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L’Ange tutélaire, ou le Démon femelle
L’Ange tutélaire, ou le Démon femelle, mélodrame en trois actes et à grand spectacle, par Guilbert Pixerécourt, musique d'Alexandre Piccini, ballets de Hullin, 2 juin 1808.
Théâtre de la Gaîté.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez barba, 1810 :
L’Ange tutélaire, ou le Démon femelle, mélodrame en trois actes et à grand spectacle, par R. C. Guilbert Pixerécourt. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaîté, le 2 juin 1808. Musique de M. A. Piccini, attaché à la musique particulière de l’Empereur. Ballets de M. Hullin.
[Le Théâtre choisi de G. de Pixerécourt, tome deuxième, Paris, Nancy, 1841, p. 290-297 offre un large choix de comptes rendus de la pièce, en portant bien entendu un regard favorable sur la pièce. La date indiquée pour chacun des articles (3 juin 1808) n’est pas celle de la publication de l’article, , mais celle de la première représentation. Ainsi, l’article du Journal de l’Empire a paru le 8 juin.]
Journal de l’Empire, 8 juin 1808, p. 3 :
C'est à la salle des Jeunes-Artistes qu'on représente cette nouveauté : hélas ! le berceau des spectacles du Boulevard, la métropole des pantomimes et des féeries, l'ancienne patrie des farces et des mélodrames, a succombé sous l'injure du temps ; ce n'est plus qu'un monceau de ruines. Pendant qu'on élève un nouveau palais plus digne des chefs-d'œuvre de ce genre populaire, les acteurs de la Gaité se sont réfugiés à la salle dite des Jeunes-Artistes : ils ont signalé leur entrée dans cet asile par un mélodrame du grand faiseur, intitulé l'Ange Tutélaire, ou Le Démon Femelle. Ce grand faiseur est M. de Pixerécourt, si connu pour ses prodigieux succès aux théâtres de la porte Saint-Martin et de l'Ambigu-Comique, qui lui ont mérité le titre de prince du mélodrame. Celui-ci est fondé, comme les autres, sur le triomphe de l'innocence arrachée aux persécutions de la méchanceté et de la scélératesse ; il faut que cet intérêt ait été jugé le plus puissant de tous, puisqu'on en a fait la base invariable de tous ces ouvrages, qui n'ont d'autre règle et d'autre mérite que l'intérêt et l'effet théâtral.
Le héros persécuté est Alphonse, duc de Ferrare ; le méchant et le scélérat est le prince Amaldi, frère du duc. Cet homme, dévoré d'ambition et de jalousie, veut détrôner et même assassiner son frère Alphonse, dont il ne reçoit que des témoignages d'une amitié vraiment fraternelle. L'Ange tutélaire, c'est Flora, fille d'une comtesse Salviati, femme intrigante, bannie de la cour, et ne respirant que la vengeance. Cette comtesse mérite bien le nom de Démon femelle ; car, ayant remarqué que le prince Amaldi était amoureux de sa fille, elle ne lui promet sa main qu'à condition qu'il enlèvera le trône et la vie à Alphonse. Flora ne fait semblant de consentir à cet odieux traité, que pour avoir occasion de veiller sur les jours d'Alphonse. Cette Flora, dont le cœur est si généreux, a des inclinations militaires, et elle est exercée au métier des armes. A ne considérer que son intrépidité et la violence de son caractère, on pourrait aussi la regarder comme un démon femelle. C'est un diable quand elle défend le duc contre les brigands et les assassins apostés par son frère ; mais c'est un ange quand elle l'avertit des dangers qui le menacent, et veille à la conservation de ses jours. Le duc, noble et généreux, ne peut se résoudre à soupçonner son frère d'un pareil attentat ; sa confiance le rend difficile à sauver ; mais Flora en vient à bout, aidée du brave Verner, capitaine des gardes du duc, lequel, pour mieux servir son maitre, se déguise en brigand. Ces deux rôles sont très-bien joués, l'un par Melle Bourgeois, l'autre par M. Marty. Il y a aussi un personnage d'assassin, nommé Diabolo, que M. Dumesnil a eu l'art de rendre plaisant.
Ce mélodrame est très-intéressant et d'un grand effet théâtral. Il ne faut pas parler des invraisemblances ; il est convenu qu'elles sont rachetées par l'intérêt. Un des grands charmes de ce spectacle, qui attire la foule depuis quelques jours, c'est un ballet dessiné d'une manière ingénieuse et originale par M. Hullin : ce ballet est une mascarade dont le compositeur a tiré le plus heureux parti pour varier l'expression de ses danses. On a singulièrement goûté une troupe d'enfants des deux sexes déguisés en vieux et en vieilles, et sous ces costumes exécutant des danses antiques. L'exécution est parfaite et beaucoup au-dessus de ce qu'on pouvait attendre de l'intelligence de ces enfants ; ce qui suppose un rare talent dans le maitre. L'entrepreneur n'a rien négligé pour seconder l'auteur, le musicien, le compositeur. Les décorations et les habits sont d'une grande fraicheur, et tout semble garantir qu'il a fait une bonne spéculation pour le plaisir du public et pour son intérêt.
Geoffroy.
Courrier de l'Europe. 3 Juin 1808.
La troupe de la Gaité a fait hier l'ouverture du théâtre des ci-devant Jeunes-Artistes d'une manière très-brillante. On sait que ce n'est que pour quelque temps qu'elle a transporté ses pénates rue de Bondi, et en attendant qu'un temple plus digne du mélodrame s'élève sur les débris de l'antique salle de Nicolet.
On prétend que le nouvel édifice qui va être construit sera exclusivement consacré au mélodrame, et que les féeries n'y paraîtront que rarement. Ce dernier genre a eu une grande vogue il y a quelques années ; mais les pieds et les têtes seraient aujourd'hui un mets peu goûté du public. Le mélodrame vient de signaler sa rentrée dans ses droits par le plus grand succès. L'Ange tutélaire paraît avec éclat à la tête du cortége. C'est un ouvrage qui se distingue par la force des situations, la variété des incidents , et par tout le prestige dont s'entoure le mélodrame. Il y a bien par-ci par-là quelques invraisemblances ; mais quel mélodrame en est exempt ? Du reste, la réussite a été complète ; la force des situations, la beauté des spectacles, la fraicheur des décorations, l'originalité des ballets, tout a concouru au grand succès de cette représentation.
Suit l'analyse :
Les divertissements qui composent la fête du troisième acte, sont une des plus agréables compositions de M. Hullin. On y a surtout applaudi un pas très-original dansé par une foule d'enfants habillés de la manière la plus grotesque. Ce ballet seul suffirait pour piquer la curiosité du public.
Les auteurs sont, pour les paroles, M. de Pixerécourt, et pour la musique, M. Piccini, le même qui a été trois ans chef d'orchestre au théâtre de la porte Saint-Martin.
Les principaux rôles de ce mélodrame sont joués d'une manière distinguée. On a remarqué surtout M. Tautin, ci-devant acteur de l'Ambigu-Comique, et Mlle Bourgeois. Le premier a rempli avec dignité le rôle d'Alphonse, et Mlle Bourgeois s'est montrée digne de toute sa réputation dans le beau rôle de l'Ange tutélaire.
Salgues.
Journal d'Indication. 3 Juin 1808.
L'Ange tutélaire, si longtemps désiré, si longtemps attendu, parut hier pour la première fois sur le Théâtre de la Gaîté (ci-devant Jeunes-Artistes). Cet Ange est une femme : si cette femme est un ange, comment peut-elle être démon ? si elle est démon , elle ne peut être un ange. Voyons comment l'auteur en a fait à la fois un ange et un démon.
A Florence, il y avait deux frères ; l'un gouvernait le duché, l'autre était fatigué de ne pas gouverner : Alphonse était un bon prince, Amaldi un ambitieux, livré à toutes les passions et maîtrisé par un scélérat. Ce frère coupable a résolu de s'emparer du pouvoir et de faire assassiner son frère ; mais le bon ange veille sur les jours d'Alphonse, et ce bon prince ne doit pas succomber.
Or, vous saurez que L'Ange tutélaire ou Démon femelle est une jeune princesse qui aime Alphonse et déteste Amaldi. Sous les habits d'une femme, elle est l'objet des vœux et des hommages de tous ceux qui la connaissent. Lorsqu'elle se travestit, c'est un diable ; elle menace, tonne, frappe, se bat, et fait même peur aux brigands. Dans la nuit, c'est un esprit qui lutine ; pendant le jour, c'est tantôt une bohémienne, une guerrière, un pâtre ou un vieillard. Comme un bon ange, elle ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse ; et comme elle a l'esprit très-romanesque, elle ne fait usage que de grands moyens, et néglige les simples précautions qui la seraient réussir sans danger pour elle et les siens.
Amaldi a conspiré ; l'heure du crime va sonner ; Alphonse doit être assassiné pendant une chasse qui va se donner : l'Ange tutélaire sait tout cela par cœur ; il a lutiné Amaldi, mais inutilement ; il a deux confidents, l'un capitaine de la garde allemande du duc : celui-ci s'arrange avec l'ange ; il fera le brigand, l'ange fera la bohémienne. Le brigand parait tout à coup chez Amaldi ; là il fait un beau sermon, s'empare de la liste des conjurés, et fait sauter par la fenêtre, dans les fossés du château, le pauvre confident. La bohémienne s'empare d'un anneau que venait d'enlever Amaldi au duc de Ferrare. Malgré ces deux enlèvements, le pauvre benêt n'en persiste pas moins dans ses projets : il y avait de quoi épouvanter le plus imprudent ; mais la pièce finissait là avec le mélodrame, et ce n'était pas l'intention de l'auteur.
Au second acte, on est dans la forêt. Amaldi s'y trouve déjà, Alphonse s'y trouvera. Ces deux frères font assaut d'imprudence avec une sincérité et une bonne foi inconcevables. Almadi est au milieu des assassins ; il distribue les rôles, et donne le premier à un certain Diabolo. Le prince Alphonse va se trouver seul et sans armes dans la forêt ; mais l'Ange tutélaire est là : pour réussir, il fait le démon, désarme, épouvante, maitrise ce pauvre Diabolo, lui donne un manteau et le charge d'aller à Ferrare annoncer à Almadi que lui Diabolo a frappé le duc. Diabolo obéit. Alphonse est au rendez-vous de chasse. Deux brigands paraissent. L'Ange tutélaire, aidé du capitaine des gardes allemandes, fait merveille. Les brigands sont tués, et tous les personnages partent pour Florence, et se donnent rendez-vous au bal.
Au troisième acte, Amaldi est au comble de ses vœux. La fête commence : des masques, en dominos noirs, abondent à cette fête. On danse; après le bal, des archers conduisent Diabolo qui annonce la mort du duc. Amaldi ne peut contenir sa joie ; mais il traite Diabolo comme on traite les mannequins dont les puissants se servent pour commettre des forfaits. Le pauvre Diabolo était dans une cruelle position, lorsqu'on vint annoncer à Amaldi que la mort du duc est une fable, qu'Alphonse vit, qu'il est au bal, déguisé en bohémienne, avec une plume rouge sur la tête. C'est l'Ange tutélaire qui a la plume. rouge. Il quitte son domino, et paraît avec tous les charmes de Flora. Amaldi veut le poignarder ; mais aussitôt tous les dominos noirs disparaissent, on n'aperçoit plus que les soldats du duc. Ils fondent sur les assassins, qui sont désarmés et livrés à la justice. Le duc épouse son bon ange.
Il у a dans ce mélodrame nouveau des scènes très-intéressantes, de belles situations, et des effets surprenants; la morale en est excellente. Il sera longtemps vu avec plaisir. Cet ouvrage est monté avec le plus grand soin et avec beaucoup de magnificence. Les costumes sont de la plus grande richesse, et les décors sont dignes de l'opéra. Le ballet, qui occupe une partie du troisième acte, a été applaudi avec enthousiasme. On a surtout remarqué un pas fort plaisant, dansé par des enfants habillés en vieillards du dernier siècle.
L'ouvrage a été joué avec beaucoup d'ensemble. Mlle Bourgeois a très-bien joué le rôle de Flora, qui convient à ses moyens ; M. Tautin, qui pour la première fois paraissait sur ce théâtre, a rempli le rôle du duc de Ferrare avec beaucoup de dignité.
Les auteurs ont été demandés à grands cris. On est venu nommer M. de Pixerécourt pour les paroles, M. Piccini pour la musique, et M. Hullin pour le ballet.
Babié.
Petites Affiches. 3 Juin 1808.
Première représentation de l'Ange tutélaire ou le Démon femelle. Parmi les nombreux auteurs dont la fécondité alimente les théâtres des Boulevards, il n'en est pas un qui ait acquis plus de réputation, et dont les succès aient été plus multipliés, que l'auteur de Tékėli. Tout le monde, et ses rivaux mêmes, se réunissent pour lui accorder la palme dans un genre qui exige beaucoup d'imagination, et surtout une grande habitude de la scène : c'est en cela principalement que consiste le talent de M. de Pixerécourt. Personne jusqu'ici n'a su mieux que lui émouvoir et attacher la multitude par des situations frappantes, des événements rapides et multipliés, et des tableaux tour à tour agréables et imposants. Il excelle surtout dans ces petits détails de scène qui font le plus grand effet ; il les accumule tellement dans chacune de ses pièces, que le spectateur, pour ainsi dire étourdi par cette foule d'incidents plus extraordinaires les uns que les autres, n'a pas le temps de s'apercevoir de leur invraisemblance ; et tout entier aux situations qu'on lui présente et qui l'intéressent, il s'embarrasse très-peu des moyens que l'auteur a employés pour les faire naître. L'Ange tutélaire est donc, comme toutes les autres pièces de M. de Pixerécourt, plein de mouvement et de situations attachantes. Il serait impossible de donner à nos lecteurs une analyse exacte de la pièce ; l'intérêt qu'elle inspire nait d'une infinité de détails que la pantomime et le jeu des acteurs font valoir, et qui ne paraîtraient que froids et bizarres à la lecture.
Suit l'analyse :
Ce mélodrame, comme nous l'avons déjà dit, a obtenu de grands applaudissements à la première représentation ; son succès ne s'est point démenti à la seconde. M. Tautin et Melle Bourgeois y ont sans doute contribué pour beaucoup ; le premier, par sa bonne tenue en scène (car son rôle est peu de chose) ; la seconde, par sa chaleur et la vivacité qu'elle a montrées dans le personnage de Flora ; mais ils ont été bien secondés par leurs nouveaux camarades, principalement par MM. Marty, Lafargue et Dumesnil. En général, la pièce a été jouée avec beaucoup d'ensemble. Les ballets ne peuvent qu'augmenter la réputation déjà connue de M. Hullin ; le divertissement du nouveau mélodrame l'emporte sur tous ceux qu'il a composés jusqu'ici, par sa fraicheur et son originalité.
Ducray-Duminil.
Journal des Arts. 3 Juin 1808.
L'administration qui a quitté momentanément la salle du boulevard du Temple pour les travaux nécessaires à sa reconstruction, vient de signaler son ouverture sur le théâtre ci-devant des Jeunes-Artistes, par un succès brillant et mérité. Le nouveau local, par son étendue, suffira à peine à contenir le nombre de curieux qui afflueront de toutes parts pour voir l’Ange tutélaire, ou le Démon femelle, mélodrame en trois actes. Le théâtre seul est un peu agrandi ; mais cette gêne ne sera que de quelques mois, et le public jouira, aux approches de l'automne, sur l'ancien terrain de Nicolet, d'une nouvelle salle commodément bâtie et élégamment distribuée.
Le sujet de l'Ange tutélaire paraît être d'invention. L'intrigue est fortement conçue, et les détails, ainsi que les situations, sont habilement tracés. L'auteur de ce mélodrame est M. de Pixerécourt, avantageusement connu par plusieurs autres productions.
Dusaulchoy.
Dans la chronologie de ses œuvres figurant dans le tome premier de son Théâtre choisi, paru en 1841, Pixerécourt attribue à sa pièce 269 représentations parisiennes et 228 représentations en province. C'est un beau succès.
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