L'Anti-philosophe, comédie en cinq actes, de Des Roys, an 8 [1800].
Pièce non représentée.
Publiée dans les Œuvres dramatiques de ** [Lyon-François Ds Roys], à Paris, chez les libraires du Palais-Égalité, An 8 [1800]. Elle est placée à la suite du Dernier des Romains.
La pièce est précédée d'une préface.
PRÉFACE.
La Tragédie de Caton ayant essuyé un refus constant au Théâtre (1), non-seulement manuscrite, mais même après son impression, l'Auteur tenta d'en faire une autre qui pût avoir un meilleur succès.
Mais, chose étrange ! ce qui devait lui donner une heureuse confiance dans ses forces, fut précisément ce qui le découragea. Désespéré en reportant les yeux sur son propre ouvrage, il sentait que tout effort était superflu, et ne pouvait pas seulement lui assurer le droit de paraître sur la scène. S'il s'est déterminé à essayer le genre comique, et s'il a entrepris le grand et pénible ouvrage d'une Comédie de caractère, ce fut plutôt par le besoin du travail que par le véhicule tout-puissant de la gloire.
Le caractère qui fait le sujet de cette pièce, paraîtra peut-être outré ; mais cela est nécessaire pour la Comédie. Si elle n'exagère pas, elle est froide ; d'ailleurs elle éloigne d'autant mieux toute allusion, qu'elle présente sous une forme plus extravagante le ridicule auquel elle fait la guerre. Heureuse guerre, qui n'a pour armes que le bon mot et la rime! Heureuse guerre, qui, au lieu des pleurs, n'engendre que les ris ! Aimable tâche que celle de guérir les maladies de l'esprit humain avec le baume de la gaîté !
(1) Que demandais-je aux comédiens ? une lecture de la pièce entière ? Non; mais une lecture du premier acte, de la première scène : si j'avais été entendu, j'étais content ; je leur promettais, dans tous les cas, un ennui très-court, mais ils n'en ont pas voulu courir le danger.
Ce n'est pas que ceux que j'ai vus ne soient infiniment honnêtes et indulgens ; mais ils ont établi pour suisse de leur salle d'audience, un comité secret et invisible, qui rend les réponses les plus rébarbatives.
« Ce n'est pas là le style de la tragédie.
« Ce ne sont pas là des vers héroïques.
« Cette intrigue est indigne d'un pareil sujet »
En se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris, ces arbitres suprêmes de nos destinées, ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la fortune littéraire est déja faite, et par conséquent l'ardeur réfroidie. Or, ce n'est que la concurrence qui peut amener de bonnes denrées dans nos ports, et de bonnes pièces sur nos théâtres ; le privilège exclusif est nuisible en tout genre, il produit relâchement dans les uns, et découragement dans les autres.
Si donc votre art vous est cher, ô Comédiens ! ne vous en reposez pas sur des gens qui peuvent avoir leurs passions et leurs préjugés, et qui, à l'abri de l'incognito qu'ils gardent, ne répondent pas de leurs jugemens au public ; ne dédaignez pas d'exercer vous-mêmes la plus belle prérogative de votre couronne, soyez dignes du nom de gens de lettres que vous ambitionnez, et enfin par le motif de votre propre intérêt, examinez les ouvrages qu'on vous offre, quelque obscure que soit la main dont ils partent.
Si vous aviez voulu entendre ce premier acte de Caton, que dis-je, si depuis quinze mois que ma pièce est imprimée et remise dans vos mains, vous aviez daigné l'ouvrir, vous ne l'auriez pas laissée au rebut, où l'envie s'est hâté de la mettre. Je sais qu'elle y peut demeurer encore long-tems, ainsi que la Comédie que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui ; mais ce sera à votre honte et non pas à la mienne.
Après le quatrième acte d'une comédie annoncée en cinq actes, le lecteur a la surprise de trouver une sorte de postface, qui justifie l'absence du cinquième acte (p. 194-196).
ABSENCE DU CINQUIÈME ACTE.
Cet Acte n'est pas le plus mauvais; mais nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a qu'à l'appeler sur la scène (1); mais nous sommes bien loin d'espérer de sa part un témoignage aussi flatteur.
Notre ouvrage a un grand défaut, c'est d'avoir du bon sens (2). Ce public ne veut plus voir et lire que des choses insignifiantes ; il craint de rencontrer sur son chemin l'ombre de la raison ; on lui en a inspiré une frayeur mortelle. L'esprit humain s'est évertué à forger des armes contre lui-même ; la raison s'est combattue de sa propre épée, et furieuse on l'a vu s'efforcer de s'ôter l'existence.
Cette raison a pu nous égarer sans doute, elle a pu nous conduire dans le précipice ; mais quoi ! l'astre qui nous éclaire n'éblouit-il pas quelquefois nos yeux ? ses rayons qui pompent la rosée bénigne n'élèvent -ils pas les terribles élémens de la tempête ?
Pour éviter la foudre, faut-il appeler le cahos ?
(1) La représentation est aussi nécessaire à une pièce de théâtre que le jour l'est à un tableau. Les Comédiens sont (sauf l'indécence de la comparaison) d'habiles cuisiniers qui savent nous faire trouver bons des mets qui nous sembleraient souvent insipides sans le secours de leur art. Avec ce secours des productions de la plus chétive qualité s'avalent et se digèrent; mais sans lui les meilleures n'ont d'attraits pour personne. Les Comédiens donc se tiennent bien sûrs qu'un auteur ne peut rien sans eux, et rient de bon cœur quand il les menace d'imprimer et d'en appeler au public.
Il serait pourtant bon qu'ils en eussent une fois le démenti pour leur propre bien ; car tant qu'ils n'exempteront pas le littérateur modeste des sollicitations ruineuses et fastidieuses auxquelles il est assujetti, la for tune et la protection envahiront leur théâtre, et en écarteront l'homme qui n'a pour lui que lui-même, l'élève de la nécessité, le plus capable des efforts surnaturels qu'exige la composition dramatique.
(2) Le bon sens est le premier principe de la philosophie, et la sagesse est son essence. S'il y a au monde des opinions insensées et pernicieuses, la philosophie les rejette; c'est une source de vie dans laquelle on a pu jeter quelques poisons, mais qui se purifie bientôt par sa propre vertu.
On veut nous ôter la philosophie, et jamais nous n'en eûmes un plus grand besoin ; c'est vouloir nous enlever le seul bien qui nous reste, le seul remède à nos maux, ou, du moins, le seul moyen de les adoucir.
C'est la philosophie qui rapproche les esprits divisés, c'est elle qui fait entendre sa voix conciliatrice jusqu'aux oreilles de ses propres adversaires ; c'est elle qui met un terme à ces querelles intérieures, à ces persécutions domestiques, qui ne font qu'exalter l'opiniâtreté humaine, source abondante de chagrins réciproques.
C'est la philosophie qui nous fait rentrer en nous-mêmes, qui modère les plus extravagans, qui police les plus forcenés, qui humanise les plus arrogans.
C'est la philosophie enfin qui nous préserve de cette fâcheuse misantropie où l'expérience que nous avons faite de la méchanceté humaine n'est que trop capable de nous jeter. C'est elle qui nous fait voir les hommes tels qu'ils sont, qui nous fait apercevoir que l'amour de soi est leur mobile universel ; que cet amour existe en nous-mêmes non moins vif, non moins exclusif que dans le commun des hommes, et. que si notre éducation n'eût modifié les passions qui s'ensuivent, nous serions capables des mêmes excès que la multitude effrénée.
Vouloir en conserver, de ces excès, du ressentiment contre un peuple entier, contre le genre humain, c'est s'en prendre à Dieu même, c'est entrer en courroux contre les flots de la mer qui ont englouti nos trésors et nos amis.
Incedo per ignes..
FIN.
Incedo per ignes, « je marche à travers des feux », « je marche sur des charbons ardents »...
La Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, II, p. 261, propose ce commentaire, assez inhabituel dans un catalogue normalement neutre, à la suite de la description des Œuvres dramatiques de *** (Desroys) :.
L'auteur, qui n'avait pas la tête bien saine quoique professeur de mathématiques, s'excuse d'avoir trop de bon sens dans un temps où « la raison s'est combattue de sa propre épée ». Il n'imprime ici que quatre actes de sa comédie, et il motive l'absence du cinquième, en disant que le public n'a qu'à faire jouer d'autorité la pièce entière s'il est curieux de connaître cet acte, qui n'est pas le plus mauvais.
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