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L'Aveugle et le muet ou les Nez cassés

L'Aveugle et le muet ou les Nez cassés, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, de Desfougerais [Noël Aubin], 17 avril 1797.

Théâtre de la Cité.

Courrier des spectacles, n° 102 du 29 germinal an 5 [18 avril 1797], p. 2-3 :

[Long compte rendu de ce qui n'est tout de même qu'une arlequinade. La veille, il a fallu critiquer sévèrement les Précieux du jour, cette fois, la pièce a réussi. L'intrigue est sans surprise : Cassandre veut marier sa fille à Gilles, et tout l'effort d'Arlequin est de tromper Cassandre pour prendre la place promise à Gilles. Il y arrive, bien sûr. Si la pièce a réussi, c'est parce qu'elle est drôle. Bien sûr, on s'y moque de plusieurs handicaps, mais dans « un vaudeville », c'est acceptable. Beaucoup de « jolis couplets », font le critique ne donne que des fragments. L'auteur a été demandé, mais il n'a pas été nommé à sa demande. Et « tous les rôles ont été assez bien rendus ».

Théâtre de la Cité.

En critiquant hier avec sévérité une des deux pièces nouvelles données la veille à ce théâtre, nous avons rempli l’obligation que nous imposoit la nature de notre journal, et nous avons cédé à notre amour pour l’art, dont nous voyons toujours avec une peine nouvelle que l’on s’écarte chaque jour en méprisant les règles établies par le goût. Nous remplissons aujourd’hui un emploi plus agréable, en annonçant que la petite pièce de l'Aveugle et le Muet eut hier beaucoup de succès , et qu’il fut mérité.

Cassandre, devenu aveugle, vraisemblablement par vieillesse, a fait, dans son jeune âge, des bustes qu’il a encore du plaisir à visiter tous les jours. Le tact remplace en lui le sens de la vue, et lui procure des jouissances dans lesquelles Arlequin se fait un plaisir de le troubler pour se venger de ce que Cassandre ne veut pas lui donner la main d’Isabelle, sa fille ; elle est promise à Gilles, plus riche qu’Arlequin, et fils de M. Brusquet, aveugle, ami de Cassandre. Arlequin casse les nez de tous les bustes de Cassandre, qui, venant faire sa visite à ses anciens chef-d’œuvres, ne tarde point à s’appercevoir de leur défectuosité, et à soupçonner Arlequin, qu’il chasse de chez lui, mais qui trouve le moyen d’y rester en imitant la voix de Gilles, au point que non-seulement il a la faculté de parler de son amour à sa maîtresse, devant son père, mais qu’il détermine celui-ci à les unir. Cette scène, si contraire aux intérêts de Gilles, se passe en présence de Brusquet, son père, qui, sourd et muet, mais ayant de bons yeux, voit tout sans pouvoir rien dire ni faire entendre à son vieil ami qui est aveugle. Il sort furieux, et rencontre un manchot, ami commun de lui et de Cassandre, dont le nom est Francœur. Il lui apprend, par signes, tout ce qui s’est passé, et celui-ci vient en instruire Cassandre, qui n’en veut rien croire, et persiste à soutenir que c’est à Gilles qu’il a promis sa fille ; il s’agit d’écrire à Pontoise pour avoir les papiers nécessaires pour le mariage de Gilles, mais il ne sait pas écrire, Cassandre ne peut le faire faute d’y voir, Brusquet faute d’entendre, et Francœur parce qu’il est manchot : grand embarras. Il n’y a qu’Arlequin qui pourrait écrire, mais comment l’y déterminer ? Cassandre y parvient en lui promettant non-seulement d’oublier le tour qu’il lui a joué, mais encore de le garder chez lui. Arlequin consent à écrire la lettre, en se promettant d’écrire à ses propres parens pour avoir les pièces nécessaires à son mariage avec Isabelle. Il écrit en effet sous la dictée de Gilles ; mais Cassandre qui se méfie d’Arlequin, charge Francœur d’examiner la lettre qu’il a écrite ; en la lisant Francœur y découvre qu’Arlequin est son neveu ; tout change en faveur de ce dernier ; Gilles même lui cède sa maîtresse. Il lui manque encore quelque chose, c’est de la fortune ; Francœur lui assure la sienne, et le mariage est convenu du consentement même de Brusquet.

Cette petite pièce a généralement fait grand plaisir ; elle présente plusieurs scènes fort agréables. De ce nombre est celle où Arlequin, imitant la voix de Gilles, passe pour lui devant Cassandre, qui est ravi de voir son amour pour sa fille, dont il lui donne la main. La fureur du malheureux Brusquet ajoute au comique de cette scène. Nous n’ignorons pas que dans une grande pièce on pourrait trouver mauvais que des infirmités naturelles fussent plaisantées sur la scène ; mais nous croyons que cette sévérité doit plier pour un petit vaudeville sans conséquence.

Cette pièce offre un grand nombre de jolis couplets que nous regrettons de n’avoir pu retenir. L’un finit par ces vers :

Des biens que le présent nous donne,
Embellissons notre avenir.

Arlequin, en parlant d’Isabelle, dit à Cassandre, qui, le prenant pour Gilles, se plaint de ce qu’Arlequin a mutilé ses œuvres :

Je vois encor auprès de vous,
Le plus parfait de vos ouvrages.

Cassandre s’étonne que Gilles montre autant d’esprit. Arlequin répond :

Que trouvez-vous là d’étonnant ?
    Est-ce un prodige extrême ?
    On est toujours éloquent
    Auprès de ce qu’on aime.

Un des derniers couplets que chante Cassandre, finit ainsi :

Arlequin , apprends qu’en ménage,
Pour être heureux, le grand secret,
C’est que l’époux soit assez sage
Pour rester aveugle ou muet.

On a fait répéter ce couplet, qui a été vivement applaudi. On a demandé l’auteur avec enthousiasme. Arlequin est venu lire quatre vers qui annonçoient que cette pièce étoit de deux auteurs qui désiraient conserver l’anonyme jusqu’à ce qu’ils eussent eu de nouveaux succès. Tous les rôles ont été assez bien rendus. Celui d’Arlequin a été joué avec légèreté par M. Fréderick. M. Barotteau a représenté par des gestes expressifs la position embarrassante du rôle de sourd et muet dont il étoit chargé.

La base César connaît 12 représentations de la pièce, du 17 avril au 25 septembre 1797. Elle ne donne qu'un nom d'auteur, M. P.F. Aubin dit Desfougerais ( - ), alors que le compte rendu du Courrier des spectacles annonçait la collaboration de deux débutants..

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