L'Auteur malgré lui, ou la Pièce tombée

L'Auteur malgré lui, ou la Pièce tombée, opéra-comique en un acte, de Claparède, musique de Jadin, 16 mai 1812.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

L’Auteur malgré lui, ou la Pièce tombée

Genre

opéra comique

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

16 mai 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique

Auteur(s) des paroles :

Claparède

Compositeur(s) :

Jadin

Almanach des Muses 1813.

Le Connaisseur, conte de Marmontel, mis en scène pour la sixième fois ; peu de succès.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome III, p. 186 :

[Le critique n’a pas grand chose à dire de la pièce. Il se contente de la résumer (cela devrait suffire à faire comprendre de quoi il s’agit), il porte un jugement sévère (« pauvre pièce, musique foible », situe la pièce entre chute et succès (ni l’une, ni l’autre) et cite les auteurs sans commentaires.]

L’Auteur malgré lui, ou la Pièce tombée.

M. de Fintac est engoué de vers, de tragédies et d'opéra ; mais il ne reçoit chez lui que des antiquaires et des savans ; c'est une inconséquence assez ridicule. Son secrétaire est le seul dans la maison qui sache tourner un vers : ce jeune homme, nommé Derval, est amoureux d'Agathe, fille de M. de Fintac ; elle est sur le point d'épouser le vieil antiquaire Ducamée. Agathe rit de tout, de l'amour qu'on lui témoigne, de celui qu'elle ressent, même du danger d'épouser un vieillard ; elle a pris son parti sur tout ; cependant son père a fait une pièce qui doit être jouée le soir ; tous ses amis la trouvent excellente ; et voilà qu'il lui prend tout-à-coup l'envie de prier Derval de vouloir bien passer pour l'auteur de sa pièce. Un coup-d'œil d'Agathe décide Derval à accepter : Agathe rit de la triste mine que fera son amant si la pièce vient à tomber ; elle fait plus, elle avoue au vieux Ducamée que son rival est l'auteur de la pièce que l'on va jouer ; celui-ci sort furieux, et la chère enfant rit encore de la bonté qu'elle a eue de compromettre le repos de son père et l'amour-propre de son amant. Ducamée fait siffler la pièce ; on revient consterné ; mais la consternation n'empêche pas qu'on ne s'occupe bien vite du mariage projeté ; on est prêt à signer. Mais Derval déclare au papa que, s'il ne lui donne sa fille Agathe, il va nommer tout haut l'auteur de la pièce sifflée ; le siffleur Ducamée est reconnu par un valet ; on le chasse, et Agathe épouse Derval.

Pauvre pièce, musique foible ; ce n'est ni une chûte, ni un succès. Les paroles sont de M. Claparède, la musique de M. Jadin.

L'Esprit des journaus français et étrangers, année 1812, tome VI, juin 1812, p. 285-290 :

 [Le compte rendu s’ouvre par une réflexion générale sur les pièces à « intrigue littéraire », considérées comme vouées à ne pas susciter l’adhésion du public. Ici, le titre même est contestable : on ne peut dire que Derval soit forcé à se dire auteur de la pièce de son futur beau-père. Mais le critique craint de ne pas être cru sur paroles, et il faut qu’il donne ses preuves. Elles sont dans l’analyse qu’il fait de la pièce. Elle passe par la comparaison (plutôt défavorable) avec le conte de Marmontel et ne s’interdit pas l’ironie. Pourtant la pièce a été applaudie, mais le critique suggère que cela tient à de mauvaises raisons (une ultime plaisanterie ?). La musique est jugée meilleure que le « poëme », même si elle « manque de couleur et par conséquent d’effet ; beaucoup de notes, et fort peu de chant », le reproche habituel). Elle a cependant des qualités de détail (« le dialogue est vif et nuancé, les accompagnemens ne sont pas sans esprit », « un peu plus d'originalité dans quelques mouvemens du morceau d'ensemble ».]

L'Auteur malgré lui, ou la Pièce tombée.

Un auteur, malgré lui, est très-rare ; les auteurs, malgré nous, sont infiniment plus communs ; mais les uns et les autres calculent fort-mal lorsqu'ils espèrent exciter un vif intérêt à la scène par une intrigue littéraire. Tout le monde ne fait pas de vers, tout le monde ne fait pas jouer des pièces : c'est un bonheur pour la société. Mais c'est un grand malheur pour le poëte qui s'est imaginé d'amuser sept ou huit cents personnes avec ce qui a diverti dans son cabinet sept ou huit poëtes comme lui. Toutes ces fables, puisées dans le cercle de la littérature, paraissent froides au public, parce qu'il n'y trouve pas cet intérêt que des passions plus à sa portée ont l'habitude de lui inspirer. La Métromanie, le chef-d'œuvre des sujets, ou plutôt des erreurs de ce genre, n'a pas été à l'abri du sort commun.

Cet ouvrage, si brillant par son style et par des situations du premier comique, n'a jamais attiré la multitude ; il charme l'homme de lettres dans sa retraite, et il repousse l'homme qui veut s'amuser, de sorte qu'on peut presque dire de lui qu'il est immortel sans avoir vécu. Après ce grand exemple, comment des hommes, qui ne sont pas des Piron, osent-ils encore dérouler un manuscrit sur la scène, nous entretenir de méchans vers, de mauvaise prose, de parterre et de sifflets, et ne pas craindre à chaque phrase d'être pris au mot ; il faut être bien courageux.

Nous remarquons en outre, dans le titre de l'Auteur malgré lui, un grand défaut de justesse; Molière appelle son fagotier médecin malgré lui, parce qu'on le force, à coups de bâton, de donner des ordonnances ; il faudrait donc, le pistolet sur la gorge, forcer l'Auteur malgré lui de faire des vers pour qu'il méritât ce nom : c'est ce qu'ici l'on ne voit pas. Un amant très-complaisant consent, sans en être trop pressé, à passer pour l'auteur d'une pièce qu'on va jouer ; voilà toute la justification de son titre.

Marmontel, le premier auteur de ce conte prétendu moral, l'a intitulé le Connaisseur, et n'a pas été plus exact, car son monsieur de Fintac est un imbécile qui n'a pas même le comique de la niaiserie.

Ce n'est pas tout que d'être journaliste, il faut encore être honnête, et prouver aux gens que l'on critique qu'on a raison de les critiquer. Sans cela, il n'y aurait aucun plaisir, ni pour celui qui fustige, ni pour celui qui est fustigé. La profession de l'un et de l'autre ne vaudrait pas une obole.

Or, la preuve démonstrative en fait de poëme, comme en mathématiques, c'est l'analyse, voici celle de l'Auteur malgré lui :

M. de Fintac, mauvaise copie de Francaleu, est engoué comme lui de vers, de prose, de tragédies et d'opéra ; mais il est moins conséquent que son modèle. Francaleu ne reçoit chez lui que des poëtes ou des acteurs pour son théâtre ; M. de Fintac n'est entouré que d'antiquaires et de savans ; son secrétaire est le seul dans la maison qui sache tourner un vers : ce jeune homme, nommé Célicour dans le conte, et ici Derval, sans doute pour le besoin de quelque rime, est amoureux d'Agathe, fille de M. Fintac ; elle est sur le point d'épouser le vieil antiquaire Ducamée, à qui on a jugé à propos d'enlever aussi son ancien nom de Lexergue ; mais cette fois nous ignorons pourquoi. Agathe est une bonne fille qui rit de tout, de l'amour qu'on lui témoigne, de celui qu'elle ressent, même du danger d'épouser un vieillard ; elle a pris son parti sur tout ; cependant son papa a fait une pièce qui doit être jouée le soir : tous ses amis la trouvent excellente ; et voilà que, bien différent de tous les auteurs nés et à naître, il lui prend tout-à-coup l'envie d'abjurer sa patermité, et de prier Derval de vouloir bien passer pour l'auteur de sa pièce ; Duval, qui la juge mauvaise, refuse le cadeau ; mais un coup-d'œil d'Agathe le décide à l'accepter : on croirait que le coup-d'œil annonce de grands projets, point du tout : la bonne fille rit de la triste mine que fera son amant si la pièce vient à tomber ; elle fait plus, elle avoue au vieux Ducamée que son rival est l'auteur de la pièce que l'on va jouer ; celui-ci sort furieux, et la chère enfant rit encore de la bonté qu'elle a eue de compromettre le repos de son père et l'amour-propre de son amant.

On devine ce qui s'ensuit : Ducamée fait siffler la pièce ; on revient consterné, mais la consternation n'empêche pas qu'on ne s'occupe bien vîte du mariage projetté ; le feu fût-il chez un père de comédie, un notaire trouve toujours le moyen de s'y introduire pour terminer une pièce ; on est prêt à signer. Mais Derval, si bénin, jusqu'à ce moment, est soudain inspiré ; il a enfin un trait d'esprit, une idée généreuse ; il déclare au papa que, s'il ne lui donne sa fille Agathe, il va nommer tout haut l'auteur de la pièce sifflée ; le siffleur Ducamée est reconnu par un valet qui, de son aveu, n'avait fait que dormir au parterre. Ducamée a la bonté de convenir du fait ; on le chasse, on épouse Derval, et l'aimable Agathe dit en riant au public,ou du moins à-peu-près :

Daignez vous montrer nos amis,
Votre attente n'est pas trompée,
Car nous ne vous avons promis
     Qu'une pièce tombée.

Hé bien, le public n'a pas voulu qu'il y eût un seul mot de vrai dans celle-ci, elle n'est pas tombée, elle a été au contraire fort applaudie à la fin ; on eût dit que M. Ducamée emportait tous les sifflets avec lui : il est encore probable qu'une assez bonne plaisanterie de M. de Fintac, la seule qui se trouve dans ce rôle, a peut-être suffi pour conjurer l'orage. Qu'on avertisse mon portier, dit-il, d'attacher une sonnette à sa porte, et de ne plus se servir de sifflet pour m'annoncer les gens qui me visiteront. Qu'on juge après cela à quoi tiennent la gloire ou l'infamie.

La musique manque de couleur et par conséquent d'effet ; il y a beaucoup de notes, et fort peu de chant. L'air de M. Fintac se distingue cependant de tout le reste par une manière qui cherche à imiter celle de Della-Maria : le dialogue est vif et nuancé, les accompagnemens ne sont pas sans esprit ; la polonaise chantée par Mlle. Regnault n'est absolument que bizarre, il faut tout le charme de son gosier pour couvrir la faiblesse du motif ; son premier air est trop haut, le duo avec Derval est gracieux, mais ce sont des graces plus connues encore que celles d'Amathonte. Il y a un peu plus d'originalité dans quelques mouvemens du morceau d'ensemble. Au total, l'ouvrage de M. Jadin vaut mieux que celui de M. Claparède, et cependant nous ne leur conseillons pas d'être jaloux.                  M.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris: répertoire 1762-1972, p. 150, attribuent à l’opéra comique de Claparède et Jadin 5 représentations.

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