L’Auteur et le critique, comédie en un acte et en vers, de Chéron de La Bruyère, 13 décembre 1811.
Théâtre Français.
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Titre :
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Auteur et le Critique (l’)
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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13 décembre 1811
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Théâtre :
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Théâtre Français
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Auteur(s) des paroles :
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Chéron de La Bruyère
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Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 16e année, 1811, tome VI, p. 403 :
[Pièce sur le monde des lettres, qui peut nous apprendre les mœurs de ce monde en ce temps (pourquoi tout le monde se repent-il à la fin de la pièce ? Quelle faute le critique a-t-il commise ?). Mais pièce qui a échoué : « Il y a eu peu d'applaudissemens ; la représentation a été froide et languissante », l’auteur ne s’est pas fait connaître, et la pièce ne sera pas rejouée, sans qu’on sache qui en a décidé ainsi.]
THÉATRE FRANÇAIS.
L’Auteur et le Critique, comédie en un acte et en vers, jouée le 13 décembre.
Le Critique est un jeune homme, qui, privé de fortune, et poursuivi par le malheur, commence par se faire poète. Un gros poème épique, qu'il met au jour dans l'espace de quelques mois, est fort maltraité dans les journaux. Désespéré d'être critiqué, il se fait critique lui-même. Un homme riche, entiché des anciens, passionné pour les lettres, l'attache à une feuille périodique.
Cet homme a une fille jeune et jolie. Valcour (c'est le nom du Critique) en devient amoureux ; Emilie répond à son amour ; mais le père a d'autres vues : il destine la main de sa fille à un de ses anciens amis, homme d'une grande opulence, et passionné comme lui pour les lettres. L'ami arrive pour épouser ; il apprend qu'Emilie lui préfère Valcour. Il forme aussitôt le dessein de favoriser cet amour ; il demande et obtient du Ministre une place de dix mille francs pour son rival. Mais, au moment où i1 s'applaudit de cette bonne action, il demande son journal ; quelle surprise ! Un ouvrage dont il est l'auteur y est horriblement maltraité, et cet article est de Valcour. Mais le Critique se repent de sa faute, l'Auteur se repent de sa colère, le père se repent de ses premiers projets, et les deux amans, Valcour et Emilie, sont unis. Il y a eu peu d'applaudissemens ; la représentation a été froide et languissante. L'auteur a gardé l'anonyme. La pièce ne sera pas rejouée.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1812, p. 278-282 :
[Le titre est trompeur, et c’est par là que le critique commence : la pièce n’est pas une satire des rapports entre auteurs et critiques, elle se distingue par un but moral, des principes sains, un style « correct, facile et naturel ». L’auteur a voulu éviter les caricatures, de peur de tomber dans les « applications » tant redoutées. Mais sa pièce s’en ressent : elle n’est pas drôle, et ses personnages sont froids comme ses scènes sont sans mouvement, oppositions, intérêt. Pas d’action, intrigue quasi nulle, nœud sans force, dénouement prévisible : le critique ne trouve rien à en sauver hors le style. Pour montrer ce qu’il aurait fallu faire, il brosse le portrait d’une série d’auteurs face à leur critique, avant de dire qu’on pourrait faire la même galerie avec des portraits de critiques. L'inconvénient est qu’on aboutit à des scènes épisodiques (rappel du fameux Mercure galant de Boursault en 1679, et si souvent imité). Mais cela vaudrait mieux qu’une pièce à l’action faible, encombrée de « détails préliminaires » qui empêchent le développement du sujet. Le résumé de l’intrigue montre un auteur qui veut faire le bien du jeune critique qu’il rencontre, un jeune homme plein des meilleurs qualités, au point de lui céder la jeune femme qu’il souhaitait épouser et la place qu’il a obtenu (l’article ne parle pas de tentative de corruption...). On se croit arrivé au dénouement (c’est ainsi que s’achèvent les bonnes comédies), mais la fin de la pièce surprend un peu : l’auteur découvre que celui qu’il vient de favoriser a écrit contre son livre une critique terrible, mais, après un discours sur les devoirs du critique, il lui pardonne. La pièce aurait mieux réussi si le public avait su « que le ton de la pièce était en général sérieux ». L’auteur est resté anonyme.]
THEATRE FRANÇAIS.
L'Auteur et le Critique.
A ce titre les spectateurs croyaient pouvoir s'attendre à voir l'amour-propre aux prises avec la malignité, et leur malignité s'apprêtait à rire aux dépens du vainqueur et du vaincu dans une lutte où l'on ne combat que la plume à la main. Leur attente a été trompée : l'ouvrage dont il s'agit a des parties fort estimables ; le but en est moral, le ton raisonnable, les principes sains, le style correct, facile et naturel, sans emphase et sans trivialité ; mais l'ouvrage manque essentiellement de comique et de gaîté. L'auteur a craint de tomber dans la charge, il a évité de crayonner des caricatures, il a redouté peut-être qu'on cherchât les originaux de ses portraits, et que le public, par ses applications, ne convertit [sic] une comédie en une satire personnelle ; cela pouvait être à craindre en effet, moins cependant, que d'offrir des personnages froids, et des scènes dépourvues de mouvement, d'opposition et d'intérêt.
L'action est très-faible, l'intrigue presque nulle, le nœud sans force, et le dénouement trop prévu. Le style de l'ouvrage, nous le répétons, mérite qu'on lui donne des éloges ; mais ce style même manque de la verve, de la gaîté piquante, et des traits de caractères et d'observation que le sujet semblait devoir fournir.
Pourquoi l'auteur ignorait-il, ou plutôt, car il ne l'ignorait pas sans doute, pourquoi n'a-t-il pas fait usage de cette foule de traits qui à chaque jour, à chaque heure convertissent le cabinet d'un critique en une sorte de théâtre dramatique, où se succèdent, sans interruption, de véritables personnages de comédie : que d'heureuses imitations à saisir ; que de phisionomies [sic] à peindre ; que de mots de bonne prise à retenir !
Ne connaissait-il pas ces auteurs qui du ton le plus modeste et le plus doux viennent prier leur censeur de ne les pas ménager, veulent qu'on les éclaire, invoquent les leçons salutaires de la critique, et reviennent furieux pour peu qu'on leur ait obéi ;
Et ceux qui ne connaissant rien de pire que l'obscurité, rien de plus mortel que le silence, pressent le critique de dire du mal d'eux, plutôt que de ne rien dire du tout ;
Et ceux dont la conversation annonce une entière confiance dans les lumières du censeur, le plus grand éloignement pour tout éloge qui ne serait pas libre, et qui finissent par proposer une critique de leur ouvrage, écrite par eux sous la dictée d'un ami ;
Et ceux qui ne réclamant un article, que lorsqu'on aura eu le temps de le rédiger, reviennent le lendemain voir s'il a paru ;
Et ceux dont l'érudition bibliographique et la dialectique se réunissent pour faire connaître combien d'ouvrages il faut dénigrer, pour en conclure que le leur manquait à la littérature ;
Et celui auquel on reproche d'avoir été excessivement loué, et qui répond : mais non, pas trop ;
Et celui auquel on apprend qu'un homme très-éminent par ses dignités et ses talens, l'honore de son suffrage, et qui répond franchement, M.... est un homme de beaucoup de goût.
Mille traits de cette nature se présentent & la mémoire pour le seul côté des auteurs ; si ensuite il fallait rappeller les traits de comédie que les critiques peuvent offrir eux-mêmes, ce serait à n'en pas finir ; malheureusement dans la pièce nouvelle on n'en trouve assez, ni de ceux qui appartiennent aux uns, ni de ceux que laissent échapper les autres.
Mais, dira-t-on, l'auteur aurait fait, en suivant cet avis, des scènes épisodiques, une pièce à tiroir, le Mercure Galant moderne. Il se peut: mais peut-être alors sans prétendre intéresser ou instruire les spectateurs, il aurait réussi à les faire rire ; peut-être son ouvrage serait resté au théâtre parmi ceux qui, sans présenter du comique de situation, présentent du comique de mœurs, et la peinture des ridicules du jour ; l'action qu'il a imaginée au contraire, quoique très-faible, exige des scènes et des détails préliminaires qui dévorent en quelques sorte [sic] l'espace étroit de l'acte dans lequel il s'est renfermé, et lorsqu'il entre en matière, lorsqu'il va traiter son sujet, cette espace ne lui permet plus assez de développement.
Son critique est un jeune homme très-instruit que des revers de fortune ont obligé à embrasser une carrière à laquelle il n'était point appellé, et qui, suivant l'expression de Beaumarchais, d'homme de lettres est devenu homme de feuilles. Ce jeune homme est de mœurs douces, d'une honnêteté parfaite, d'une excellente éducation ; on ne sait comment il arrive, que la plume à la main, il devienne un satyrique intraitable. un zoïle acharné contre toutes les productions modernes. Un vieillard, espèce de Francaleu qui a le tort de parler souvent latin en vers français, est devenu le protecteur du jeune homme qui se nomme Valcourt : la fille de ce Francaleu est devenue toute autre chose que sa protectrice ; elle l'aime et en est aimée. Mlle Mars donne beaucoup de prix à ce petit rôle ; elle dit à son ami sur sa profession et sur son style des choses fort sensées ; c'est la grace qui parle raison.
Survient le principal personnage, un ami de province, riche et d'un âge mûr. Trois choses l'amènent à Paris : il vient se proposer pour époux de la jeune personne, juger l'effet d'un livre qu'il vient de faire paraître en gardant l'anonyme, et occuper un emploi important que lui confie un ministre, son ancien ami.
En peu de temps notre homme reconnaît qu'il a un rival préféré ; il s'informe de ses mœurs, de ses talens, de ses moyens ; il apprend qu'il est honnête, instruit, sans fortune: et à l'instant il prend, et, ce qu'il y a de mieux, il exécute la résolution de lui donner et la femme qu'il désirait, et la place qu'il allait occuper : cela est assurément fort généreux. Mais voici qui est plus extraordinaire. Une visite au ministre suffit, quoiqu'il ne le rencontre pas, pour substituer le nom du jeune homme à celui de son protecteur ; un mot au beau-pére suffit aussi pour le consentement au. mariage ; et voilà par l'effet d'une combinaison. qui fait arriver le dénouement aux trois quarts de la pièce, Valcourt placé et marié. On voit qu'il reste peu de temps au provincial pour lire le journal qui déchire son ouvrage, pour reconnaître que l'auteur de l'article est Valcourt, pour se fâcher et s'appaiser, pour reprocher à Valcourt les écarts de son imagination, discuter sa critique, et lui tracer les devoirs d'un juste, impartial et honnête censeur. Cette tirade est particulièrement bien écrite, et elle a été extrêmement applaudie ; nous y aurions désiré de plus une maxime qui nous semble les réunir toutes, un principe de conduite dont on s'applaudit toujours de ne s'être jamais écarté ; ce principe est celui-ci : N'écrire jamais dans un journal ce que l'on ne dirait pas à un auteur dans la conversation.
Il manquait pour le succès de cet ouvrage un spectateur prévenu que le ton de la pièce était en général sérieux : sous ce rapport, une seconde représentation doit lui être favorable ; on y appréciera mieux le but de l'ouvrage, l'intention de quelques scènes, et les bons vers qu'on pourrait en citer. L'auteur a été demandé; mais, probablement à l'exemple de son provincial, et probablement comme lui sans dédaigner ou sans craindre la critique, il a gardé l'anonyme.
S.
[Francaleu, le modèle du vieillard qui protège le jeune critique, est un personnage de la Métromanie de Piron (1738), un riche amateur de littérature qui veut donner sa fille à un jeune poète.]
D’après la base la Grange de la Comédie Française, l’auteur et le critique est une comédie en un acte et en vers de Louis-Claude Chéron de la Bruyère, jouée une seule fois le 13 décembre 1811.
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