Créer un site internet

Les Avoués en voyage, ou la Méprise

Les Avoués en voyage, ou la Méprise, comédie en 2 actes et en prose, de Noël Aubin Desfougerais, 12 décembre 1814.

Théâtre de Tours.

Sur la page de titre de la borchure, à Tours, de l'imprimerie de L.-M.-F. Ligier, 1815 :

Les Avoués en voyage, ou la Méprise, comédie en deux actes et en prose, Par M.r Noël Aubin.

La pièce a été au cœur d'une belle polémique, et la brochure s'ouvre sur trois textes concernant cette « cabale ». Ils reflètent la vigueur des relations entre auteurs dans une ville de province. Les avoués se sont sentis agressés apr la pièce de Desfougerais, ils ont répliqué par une pièce parodique à laquelle Desfougerais a répondu à son tour.

EXTRAIT de la fameuse cabale qui s'est élevée contre la pièce des Avoués en Voyage et son auteur.

La prévention est tout sur l'esprit public ; elle est comme l'opinion et les passions, que la raison ne peut vaincre. On sait qu'il a été joué sur le théâtre de Tours, le 12 décembre 1814, une comédie en deux actes et en prose, intitulée : Les Avoués en voyage ou la Méprise ; cette nouveauté a fait naître une cabale dont le sujet est peut-être sans exemple ; elle a fait imaginer un vaudeville en un acte et en prose, intitulé : M. Culbute ou les Étrennes de Noël, représenté sur le même théâtre le 2 février 1815. Cette production, annoncée pour être la parodie des Avoués en voyage, piqua singulièrement la curiosité publique, qui s'attendait à voir refuter ou tourner en ridicule les vérités qui s'y trouvent consignées  ; ce qui aurait beaucoup amusé les spectateurs, qui ont été surpris de voir, au lieu d'une parodie, une pauvre satyre directe qui n'avait aucun rapport avec son intitulé ni avec la pièce des Avoués, et qui pouvait à peine se soutenir sur des tréteaux en plein vent, ce qui lui a valu, à juste titre, la couronne du mépris public. La cabale chicanière ne s'est pas bornée là ; elle a voulu, par des intrigues qui lui sont si naturelles, empêcher l'impression et la vente de la brochure des Avoués en voyage, sous des prétextes imaginaires, dont le plus. important était d'avoir dénoncé deux écrits qui se trouvent au commencement de la pièce des Avoués, comme n'ayant point été soumis à la censure du Gouvernement. Ce qu'il y a de plus singulier de la part de mes dénonciateurs, qui m'ont fait un crime de ne pas avoir envoyé à la police générale deux écrits qui ne composent pas ensemble le quart d'une feuille d'impression, c'est que ces Messieurs se sont permis de faire afficher publiquement une pièce de théâtre pour être jouée incessamment, sans en avoir donné connaissance à la police générale. Le Ministre, instruit de cet acte arbitraire, fit défendre que la pièce fût jouée sans avoir passé à la censure ; c'est ce motif qui en a retardé la représentation, qui ne devait point avoir lieu d'après la décision de MM. les censeurs du bureau de la police littéraire ; mais le chef de l'administration du département étant à Paris, sollicitait en faveur du vaudeville, et servait la cabale sans le savoir ; enfin on lui remit le vaudeville de confiance, s'en rapportant sur le tout à sa prudence, comme étant censé connaître la localité et les citoyens du pays, qu'il ne connaissait alors nullement en raison de sa nouvelle nomination. Pendant le temps de cette lutte orageuse on inquiétait également mon imprimeur : on le menaçait d'apposer le scellé sur ses presses, de le faire condamner à dix mille francs d'amende : comme on voit, les vexations étaient à leur comble lorsque ce premier magistrat, convaincu par lui-même qu'il avait été induit en erreur, me rendit la justice que la méchanceté la plus noire m'avait constamment refusée. J'ai dit, dans un de mes écrits, que ce n'était qu'avec la presse que l'on pouvait résister aux oppresseurs ; c'est une vérité que mon exemple constate, Quelques législateurs ont prétendu que cette liberté dégénérait en licence ; c'est une erreur de leur part : en rendant l'auteur responsable de ses écrits par sa signature, il aura intérêt à ne pas se compromettre ; s'il calomnie, qu'on le punisse rigoureusement ; c'est de la sévérité que dépend la justice et la tranquillité publique et en effet, comment voulez-vous faire punir un homme en place qui abusera des pouvoirs. qui lui sont confiés, si les plaintes de son administration sont subordonnées à sa censure ou peuvent être comprimées par sa prépondérance ? Ces réclamations ne seront-elles pas toujours ensevelies dans l'oubli ? la plume de l'écrivain enchaînée ? son génie paralysé, et son imagination glacée par l'injustice révoltante qu'il ne peut faire connaître ? Ecrire librement est la dignité d'une nation et la seule garantie du bonheur public. Je crois en avoir suffisamment dit pour déterminer le Gouvernement à proscrire pour toujours les entraves de la presse.

Je ne répondrai point à ces libelles faits contre moi, insérés dans quelques journaux, et notamment dans celui du département d'Indre et Loire, où l'on voit que leurs auteurs y montrent beaucoup plus de prétention que d'esprit ; les personnes qui les auront lus pourront s'en convaincre en lisant la pièce des Avoués ; ils verront que j'en ai dit plus sur moi que n'en ont dit mes critiques, qui ne sont absolument que mes échos : la seule chose qui me fasse de la peine, c'est de n'avoir pu me procurer le manuscrit de M. Culbute ou les Etrennes de Noël, et de voir le public privé de son impression, ce qui l'aurait mis à même de le juger, et m'eût permis d'y répondre.

Noel AUBIN.          

RÉFLEXIONS

Et conclusions, provisoires, préparatoires, déclinatoires, exécutoires, etc.
signifiées. par M. Noel AUBIN aux censeurs de ses écrits.

Eh mon Dieu ! que de bruit pour si peu de chose ! Tout le monde parle des Avoués, en pièce. Je viens d'être averti que cette Comedie est menacée par la foudre chicanière ; eh que dis-je ? ces suppôts sont munis de cette arme si meurtrière à la gloire des Auteurs (des sifflets) ; j'ai répondu que, loin de m'intimider de leurs attaques, et d'aspirer à leur indulgence, je les invite, au contraire, d'exercer contre ma Pièce la plus grande sévérité, et d'en faire connaître au Public tous les défauts ; mais pour cela, il faut l'entendre avec calme, pour être en état de bien la juger ; lors une fois la toile tombée, c'est là où j'engage tous les petits cabaleurs à faire tapage en me sifflant, me sifflant jusque dans les rues, sans crainte de m'incommoder : un Auteur doit être familier au son de cet instrument. Un plaisant me disait dernièrement que depuis qu'il était question de jouer ma pièce, les sifflets avaient augmenté de cent pour cent ; je n'en suis point surpris, lui répondis-je ; il y a tant de personnes intéressées à ce que la vérité ne soit entendue, qu'ils en auront fait des approvisonnemens considérables, pour en distribuer à leurs subordonnés et à la jalousie ; comme si un citoyen ne devait point écrire ni faire des Comédies, parce qu'il n'aura pas été pendant 20 à 30 ans sur des bancs, pour apprendre, quoi ! la science des perroquets. Pauvres censeurs que vous êtes, je vous envoie à l'auteur Rôti, personnage de ma Pièce : il vous apprendra dans une seconde que le plus grand des maîtres est la nature, et que si vous n'avez été favorisé d'elle, tout votre savoir n'appartient qu'à autrui; il se résume toujours en faux jugement.

Enfin, quoi qu'il en soit, j'ai l'honneur de prévenir Messieurs les Amateurs, que cette Comédie, tant critiquée sans la connaître, ne ressemble à aucun ouvrage de ce genre ; la raison en est simple, c'est que les idées, les originalités, le style, la distribution des scènes n'appartiennent qu'à moi ; d'ailleurs et au surplus, je ne me donne point au public comme auteur ni comme écrivain consommé dans l'art ; je m'y présente en simple particulier, qui a crayonné ses idées, dans l'espérance d'être utile à ses concitoyens, en les amusant ; si je manque mon but, j'en serai d'autant plus mortifié que je n'aurai pas satisfait l'auditoire ni rempli mes intentions. Ma Comédie des Avoués, ou pour mieux dire un divertissement, n'est qu'une suite de mes réflexions sur les abus de la procédure. Dans cet écrit je ne me suis point assujetti à une méthode rigoureuse, il a été composé de faits particuliers qui intéressent la généralité des citoyens. J'ai voulu prouver que la longueur des procès dépendait non- seulement des Avoués, mais encore qu'ils en faisaient naître à leur volonté, ce qui est nuisible au repos et à la fortune des hommes. Je ne me suis point effrayé des critiques de nos jours ; je sais qu'il ne paraît pas le moindre ouvrage qu'il ne soit aussitôt dévoré par les flammes de la satyre ; ce poison, qui n'est préparé que par les mains des intéressés aux abus, est toujours dirigé contre celui qui les indique, de manière que, n'ayant pas prévu les écueils qu'il va rencontrer dans sa route, parce que son imagination n'étant enflammée que par le bien public, il ne voit pas les ennemis qui l'attendent à son passage pour le mettre en pièces : c'est ainsi qu'il devient la victime de son zèle et de son courage. Des personnes à qui j'avais fait part dans les temps de mon projet, me trouvèrent témeraire que de vouloir peindre les angoisses de la chicane, d'après des maîtres aussi sublimes que Racine, Boileau et Molière : j'en convins ; mais je leur répondis que le temps changeant les choses et les goûts, je m'étais persuadé, peut-être à tort, qu'en donnant à mon tableau des couleurs d'un nouveau genre, je croyais pouvoir l'exposer en public. J'ai passé par-dessus tout et rien ne m'a arrêté ; je n'ai suivi» que l'impulsion de mon cœur, ou, si l'on veut, ma présomption.

Noel AUBIN.          

REPLIQUE.

On me reproche que j'attaque directement le corps des avoués, et que je sonne le tocsin d'avilissement contre eux.

Je n'attaque les avoués ni en corps ni individuellement ; si j'ai pris des originaux dans ce corps ils ne sont que d'imagination : et sans vouloir mépriser les avoués, je puis avancer qu'on a vu de tout temps figurer sur la scène des personnages plus importans qu'eux. Je n'ai point eu l'intention d'avilir les officiers ministériels, je désire seulement qu'une conduite probe et vertueuse de leur part, autant qu'une sage réforme, les tirent de l'avilissement où un grand nombre d'entr'eux sont tombés, et qui rejaillit sur le corps.

On ajoute que mes expressions et mes plaisanteries sont exagérées.

Je réponds qu'il en est du théâtre comme d'un microscope, qui grossit les objets lorsqu'une glace ordinaire ne produirait aucun effet. Il faut au théâtre des tableaux frappans ; des peintures vives ; l'objet de la scène étant d'instruire et de corriger les hommes, le but serait manqué par une trop grande réserve, par des expressions et des traits trop faibles et trop légers.

On insiste, en attaquant cette pièce sous le rapport du style.

Je n'ai point aspiré à la gloire littéraire ; je ne me suis proposé que d'être utile : un coup de pinceau vif et hardi satisfera toujours les connaisseurs ; un style simple et laconique obtiendra toujours, à mon avis, leurs suffrages.

On dit que les détails des procès ne conviennent pas à la scène théâtrale.

Mais quand on en parle d'une manière amusante et qu'on n'y en touche que parce qu'ils tiennent au sujet, ils sont admissibles comme tonte autre chose. J'ai voulu, à l'exemple de ces grands maîtres, contribuer à la guérison d'une des plus grandes maladies de la société; j'ai donc dû imiter le médecin sage et prudent, qui adoucit d'un miel agréable la médecine salutaire qu'il présente à son malade.

On dit encore que je me suis désigné dans le rôle de M. RÔTI, pour me montrer au public comme un homme extraordinaire.

On pensera tout ce que l'on voudra des rôles et des personnages de ma pièce, mais on jugera si les raisonnemens, les plaisanteries, les équivoques que j'ai tirés de mon sujet, ne sont point permis à la scène comique, qui, de tout tems, a été favorisée par la philosophie et protégée par la politique.

Noel AUBIN.          

Ajouter un commentaire

Anti-spam