accessit de l'Académie française. Il réussit au théâtre dans les trois genres de la tragédie, de la comédie, et de l'opéra. Pélopée , le Nouveau Monde et Jephté, attirèrent aux trois spectacles une assez grande affluence. Il traduisit en vers la majeure partie des odes d'Horace ; il fit des cantiques spirituels pour Saint-Cyr, enfin il était renommé pour tenir boutique ouverte de petits vers, et de madrigaux, d'inscriptions, d'épigrammes, de rondeaux et de triolets. Il est aujourd'hui quelques personnes qui dédaignent peut-être l'abbé Pellegrin, et qui n'ont pas autant de titres que lui pour espérer de passer à une longue postérité. N'oublions pas que Pellegrin, déjà presque oublié, n'est mort qu'en 1745, c'est-à-dire, il y a tout au plus soixante ans, et craignons de croire légèrement aux réputations.

L'abbé Pellegrin paraissait, dans sa médiocre obscurité, peu fait pour figurer dans cette galerie que le Vaudeville a décorée des portraits de tant d'hommes vraiment célèbres ; mais l'usage qu'il faisait de son faible talent, en le consacrant à soutenir sa famille ; sa bonhommie bien connue, et l'anecdote plaisante de son interdiction, par le cardinal de Noailles, pour n'avoir pas voulu renoncer au théâtre, paraissaient devoir fournir quelques scènes heureuses, et les CC. Audras et Tournai, s'en sont emparés d'une manière ingénieuse.

Ce sont surtout les deux vers de Voltaire, qui, encadrés avec adresse, font toute la contexture de la pièce.

L'abbé Pellegrin écrit en même-tems au Cardinal pour obtenir un bénéfice, et à la comédienne Dangeville, pour lui recommander sa pièce. Le valet-secrétaire se trompe d'adresse, et le Cardinal reçoit la lettre destinée à la comédienne. Il députe vers l'abbé un bon séminariste bien dévot, qui lui enjoint de renoncer au théâtre, et sur le refus qu'il fait d'abandonner ce qui le fait vivre ainsi que sa famille, il l'interdit de ses fonctions. La comédienne répare, autant qu'il est en son pouvoir, ce nouvel échec à la fortune de l'abbé, en lui faisant obtenir une pension sur le Mercure, ce qui supplée au bénéfice dont il avait besoin.

Ajoutez à ce fonds une nièce de l'abbé, fort dévote, mais amoureuse, et jalouse de mademoiselle Dangeville, qu'elle croit sa rivale, et qui précisément s'adresse, sans la connaître, à cette comédienne, pour obtenir que son oncle renonce au théâtre. Ajoutez encore quelques scènes à tiroir assez plaisantes, fournies naturellement par la manufacture de versiculets que tenait l'abbé Pellegrin, et vous aurez toute la pièce. Le fonds en est léger, il ne pouvait pas être plus nourri ; mais il y a de l'esprit, et beaucoup, à mettre cet abbé entre la dévotion et son talent, à l'avoir entouré d'une nièce dévote et d'un secrétaire étourdi, et d'une comédienne, et à concilier le petit grain de philosophie que comportait l'Ouvrage avec le respect des convenances et celui de la direction actuelle des esprits.

Les couplets sont en général tournés avec facilité et précision, et les scènes ménagées avec adresse ; aussi le succès a-t-il été complet et doit faire présumer que l'Ouvrage enrichira le joli répertoire de ce théâtre.                             I. C.

Nota. Tout le monde ne sait peut-être pas que ce bon abbé Pellegrin, qui avait besoin de vendre ses vers, n'avait consenti à livrer un poëme à Rameau qu'en recevant un billet de celui-ci : mais qu'à la première répétition de son opéra, quand il eut entendu la musique, il déchira le billet en disant qu'il était trop payé par le plaisir de faire connaître & la France un semblable compositeur.

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